Depuis le milieu du XXème siècle, le Viêt Nam ne cesse d’améliorer les conditions de vie locale selon les critères internationaux, soit l’espérance de vie et la lutte pour les droits sociaux, dont la condition des femmes est une problématique centrale, en particulier dans le cas vietnamien. En effet, depuis l’avènement du régime communiste dans le pays, le droit des femmes n’a jamais été une priorité pour le gouvernement, plus concentré sur l’amélioration des conditions de vie sanitaires, dans une société très patriarcale. Une des principales preuves de l’évolution des conditions sociales est la baisse du taux de fécondité, l’ISF chute ainsi de 5 enfants par femme en 1979 à 2,3 dans les années 2000 (PRB 2000), soit quasiment le taux de remplacement du couple. Ce qui influence grandement la croissance démographique vietnamienne qui était de 2% en 1990, tombé à 1,4% en 2000 (PRB 2000). Ainsi, dans un pays où les femmes font moins d’enfants il serait logique de penser que la femme vietnamienne, n’ayant plus de foyer nombreux à organiser, s’est détachée du rôle traditionnel de mère de famille pour bénéficier d’une meilleure condition féminine. Cependant, dans le cas particulier du Viêt Nam, on remarque que ces évolutions sociales et démographiques ne sont pas accompagnées par l’évolution des droits et de la position sociale des femmes. On se pose alors la question suivante : quels sont les facteurs capables d’expliquer la position confucéenne réservée aux femmes dans une société qui évolue ? Autrement dit, ce billet cherche à déterminer les structures intellectuelles qui enferment la femme vietnamienne dans cette figure schizophrénique, entre rôle traditionnel et attentes modernes.
Le régime communiste et sa perception des droits de la femme.
Pour Ho Chi Minh les femmes forment la moitié de la société et les écarter des évolutions sociales ne réaliserait l’idéologie socialiste qu’à moitié (Attané, Scornet, 2009). Ainsi le Viêt Nam calque les évolutions féministes chinoises dans les années 60 avec la loi sur le mariage et la famille de 1959 qui interdit enfin le mariage forcé et précoce et exige la monogamie et l’égalité des membres du couple. C’est une avancée importante et très attendue qui s’ajoute à une politique de contrôle des naissances qui vise à stimuler le développement économique vietnamien (Attané, Scornet, 2009). Les politiques de contrôle de la natalité qui avaient pour but d’émanciper la femme ont des effets secondaires pervers dans le pays. Au même titre qu’en Chine, le sexe de l’enfant à naître devient très important pour les foyers, qui partagent la vision de l’enfant mâle comme une fierté et de la petite fille comme un blâme pour la famille, le nom perdu et l’incapacité filiale du père. Aussi, bien que cette évolution de pensée marque un fort écart démographique entre les sexes en Chine, cette différence reste peu visible au niveau des observations sociales au Viêt Nam mais reste très présente dans les mentalités, dans la mesure où une famille donnant naissance à un enfant de sexe féminin reste mal perçue.
Le paradoxe d’une évolution féministe invisible.
Il est également nécessaire de relever l’importance de l’Union vietnamienne des femmes, créée dans les années 1930. Le but de cette organisation maintenue par le régime communiste est d’améliorer la condition des femmes vietnamiennes. Cette structure, couplée aux autres efforts pour l’égalité des sexes, permet de placer le pays au 44ème rang sur 157 pays dans le cadre de l’équité et de la condition des femmes (Schuler 2006). Paradoxalement, la place de la femme dans la société vietnamienne reste dominée par une coercition qui les pousse à se cantonner elles-mêmes dans un rôle traditionnel, plus complexe encore que celui de mère de famille. En effet, il existe une dualité entre deux rôles exigés aux femmes vietnamiennes, dans un premier temps celui de mère de famille, et dans un second temps, celui d’actrices sociales et économiques, soit un rôle moderne (Vo Trung Dung 2007). C’est une schizophrénie étrange qui déchire le rôle de la femme vietnamienne, dont l’ascension sociale est complexifiée par l’hostilité des hommes mais également celle des femmes face à celles d’entre elles qui tentent de s’élever.
Un conflit culturel entre droits et traditions.
Bien que les femmes vietnamiennes soient conscientes de leurs droits et de ceux qu’elles pourraient exiger, Vo Trung Dung (2007), un journaliste vietnamien développe la question d’une coercition tellement forte qu’elle est source d’auto-censure. Effectivement, la femme vietnamienne serait conditionnée par sa condition, par le regard des hommes mais également celui des femmes, ainsi que son propre regard. Autrement dit, la société a conservé une vision rétrograde de la femme, très ancrée dans les mentalités, qui pousse les femmes à oublier leurs droits lorsqu’ils vont à l’encontre de la tradition. Ainsi, selon le même auteur, on peut lister ce que considèrent les hommes vietnamiens comme des qualités féminines, qui se résument à la docilité, la douceur, l’abnégation, la propension au sacrifice ou encore la soumission. Tant de mots parmi lesquels aucun ne semblerait juste à une femme de la norme européenne. C’est une condition complexe qui plie la femme vietnamienne qui doit chercher la réussite sociale et professionnelle, comme l’exigent les attentes modernes, mais tout en restant soumise à une position qui lui est imposée par l’homme vietnamien.
Bibliographie
Attané, Isabelle. Scornet, Catherine. 2009. « Vers l’émancipation ? ». Dans « État, Travail, Famille, conciliation ou conflit ? » numéro 46, pp 129-154.
Haub, Carl. Thi Thu Huong, Phuong. 2000. « Population et développement au Vietnam ». Pour Population Reference Bureau.
Schuler, Sidney Ruth. Septembre – Octobre 2006. « Constructions of Gender in Vietnam: In Pursuit of the ‘Three Criteria’ ». Dans Culture, Health & Sexuality Vol. 8, No. 5 pp. 383-394.
Vo Trung Dung. 2007. « La femme vietnamienne entre Confucianisme et Modernité #02 ».
Iconographie
La tenue traditionnelle féminine, encore très portée : le Ao Dai