Démocratie aux Philippines : un gouvernement à tendance autoritaire, soutenu par la population

Par Vincent P. Lefebvre

Le flamboyant président philippin Rodrigo Duterte a été porté au pouvoir lors des élections du 30 juin 2016. Le site de l’organisation internationale Human Rights Watch affirme qu’avant la fin de l’année, il a fait exécuter plus de 6000 citoyens philippins de manière extrajudiciaire. Malgré ces méthodes, un sondage de l’institut Pulse Asia révélait qu’en Mars 2017, 78% de la population approuvait son Comment se fait-il que dans un état démocratique, de telles atteintes aux droits et libertés soient aussi largement tolérées? Est-il possible que les libertés soient moins importantes que la sécurité pour le peuple philippin?

Pour comprendre la popularité de Duterte, il semble approprié de se tourner vers les deux principales promesses qu’il a faites pendant la campagne électorale de 2016. D’abord, restaurer la paix sociale en stoppant la montée du crime. Pour ce faire, il a affirmé vouloir utiliser des mesures musclées telles que des exécutions extrajudiciaires et l’instauration de la loi martiale. Il a aussi affirmé vouloir mettre fin à la corruption omniprésente au sein de la vie politique du pays (Teehankee et Thompson, 2016 : 126). Si les exécutions extrajudiciaires ne minent pas sa crédibilité, c’est parce qu’elles ont été annoncées avant son élection. D’autant plus que Duterte était maire de Davao avant de se porter candidat à l’élection présidentielle. Élu pour la première fois en 1988, il a dirigé cette ville pendant 28 ans et a utilisé les mêmes méthodes musclées (Teehankee et Thompron, 2016 : 126) pour en faire un lieu particulièrement sécuritaire (Philippine Daily Inquirer, 2016). Les philippins ont donc voté pour lui en toute connaissance de cause.

Mais s’ils ont voté pour Duterte en sachant qu’il allait mener des assassinats extrajudiciaires, est-ce bien la preuve qu’ils favorisent la sécurité au détriment de la liberté? Une étude parue en 2008 semble indiquer le contraire. Parmi les citoyens du Sud-Est Asiatique, Guerrero et Tusalem ont constaté que les philippins sont ceux qui associent le plus la démocratie à la liberté.  Les libertés individuelles sont un élément important de leur paysage démocratique.

Le contexte social

Deux éléments de contexte aident à comprendre l’appui dont bénéficie Duterte. D’abord, la montée du crime, aussi drastique que soudaine, dans l’archipel asiatique au cours des dernières années. Plusieurs rapports attestent de l’inefficacité grandissante des forces de polices dans un contexte où les réseaux de vendeurs de drogue prolifèrent et où la criminalité générale monte en flèche. En 2012, on rapportait 217 812 crimes dans le pays. En 2014, ce chiffre avait grimpé à 1 161 188 (Ranada, 2016).  Pas étonnant que la police ait du mal à suivre le rythme.

Aussi, les philippins semblent convaincus que leur système est le plus corrompu de la région (Guerrero et Tusalem, 2008 : 70). Malgré des élections libres au suffrage universel, un nombre énorme de faiblesses procédurales, d’inégalités économiques et légales et de pratiques patrimoniales systémiques minent la crédibilité de la démocratie philippine et avantagent sans cesse une poignée de grandes familles riches et puissantes (Dressel, 2011). Cette situation perdure depuis l’indépendance du pays et la population semble parfaitement consciente de la situation. Dans un tel contexte, pas étonnant que la franchise de Duterte plaise aux philippins. Ce contexte particulier semble avoir joué un rôle important dans l’élection de Duterte.

La confiance dans les mouvements populaires

Un élément inattendu semble aider à expliquer l’acceptation d’un personnage tel que Duterte à la tête du pays. S’ils sont convaincus de la corruption endémique de leur système politique, les philippins sont aussi très confiants dans le pouvoir de l’action collective et la capacité du peuple à renverser les gouvernements (Guerrero et Tusalem, 2008 70). L’histoire du pays en témoigne. En plus d’avoir chassé le dictateur Marcos du pouvoir en 1986, les mouvements citoyens ont forcé le président Estrada à quitter le pouvoir en 2001 (Coronel, 2007 : 175-176). Il semble donc que le peuple philippin, de par son histoire, soit plus apte à laisser un homme aux méthodes douteuses prendre le pouvoir, parce qu’il a confiance qu’il saura l’y en chasser si le besoin s’en fait sentir. D’une certaine manière donc, c’est parce que les philippins se considèrent particulièrement libres qu’ils ont accepté Duterte, et non l’inverse.

Bien sur le contexte explique beaucoup de choses. Les chiffres monstrueux sur la criminalité et la corruption endémique amènent à penser que seul un homme tel que Duterte saura résoudre ces situations. Une multitude d’autres facteurs ont aussi pu influencer le résultat du scrutin. Bonne stratégie électorale, usage efficace des réseaux sociaux, échec des réformes du précédent président comptent au nombre des éléments qui ont permis à ce politicien hors norme de conquérir le poste le plus prestigieux des philippines (Teehankee et Thompson, 2016).

 

 

 

Bibliographie

Coronel, Sheila S. 2006. « The Philippines in 2006: Democracy and Its Discontents » Asian Survey. Vol.47. no.1 pp.175-182

Dressel, Bjorn. 2011. « The Philippines: how much real democracy? » International Political Science Review. Vol.32. no.5 pp.529-545

Guerrero, Linda Luz et Rollin F. Tusalem. 2008. « Mass Public Perceptions of Democratization in the Philippines: Consolidation in progress? » Dans Chu, Yun-han, Larry Diamond, Andrew J. Nathan et Doh Chull Shin, dir., How East Asians View Democracy. West Sussex, New York: Columbia University Press, pp.61-82.

Philippine Daily Inquirer. 2015. “Davao City ranks as 9th safest in the world” Philippine Daily Inquirer. 9 Mai. Consulté en Ligne (22 Mai 2017) http://newsinfo.inquirer.net/690252/davao-city-ranks-as-9th-safest-in-the-world

Pulse Asia Research, Inc. 2017. March 2017 Nationwide Survey on the Performance and Trust Ratings of the Top Five Philippine Government Official. Consulté en Ligne (22 Mai 2017) http://www.pulseasia.ph/march-2017-nationwide-survey-on-the-performance-and-trust-ratings-of-the-top-five-philippine-government-officials/

Ranada, Pia. 2016. “A look at the state of crime, drugs in the Philippines” Rappler (Manille), 5 Janvier. Consulté en Ligne (22 Mai 2017) http://www.rappler.com/nation/118004-crime-drugs-philippines

Teehankee, Julio C. et Mark R. Thompson. 2016. « Electing a Strongman » Journal of Democracy. Vol.27 no.4 pp.125-134

 

 

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