Par Paola Vegas
En Indonésie, la période post-colonialiste du 20ème siècle fut marquée par une série de tentatives de mise en place de la démocratie dans le pays. Ce projet ne réussit à aboutir qu’à la fin des années 90. Cela fut notamment possible depuis la chute du dictateur Suharto, qui organisait des élections truquées et se servait d’un parlement totalement inefficace. En ce sens, notre billet cherchera à étudier de quelle manière la transformation de régime politique fut possible, passant d’un régime autoritaire à une république présidentielle, tout en reconnaissant qu’il existe quelques limites aux changements effectués. En premier lieu, nous nous tournerons vers l’importance de la montée de l’opposition nationale au régime, notamment les diverses ethnicités du pays. Ensuite, nous tenterons de cerner quels sont les défis que l’Indonésie doit encore surmonter.
Comment passer d’un régime autoritaire à une république ?
Depuis sa prise du pouvoir en 1971, Suharto a organisé de manière régulière des élections qui, sous son régime militaire et jusqu’à sa démission en 2015[1], produisaient de manière systématique une majorité de 2/3 au parlement Indonésien. Cela signifie qu’il n’existait pas de réelle opposition au pouvoir, ou du moins que si résistance il y avait, elle n’arrivait pas à faire un score signification significatif aux élections législatives.
Cependant, nous pouvons noter que depuis le début des années 2000, un certain renforcement de l’opposition au régime militaire. En effet, entre 1998 et 2001, au moment du pic de la résistance à Suharto, de nombreuses ethnicités, comme les musulmans du pays, se sont prononcés contre son régime et ont commencés à se mobiliser contre celui-ci. Par exemple, il y eu la formation de « milices ethniques et d’organisations civiles » (Aspinall 2011, 294). Ces mouvements cherchaient à pousser le chef du gouvernement à la démission, notamment à cause de la « grave crise économique » (Cochrane 2011) qui a touché le pays depuis 1998.
L’importance de l’opposition de différentes ethnicités du pays signifie que les mouvements citoyens d’oppositions au gouvernement en place ont réussi à faire entendre leurs voix. En effet, cela nous montre bien que ceux-ci ont réussi à s’organiser, se mobiliser et faire porter leurs revendications pour amener un changement réel dans le pays. Ces arguments nous démontrent bien que le passage d’un régime autoritaire à une démocratie reste l’oeuvre du grand public. En effet, pour que de tels changements résistent dans le temps, ils doivent venir du bas, pour ensuite être transmis aux dirigeants du pays.
Les limites de la nouvelle démocratie
Cependant, il est important de noter qu’à la suite de cette mobilisation provenant des diverses communautés ethniques de l’Indonésie, de nombreux conflits ethniques apparurent. En effet, les différentes communautés qui avaient combattues Suharto voulaient désormais se trouver une place sur la scène politique indonésienne. Mais cet épisode de violence ne fut que passager. Une fois la démission du président obtenue, les différents groupes ethniques se sont à nouveau concentrés sur des enjeux plus régionaux. En effet, comme l’explique Spinall, « les identités ethniques sont primordiales pour les élections locales, mais laissées de côté pour les élections nationales » (2011, 297). Cela peut notamment être expliqué par le fait que les organisations ethniques manquent de moyens pour faire valoir leurs idées sur l’ensemble du pays, ou le fait que le pays regroupe près de 6 grands groupes ethniques différents : musulmans traditionnels et modernes, catholiques, protestants, hindous et bouddhistes.
De plus, il est important de signaler le fait que même s’il existe de nombreux faits qui pourraient inculper Suharto de corruption, il n’a pour le moment jamais été mis en examen, ni même inquiété de l’être un jour. Cela montre ici que les politiques et les pouvoirs publics du pays doivent encore progresser en terme de responsabilisation de la vie politique.
Enfin, il faut souligner que depuis la mise en place d’élections démocratiques dans le pays, le nombre d’électeurs « est passée de 90% en 1999 à 70% en 2009 » (Laksama 2009). De plus, les électeurs semblent avoir perdu la confiance envers leurs élus qui s’était installée après la démission de Suharto. En effet, étant donné que la démocratie fut imposée selon une dialectique du haut vers le bas, il fut « impossible pour les organisations citoyennes de prendre racine » (Lakama 2009) dès les premières années du nouveau système politique. En outre, « l’augmentation de la pauvreté et le manque de volonté ou de capacité à mettre en place des réformes économiques » (Ramage 2007, 151) n’ont fait qu’augmenter le sentiment que le gouvernement n’arrive pas à répondre aux besoins de la population, notamment en matière de politiques économiques et sociales. Certains citoyens vont même jusqu’à dire que la politique économique de Suharto était meilleure, de par le « sauvetage économique et social » (Cochrane 2013) du pays qu’il a effectué dans les années 60.
En somme, nous pouvons dire que la démocratie indonésienne doit encore relever trois défis pour atteindre l’idéal que les citoyens avaient en tête lors des soulèvements contre Suharto. Le premier est de réussir à éradiquer la corruption encore présente dans la bureaucratie, plus particulièrement dans les sphères les plus hautes du gouvernement. Ensuite, il est important de renforcer la participation électorale, afin de s’assurer que les citoyens du pays demeurent confiants envers ces institutions.
Même si l’Indonésie demeure un bon exemple d’une bonne transition d’un régime militaire et autoritaire et démocratique, notamment à travers l’implication des minorités ethnique présentent dans le pays, il est primordial de bien saisir que la tâche est loin d’être accomplie. Par exemple, la responsabilisation de la vie politique est encore un concepts qui n’est que très peu appliqué dans le pays.
[1] Pour voir la déclaration qui a marqué l’histoire récente du pays : https://www.youtube.com/watch?v=wD_qtiW2da0
Bibliographie
Aspinall.E. 2011. « Democratization and Ethnic Politics in Indonesia: Nine Thesis ». Journal of East Asian Studies. 11 : 289-319.
Aspinall.E. 2010. « The irony of sucess ». Journal of Democracy. 21 (avril) : 20-34
Cochrane.J. 2013. « Indonesian Strongman’s Legacy Remains a Matter of Debate ». The New York Times. En ligne : http://www.nytimes.com/2013/05/20/world/asia/suhartos-indonesian-legacy-15-years-later.html
Laksmana.E.A. 2009. « Is Indonesia Really a Democracy? ». Foreign Policy Group. En ligne : http://foreignpolicy.com/2009/11/10/is-indonesia-really-a-democracy/
Ramage.D.E. 2007. « Indonesia: Democracy First, Good Governance Later ». Journal of Democracy. 1 : 133-157
Iconographie
(A) »The new face of Indonesian Democracy ». 2014. Times. En ligne : http://time.com/3511035/joko-widodo-indonesian-democracy/