L’Indonésie et ses 158 corrompus

par François-Guy Piché

 

L’Indonésie est un pays qui n’a connu la démocratie qu’à la fin du siècle passé. Cette jeune démocratie a dû revoir ses institutions politiques pour les rendre plus démocratiques. Afin de se démarquer de l’ère hyper centralisée à Jakarta autour de Suharto, l’Indonésie a choisi un modèle hyper décentralisé autour des bupatis et des maires. Malheureusement, la multiplication des postes de leadership n’a pas engendré que des modèles de succès. Entre 2005 et 2010, 158 dirigeants locaux ont été accusés de corruption. Cela représente un élu sur quatre. Les abus des maires et bupatis impactent directement les Indonésiens. Qu’est-ce qui explique la forte corruption qui marque la démocratisation de l’Indonésie ? Le manque de ressource pour la lutte à la corruption et la décentralisation. De plus, ses succès ne sont pas toujours dû au bon travail d’enquêteurs.

Le niveau local et national

Ce billet va se concentrer autour des élus locaux, plutôt que des élus au niveau national. Les élus nationaux sont surveillés et enquêtés avec plus de succès par le KPK (commission d’éradication de la corruption) que les élus locaux bien que la corruption est toujours très présente (Dirk, 2015).

Le manque flagrant de ressources dans la lutte à la corruption au niveau local est un des facteurs qui contribue grandement au phénomène. Le KPK est basé à Jakarta, ces ressources humaines s’y trouvent. Le KPK a connu des enquêtes fructueuses dans les régions moins reculées de l’île de Java et de l’île de Sumatra, mais les provinces plus éloignées sont hors de sa portée. L’absence de personnelle qualifié ou intègre dans ces régions est la cause principale (Dirk, 2015). Dans les régions éloignées, les procureurs, qui sont généralement les premiers choix du KPK pour enquêter, sont soit trop inactifs ou corrompus pour être crédibles et les ONG sont éphémères ou financées par des fonds politiques. En bref, au niveau local, dans les régions éloignées, la lutte à la corruption est faible par manque de ressources.

Les perceptions

Indice de corruption

En 2016, Transparency International a donné une faible cote de 37 à l’Indonésie, classant le pays au 90e rang en égalité avec le Libéria, la Colombie et le Maroc et en légère hausse par rapport à ses cotes précédentes. La cote de Transparency International représente la perception de corruption par la population de ses institutions publiques sur 100. Il faut reconnaitre par la même occasion que, mis à part l’exception de Singapour, les autres pays de l’Asie du Sud-Est ont tous de cotes plutôt basses qui varient entre 49 pour la Malaisie et 28 pour le Myanmar.

Comment une démocratie comme l’Indonésie, avec une stratégie antidictatoriale de décentralisation, peut-elle recevoir une si faible cote? La réponse se trouve partiellement dans la question. La décentralisation de l’Indonésie avait pour objectif de rendre redevables devant leurs électeurs et leur communauté les preneurs de décisions. Or, les résultats de cette stratégie ont été plutôt limités. Il y a des histoires de succès comme à Jembrana sur l’île de Bali (Honorine, 2013). C’est un district très pauvre, le bupati a donc décidé d’instaurer une assurance maladie pour les familles qui leur assure des soins gratuits et des bourses d’études pour les jeunes les plus prometteurs.
Un autre bon exemple se trouve à Solok sur l’île de Sumatra. Une réforme de la bureaucratie a permis de résorber la corruption (Honorine, 2013).

Par contre, il y a beaucoup d’exemples où les élus locaux ont abusé de leurs pouvoirs concentrés. Par exemple, à Gorontalo, sur l’île de Sulawesi, le maire a fait construire une réplique réduite de la tour Eiffel pour plaire à ses électeurs. Le maire de Samarinda, quant à lui, a fait construire un stade de soccer où des joueurs étrangers ont été engagés (Honorine, 2013). Les maires et les bupatis gèrent les budgets de leurs localités. Les dépenses extravagantes se font nécessairement aux dépens d’autres, plus essentielles, comme la réparation d’infrastructures ou le développement économique. De plus, certains profitent au maximum du temps de leur mandat pour s’approprier le plus d’argent possible, offrant des emplois de fonctionnaire à leurs proches ou amis (Honorine, 2013). Ils sont nombreux : entre 2005 et 2010, ce sont 25% des élus locaux qui ont été accusés de corruption.

Les illusions

Vu d’un certain angle, le nombre élevé d’accusations peut sembler rassurant et vouloir refléter un effort de lutte à la corruption. Par contre, comme écrit plus haut, bien que cet effort existe en Indonésie, ce ne sont pas toutes les régions de l’Indonésie qui sont surveillées par les plus hauts standards du KPK. De plus, le taux parfait de 100% de condamnation du tribunal anticorruption d’Indonésie auquel le KPK est associé a été compromis par sa décentralisation en 2009. Un débat sur les effets réels d’une telle mesure fait rage, mais les faits démontrent que la qualité du personnel des tribunaux provinciaux anticorruptions semble avoir baissée. Au court de Kendari, le juge du tribunal anticorruption s’est montré étonné du faible nombre de cas. Or, c’est plutôt dû à l’inaction ou à la corruption du procureur en chef et non à l’honnêteté des officiels de la région (Dirk, 2015).

De plus, les dénonciations au niveau local dans la région éloignée viennent des rivalités politiques. Des bureaucrates ou des politiciens dénoncent des rivaux, afin d’obtenir un avantage pour un poste ou une élection (Dirk, 2015). Ces alliés inattendus de la justice peuvent être pratiques, mais sur le long terme l’Indonésie a beaucoup à faire pour stopper le problème de la corruption qui ralenti son développement social et économique.

 

Bibliographie

 

Honorine, Solenn. 2013. Indonesia : histoire, société, culture. Paris : La Découverte.

Tomsa, Dirk. 2015. « Local Politics and Corruption in Indonesia’s Outer Islands ».

Bijdragen tot de Taal-, Land- en Volkenkunde 171 (no 2-3) : 196-219.

 

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