Par Julie Noyer
La violence à l’égard des femmes est une réalité quotidienne, concrète et tragiquement banale. Au delà de la violence physique qu’un homme peut porter à une femme, il existe un autre type de violence, parfois intangible et souvent capable, à elle seule, de contrôler la liberté et la sexualité des femmes. Cette violence qui dérange, c’est l’ignorance et l’inaction de l’État à l’égard d’une condition féminine qui peine à s’épanouir à force de lutter contre discriminations culturelles, disparités patriarcales de pouvoir et inégalités économiques (Nations Unies 2000).
En Asie du Sud Est, chacun des États est imprégné, à différents niveaux et de différentes manières, de l’influence de ces facteurs discriminatoires. Mais plutôt que de s’enfermer dans des stéréotypes ou des généralisations abusives, intéressons nous concrètement à l’évolution de la protection des droits civils et sociaux des femmes en Asie du Sud Est depuis le début des années 1980. Ce premier billet introductif annonce la publication de six autres textes par lesquels nous tenterons de comprendre les conditions des femmes de la région et la promotion et la défense des droits des femmes. à travers l’examen de six États de la région, soit la Birmanie, l’Indonésie, le Vietnam, les Philippines et la Thaïlande
La promotion et la défense des droits de la femme
La subordination des femmes a ceci en particulier est qu’elle englobe tellement de domaines de la vie privée comme ceux de la vie publique qu’il est aisément possible de la discréditer à l’aide en citant tels ou tels cas exemplaires où les femmes sont pleinement égales aux hommes. Cependant, la vaste majorité des femmes du monde ne connaissent pas encore cet idéal paritaire. La reconnaissance des droits et l’égalité entre les genres caractérisent encore et toujours les luttes de la communauté internationale et des mouvements féministes.
En plein cœur de la Décennie des Nations Unies pour les femmes (1976-1985) de nombreux pays de la région s’engagent à mettre en œuvre la Convention de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) adoptée le 18 décembre 1979 par l’Assemblée générale des Nations Unies et entrée en vigueur en tant que traité international le 3 septembre 1981 (HCDH 1981).
Comme Olympe de Gouges a pu le faire en 1791 avec sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (Jouve 2006, 176), la CEDEF tient à abolir le caractère passif qu’occupe les femmes dans la Charte des Nations Unies adoptée en 1945. Cette déclaration constitua une avancée majeure pour le respect des droits de la personne, des libertés fondamentales et de l’égalité des individus sans distinction de race, de sexe, de langue et de religion. Mais comment pouvions-nous espérer qu’une telle déclaration vienne bouleverser des siècles d’us et coutumes à l’origine de la discrimination sexuée que les femmes subissent? Ce fait incontestable est au cœur des revendications de la CEDEF et a d’ailleurs été soulevé lors des différentes Conférences mondiales sur les femmes.
La première de ce cycle de conférences eut lieu en 1975 à Mexico où s’initia un dialogue mondial concernant la promotion des femmes dans le combat pour l’égalité (Dossier de presse des Nations Unies 2000). À ce stade, la discrimination selon le sexe est uniquement reconnue comme facteur capable de freiner l’épanouissement et le développement des femmes dans les sociétés. Le Plan d’action mondial pour les femmes a reconnu la nécessité de mettre en œuvre des programmes éducatifs afin de résoudre les conflits familiaux, premier lieu de discrimination féminine. Une deuxième conférence durant la décennie des Nations Unies pour les femmes eut lieu à Copenhague en 1980 afin d’examiner les progrès réalisés depuis Mexico et plus particulièrement l’impact de la Convention CEDEF (Nicolas 2005). À ce moment-là, les États participants ont pu prendre réellement conscience de l’ampleur des enjeux liés à la discrimination sexuée et ont choisi de démontrer leur engagement ainsi que leur capacité à mettre en place un processus d’évaluation efficace. Par la suite, la Conférence mondiale à Nairobi de 1985 a été chargée « d’examiner et d’évaluer les résultats de la décennie » (Nicolas 2005). Avec 150 000 participant-es aux forums parallèles des ONG, cette troisième conférence « témoigne du fait que le mouvement des femmes est devenu une force internationale de proposition » (Nicolas 2005). Enfin, en 1995, la quatrième Conférence mondiale sur les femmes à Beijing, s’est attachée à élaborer un nouveau programme d’action. Dans la foulée de la CEDEF, ce programme devient « un cadre de référence, tant pour l’action gouvernementale nationale, que pour celle des organisations de la société civile et des partenaires du développement » (Nicolas 2005). En d’autres termes, les signataires s’engagent à intégrer la notion du genre dans tous les domaines de leur action gouvernementale. De ce fait, ils reconnaissent qu’en « raison de facteurs historiquement et socialement construits, les femmes et les hommes ont des priorités et des besoins différents, qu’ils et elles font face à des contraintes différentes et qu’en raison de facteurs sociaux, économiques, culturels, leurs aspirations et contributions au développement ne s’expriment pas automatiquement de la même façon » (Nicolas 2005).
De manière plus explicite, la CEDEF soutient l’égalité entre les hommes et les femmes, dans les règles comme dans les faits, vue comme une exigence primordiale au développement, à la paix et au bien être du monde. Elle réclame la participation maximale des femmes à la vie en société et reconnaît qu’elles font l’objet d’importantes discriminations tant dans leur vie privée que publique. Ces inégalités sont mises en lumière grâce à la définition claire de la discrimination à l’égard des femmes dans l’article premier selon laquelle elle « vise toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance ou l’exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine » (Junter 2011, 89).
Cette définition impose un cadre inaltérable aux États, les incitant à mener des interventions efficaces et surtout, durables. Concrètement, ils s’engagent à prendre toutes les mesures législatives nécessaires pour assurer la protection juridique des femmes par rapport aux hommes (Dossier de presse des Nations Unies 2000). Cela nécessite entre autres, d’analyser, s’il y a lieu, le caractère discriminatoire de la Constitution nationale à l’égard du principe de l’égalité. L’interdiction de discrimination sexuée passe ainsi par la mise en place de moyens coercitifs si celles-ci ne sont pas respectées. Pour une efficacité complète, ces sanctions sont applicables à toutes les échelles, tant privées que sociales de la vie des femmes afin d’assurer son développement. Les pays signataires sont ensuite soumis à l’évaluation de la part d’un Comité pour l’élimination et la discrimination à l’égard des femmes et s’engagent à présenter au Secrétaire générale des Nations Unies, un rapport sur les mesures d’ordre législatif, administratif ou autre qu’ils ont adoptés.
Mais la tâche la plus ardue reste la modification des « schémas et modèles de comportement socio-culturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes. » (Dossier de presse des Nations Unies 2000). Le défi qui s’impose pour les États qui s’engagent est de mettre en avant la légitimité des principes de la Convention pour permettre la remise en cause des entraves à l’égalité qu’entretiennent certains modèles sociaux et religieux. Pour cela, il est primordial d’intégrer la dimension du genre, au-delà des inégalités entre les sexes, et saisir comment le genre s’imbrique dans la société, dans son histoire, ses institutions, et ses modes de fonctionnement. En ce sens, le genre est une construction sociale, un processus relationnel et un rapport de pouvoir présenté souvent comme naturel pour justifier la prédominance masculine pour la femme.
Par ailleurs, la CEDEF insiste particulièrement sur la nécessité de prendre des mesures dans les domaines cités puisqu’ils font partie de la socialisation des femmes. Il est important de comprendre qu’un tel combat ne s’adresse pas uniquement aux hommes puisque les femmes dès leurs plus jeunes âges, adhèrent inconsciemment à cette conception stéréotypée de leur rôle au sein de la société. Les schémas patriarcaux auxquels assiste une jeune fille dans son enfance sont forts des générations par lesquelles ils ont pu prendre place dans les mœurs.
L’Asie du Sud Est et les droits des femmes
Dans la plupart des pays d’Asie du Sud Est, la femme est avant tout perçue et valorisée comme mère, femme au foyer et épouse alors que l’on s’attend que le mari soit responsable de subvenir aux besoins économiques de sa famille. De nombreux États ont notamment émis des réserves quant à l’application de certaines mesures inconciliables avec des engagements sociaux et religieux. Ainsi, on retrouve différentes entraves à la parité en ce qui concerne les droits des femmes en terme d’éducation, de mariage, de santé, de vie économique et sociale et de rapports familiaux.
Aujourd’hui, tous les pays d’Asie du Sud Est ont ratifié la CEDEF en s’engageant pour les femmes de leurs pays. Ils ont aussi pris part aux débats et protocoles menés dans le cadre des troisième et quatrième conférences sur les femmes à Nairobi et à Pékin de 1990 à 1995 (Dossier de presse des Nations Unies 2000).
Dans les billets suivants, nous nous intéresserons aux cas de la Birmanie, de l’Indonésie, du Vietnam et des Philippines et de la Thaïlande en raison de la diversité des appartenances religieuses, de leurs trajectoires politiques et de leurs métissages culturels. En prenant pour base juridique les principes de la CEDEF, notre regard portera particulièrement sur les acquis ou les reculs des gouvernements nationaux dans leur combat pour la parité homme-femme. Il s’agira d’apporter une vision globale et évolutive du respect de la non discrimination selon le sexe au sein de la région. À l’occasion de sa 64ème édition, le Comité d’experts a notamment dû examiner les rapports des États parties, y compris ceux de la Birmanie et des Philippines (CEDAW 2016). Notre objectif ultime est de démontrer que la discrimination et la violence à l’égard des femmes ne sont ni immuables ni inévitables. Aussi utopique que cela puisse paraître, il suffirait que la condition féminine figure parmi les objectifs premiers des États pour qu’un réel changement s’amorce. Il nous apparait que si ces derniers veulent réellement le bien être de l’ensemble des citoyens, ils doivent comprendre que cela passe avant tout par le respect et l’intégrité envers ses semblables. Peu importe leur sexe.
Bibliographie
Achin, Catherine et Laure Bereni. 2013. Dictionnaire. Genre et science politique. Paris : Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.).
Haut commissariat des Nations Unies sur les droits de l’Homme. 1981. Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Genève : Secrétariat des Nations Unies. En ligne.http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CEDAW.aspx (page consultée le 26 janvier 2016).
Jouve, Edmond. 2006. « Marie-Olympe de Gouges enfant du Quercy ». Dans Carmen Boustani et al., Des femmes et de l’écriture. Paris : Éditions Khartala : 175-181.
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Nicolas, Yveline. 2015. « Historique des conférences internationales ». Site de l’Association Adéquations. En ligne. http://www.adequations.org/spip.php?article930 (page consultée le 22 février 2017) : 1-8.