Par Vincent P. Lefebvre
Au XVIIe siècle, les Hollandais ont chassé les Portugais de l’Asie du Sud-Est pour ne leur laisser qu’une partie de la petite île de Timor. Ce territoire, pauvre en ressources naturelles, est resté une colonie jusqu’au XXe siècle, lorsque la « révolution des œillets » a renversé le gouvernement autoritaire héritier de Salazar. Le Freitlin, mouvement indépendantiste à tendance communiste, a alors tenté de prendre le pouvoir au Timor Oriental. Redoutant la présence d’un État communiste à sa frontière, le dictateur indonésien Suharto a décidé alors d’envahir et d’annexer son voisin. Cette action ne fut jamais reconnue par l’ONU, qui finit par imposer un référendum sur l’autodétermination de l’île en 1999. C’est ainsi que le 20 mai 2002, le Timor Leste acquit enfin son indépendance et devint une république (Dignat, 2016). Comment les citoyens de ce jeune État voient désormais la démocratie pour laquelle ils se sont battus? D’abord une justification pour l’indépendance, elle semble être devenue aujourd’hui la pièce centrale du projet commun atour duquel les autorités tentent de construire l’unité nationale.
Durs lendemains de l’indépendance
En 2003, le Timor Leste était le pays était le plus pauvre de la planète. La violente occupation par l’Indonésie avait laissé des blessures profondes au sein de la société civile, et la pauvreté ne faisait rien pour apaiser les tensions sociales (Kingsbury, 2007 : 364). Dans ces conditions, la corruption devenait un problème majeur, et le gouvernement semblait démontrer des tendances autoritaires (Kingsbury, 2007 : 364), la police faisait respecter la loi de manière brutale et illégale et l’armée, insoumise et divisée, comptait plusieurs factions internes issues de la guerre d’indépendance et n’était pas en mesure d’assurer l’ordre.
Près de la moitié des membres du cabinet, exilés pendant l’invasion indonésienne, s’étaient réfugiés au Mozambique. Même si l’état africain leur a offert la protection, une éducation et des emplois, son gouvernement n’est pas des plus démocratiques (Kingsbury, 2007 : 371). Une grande partie de l’élite Est-Timoraise n’a jamais vécu au sein d’une démocratie fonctionnelle, et n’a donc jamais pu intégrer les codes d’une société de droit.
Lors de l’occupation Indonésienne, les Est-Timorais ont construit leur identité commune contre les Indonésiens. Il fallait, pour le bien de l’ensemble, chasser les envahisseurs de l’île (Sahin, 2014). Une fois la tâche complétée, le lien qui unissait les révolutionnaires s’est malheureusement effacé ce qui a grandement contribué à la détérioration de la situation.
Ce qui fait un état, c’est d’abord un pacte tacite entre les citoyens qui le composent. Une constitution n’est au fond qu’un bout de papier sur lequel on écrit des lois. Celle-ci n’a de sens que si un ensemble d’individus acceptent de se soumettre à ces règles pour le bien commun. Il urgeait donc pour les leaders du Timor Leste de trouver une « identité nationale » autour de laquelle rassembler la population qui s’entredéchirait. Il fallait la convaincre de se soumettre aux règles démocratiques et de travailler tous ensemble en se respectant les uns les autres (Sahin, 2014 : 226).
Sacrifice pour le bien commun
Après des élections tumultueuses en 2007 et 2012, l’élection de 2015 a grandement amélioré le climat politique (Leach, 2016 : 466). Un rapprochement s’est opéré entre les partis politiques Est-Timorais. Xannana Gusmao, premier ministre réélu, a accepté de céder le poste à Rui Araujo, membre éminent de l’opposition officielle. Quelques députés de l’opposition se sont aussi joints au cabinet, pour former un gouvernement d’unité nationale. Quant à Gusmao, il a pris les commandes du ministère de la planification et des investissements. (Leach, 2016 : 467).
Le symbole est fort. Énorme figure de la vie politique Est-Timoraise, Gusmao, en cédant sa place, a envoyé le signal qu’il fallait que tous travaillent ensemble à construire la nation. Difficile de dénoncer la corruption et l’opportunisme d’un individu qui met sa propre carrière de côté pour le bien de l’État. Le geste permettra aussi à une nouvelle génération de leaders d’apprendre la politique dans un climat d’entraide et de soutien autour d’un projet commun.
L’importance des résultats
Même si la situation est actuellement encourageante, tous les problèmes n’ont pas disparu. Le pays demeure l’un des plus pauvres de la planète. Il n’est pas anodin que Gusmao ait choisi de prendre les commandes du ministère du développement. Le progrès économique des prochaines années sera clé. Si leur situation de vie s’améliore, ce sera la preuve pour les citoyens que l’union de tous autour d’un projet commun donne des résultats qui profitent à tous. Et la population sera alors conscientisée à l’importance du respect des règles communes.
Au Timor Leste donc, la démocratie a été un cri de ralliement autour duquel la population s’est rassemblée pour chasser l’envahisseur Indonésien. Si elle ne semblait pas avoir tenu ses promesses au lendemain de la révolution, Xannana Gusmao a fait en 2015 l’ultime sacrifice pour montrer à la population que s’ils travaillent tous ensemble, tous en profiteront. Reste à voir si son plan donnera les résultats escomptés. Pour le plus récent État d’Asie du Sud-Est, La démocratie semble donc être un chantier loin d’être achevé.
Bibliographie
Dignat, Alban. 2016. « L’Indonésie envahit Timor-Est » Herodote. Consulté en Ligne (1 Juin 2017) Url: https://www.herodote.net/7_decembre_1975-evenement-19751207.php
Kingsbury, Damien. 2007. « Timor-Leste: The Harsh Reality After Independence » Southeast Asian Affairs, Vol.2007. Pp.361-377.
Leach, Michael. 2016. « Timor-Leste » The Contemporary Pacific. Vol.28, no.2 pp. 466-473.
Sahin, Selver B. 2011. « Building the nation in Timor-Leste and its implications for the country’s democratic development » Australian Journal of International Affairs. Vol.65, no.2 pp.220-242.