Démocratie en Thailande : au service de la monarchie

Par Vincent P. Lefebvre

Dans les années 1990, la Thailande était considérée comme une démocratie émergente extrêmement prometteuse. L’instabilité politique des années 2000, provoquée entre autre par un coup d’état militaire, est venue assombrir le portrait (Phongpaichit et Baker, 2013 :627). Il faut dire que cet état du Sud-Est Asiatique est habitué à ce genre de renversement. 19 coups, ou tentatives de coup d’état, au cours du dernier siècle font de la Thaïlande un état qui se distingue (Farrelly, 2013 : 281). Quelle place occupe la démocratie dans cet état pour déboucher sur une dynamique aussi particulière? Tout porte à croire que la présence de la monarchie joue un rôle particulier dans l’imaginaire collectif Thaïlandais et provoque cette instabilité démocratique.

Les dynamiques politiques Thaïlandaise

Plusieurs dynamiques particulières sont essentielles à saisir pour comprendre le rôle que joue la démocratie en Thaïlande. Il existe une différence marquée entre la vision politique des habitants de Bangkok et du reste du pays. Alors que les monarchies du Sud-Est de l’Asie tombaient les unes après les autres sous le joug des colonisateurs, la dynastie Thaïlandaise a su se maintenir en place par la négociation et la diplomatie (Glassman, 2010 : 1303). Bangkok a toujours été la ville impériale qui régnait sur le royaume du Siam, et les Thaïs n’ont pas connu de rupture historique aussi importante que la majorité des États de la région. Cette dichotomie entre Bangkok et le monde rural reste en conséquence bien présente dans le spectre politique.

Les citoyens des campagnes soutiennent d’avantage la démocratie que leurs compatriotes citadins. Au sein-même de Bangkok, plus on se rapproche du centre-ville, plus le support à la démocratie tend à diminuer (Albritton et Bureekul, 2008 : 133-134). En général, les Thaïlandais semblent quand-même avoir confiance et apprécier la démocratie de manière similaire à ce qu’on retrouve dans les sociétés occidentales (Albritton et Bureekul, 2008 : 135-136). Il existe cependant quelques particularités. Quand la démocratie donne naissance à une situation conflictuelle et qu’ils ont l’impression que l’ordre civil est mis en péril, les Thaïlandais semblent préférer la restriction à la liberté d’expression (Freedman, 2006 : 192). Enfin, les électeurs ruraux sont plus clientélistes. Ils ont un parti pris marquée pour les candidats qui apportent un bénéfice direct et tangible au sein de leur district électoral (Freedman, 2006 : 192).

La Résiliente Monarchie

La monarchie, qui a réussi à résister si longtemps aux puissances colonisatrices, a finalement dû s’incliner face à l’union de la société civile et de l’armée en 1932. Les révolutionnaires ont réussi à la chasser du pouvoir sans effusion de sang pour instaurer des institutions démocratiques. Les progrès économiques et sociaux engendrés par cette révolution ont permis à des groupes de la société civile de devenir plus forts et de demander d’autres réformes leur donnant un rôle politique accru. L’armée voyait ainsi son influence diminuer au profit de ces groupes (Songsamphan, 1991 : 69). La monarchie est parvenue à ré-émerger dans la joute politique en s’alliant avec les militaires et en leur donnant une justification pour exercer leur autorité. Les deux institutions sont alors devenues dépendantes l’une de l’autre pour maintenir leur autorité. L’armée justifie son pouvoir au nom de la préservation de la monarchie, et cette dernière dépend à son tour de l’armée pour maintenir son importance.

Il Importe de mentionner qu’il existe aussi une proximité entre les intérêts de l’élite économique de Bangkok et ceux de la monarchie. Un autre vestige du passé monarchique de l’état Thaïlandais (Farelly, 2013 : 284). Ainsi donc, cette élite économique est particulièrement avantagée quand la monarchie occupe une place importante au sein de la société, et cette monarchie occupe sa place grâce au soutien de l’armée.

La place de la démocratie

La faible culture politique de la population et sa tolérance particulière aux coups d’État; l’inefficacité relative des organisations civiles face à la discipline militaire; les relations privilégiées entre l’élite économique et la monarchie et la capacité de l’armée à justifier ses coups au nom de la monarchie sont les dynamiques profondes qui expliquent les nombreux renversements de gouvernement en Thaïlande (Sujarnajata, 1994 : 222-225; Farelly, 2013).

L’élite de Bangkok est avantagée quand la monarchie est au pouvoir, et le monde rural trouve son compte quand des gouvernements élus sont aux commandes de l’État. C’est donc dire que la dynamique particulière Thaïlandaise reflète une lutte d’intérêt entre l’élite de Bangkok et le monde rural. Pour contenter la population, la monarchie permet à un élu de diriger le pays. Quand ce gouvernement impose des réformes qui compromettent les privilèges de Bangkok cependant, l’armée intervient pour restaurer l’ordre et préserver ses avantages. Des élections sont à nouveau organisées lorsque la situation se stabilise. (Glassman, 2010).

Il semble donc que l’apparente instabilité Thaïlandaise soit provoquée par l’alternance entre le pouvoir autoritaire de l’élite de la capitale à travers la monarchie et l’armée, et le pouvoir populaire du monde rural à travers les élections. Dans ce contexte particulier, la démocratie semble être un outil à travers lequel la population hors de Bangkok revendique des avantages et profite de développement économique, et avec lequel la monarchie résiliente achète la paix sociale qui lui permet toujours de se maintenir au pouvoir.

https://www.youtube.com/watch?v=Lsmq93J9RgQ

 

Bibliographie

Albritton, Robert et Thawilwadee Bureekul. 2008. « Developing Democracy Under a New Constitution in Thailand » Dans Chu, Yun-han, Larry Diamond, Andrew J. Nathan et Doh Chull Shin, dir., How East Asians View Democracy. West Sussex, New York: Columbia University Press, pp.114-138.

Farrelly, Nicholas. 2013. « Why democracy struggles: Thailand’s elite coup culture » Australian Journal of International Affairs. Vol.67. no.3 pp.281-296.

Freedman, Amy. 2006. « Thailand’s Missed Opportunity for Democratic Consolidation » Japanese Journal of Political Science. Vol.7 no.2. pp.175-193.

Glassman, Jim. 2010. « The Provinces Elect Governments, Bangkok Overthrows Them: Urbanity, Class and Post-democracy in Thailand » Urban Studies. Vol.47. no.6 pp.1301-1323.

Phongpaichit, Pasuk et Chris Baker. 2013. « Reviving Democracy at Thailand’s 2011 Election » Asian Survey. Vol.53. no.4 pp.607-628.

Songsamphan, Chalidaporn. 1991. Supernatural prophecy in Thai politics: The role of a spiritual cultural element in coup decisions. These de doctorat. The Claremont Graduate School.

Suvarnajata, Supaluck. 1994. The Thai military coup d’etat: Origins, withdrawal/civilian control, and perspectives. These de doctorat. The Claremont Graduate School.

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