Par Vivien Cottereau
En 1998, le régime de Suharto, grandement éprouvé par la crise économique de 1997 et par ses conséquences désastreuses, vole en éclat après avoir accaparé le pouvoir pendant plus de trente ans. Son successeur, Jusuf Habibie, hérite d’un État en proie à la division et à l’insurrection [1], et n’a d’autre choix que d’ouvrir les portes de l’Indonésie à la démocratie en rétablissant notamment la liberté de presse, le multipartisme et la tenue d’élections libres et régulières. Dans ce billet, nous verrons que l’affaiblissement du pouvoir central, puis la démocratisation, ont permis la montée de revendications autonomistes en Indonésie.
Après la chute de Suharto, le gouvernement de transition rénove les institutions existantes afin de les conformer à la pratique démocratique, ce qui aboutit entre autres à la création de la Commission Générale des Élections et d’une Cour Constitutionnelle. Au premier abord, ce processus semble aujourd’hui avoir porté ses fruits, comme en témoigne la réussite successive de trois cycles électoraux. En outre, l’élection récente de Joko Widodo, en marquant une rupture définitive avec l’ère de Suharto, peut être interprétée comme un signe encourageant pour la jeune démocratie indonésienne. On peut également ajouter que l’on retrouve dans le système politique indonésien les cinq caractéristiques d’une démocratie de grande taille élaborées par le politologue Robert Dahl, parmi lesquelles se trouve notamment la tenue d’élections libres et régulières [2].
Pourtant, malgré la réussite apparente du processus de démocratisation, celui-ci a permis à certaines régions d’envisager leurs indépendances vis-à-vis de l’Indonésie, et ce pour des raisons diverses. Il faut préciser qu’il existe dans ce pays un clivage entre Java, où se situe le centre du pouvoir, et le reste de l’archipel [3]. Ce dernier s’est fait particulièrement ressentir à la suite de la chute du régime autoritaire de Suharto, car certaines régions ont profité de l’affaiblissement de l’État central pour réclamer leur autonomie vis-à-vis de Jakarta, laissant alors planer le risque d’une désagrégation territoriale. Le cas du Timor Oriental en est un parfait exemple car, annexé sous le régime de Suharto en décembre 1975, ce n’est qu’à la faveur de la chute de ce dernier qu’il peut de nouveau envisager l’indépendance.
La reprise économique de l’Indonésie, frappée de plein fouet par la crise économique, dépend alors de l’aide occidentale, qui n’a jamais reconnu cette annexion. En conséquence, Habibie se retrouve dans l’obligation de proposer un référendum aux timorais, leur permettant de choisir entre l’intégration ou l’indépendance. La majorité des électeurs se prononce en faveur de l’indépendance. L’armée, peu désireuse de voir l’unité indonésienne remise en question par ce résultat, se livre en réponse à de véritables atrocités, et réduit la majeure partie du Timor oriental en cendre [4]. Une force internationale de maintien de la paix (Interfet), sous commandement australien, est alors envoyée pour résoudre la situation. La perte du Timor est perçue comme le début d’un processus d’explosion du pays. Suite à cet échec, Habibie est empêché par le Parlement de briguer sa propre succession et est remplacé par Abdurrahman Wahid.
Cet événement paraît avoir contribué à exacerber le séparatisme d’autres régions, car il est suivi de la montée de revendications autonomistes dans les régions de l’Aceh et de la Papouasie. Bien que leurs origines soient différentes, ces conflits séparatistes peuvent être comparés au cas du Timor dans la mesure où ils se déroulent pendant la période de démocratisation indonésienne consécutive à l’affaiblissement du pouvoir central. La lutte d’indépendance de l’Aceh, menée par le mouvement pour un Aceh Libre (GAM), s’explique par le désir de cette province de mieux profiter des retombées financières de l’exploitation de ses ressources naturelles. Néanmoins, elle trouve une issue inattendue après qu’un tsunami dévaste la région en décembre 2004. L’aide occidentale, alors dépêchée sur place, limite la capacité de l’armée indonésienne et du GAM à mener des opérations militaires, et permet l’ouverture de négociations [5]. Un accord, adopté en 2005, met un terme au conflit, et prévoit un statut d’autonomie spécial pour l’Aceh.
En Papouasie, la situation est encore différente. Occupée par l’Indonésie en 1963, puis rattachée à l’archipel en 1969 après un référendum contesté, elle est la région la plus pauvre du pays, bien qu’elle dispose de très grandes richesses naturelles. L’organisation pour une Papouasie Libre est l’une des principales organisations revendiquant l’indépendance de cette région [6]. Néanmoins, les groupes séparatistes font face à une brutale répression de la part de l’armée indonésienne, qui ne souhaite pas voir l’unité du pays remise en question une fois de plus. Aujourd’hui, la situation est encore loin d’y être résolue, même si l’hypothèse d’une sécession est improbable.
Afin de maintenir l’unité de l’Indonésie suite à l’effondrement du régime de Suharto, la décentralisation s’est imposée comme une solution pour permettre aux régions de bénéficier des retombées du processus de démocratisation et pour calmer les revendications autonomistes émanant des différentes provinces. Jusque là, l’Indonésie était l’un des États les plus centralisé au monde [7]. Démarrée dans la précipitation par le gouvernement de transition d’Habibie, la décentralisation s’est poursuivie au fil des gouvernements successifs. Si elle n’est pas toujours regardée comme une réussite, et qu’elle n’a pas forcément permis de calmer certaines velléités autonomistes, elle témoigne tout de même de la volonté de Jakarta de maintenir l’unité indonésienne, quitte à déléguer une partie de son pouvoir.
Bibliographie
[1] ; [7] Patriat, Luc. 2007. « La décentralisation indonésienne. Une expérience de démocratisation radicale et chaotique », Note de l’Irasec
[2] Dahl, Robert. 2005. « What political institutions does large-scale Democracy require ? », Political Science Quarterly, vol. 120
[3] Guillet, Jean-Jacques et Bui, Gwenegan. 2013. « Les émergents d’Asie du Sud-Est ». France : Commission des affaires étrangères
[4] Chomsky, Noam. 2004. De la guerre comme politique étrangère des Etats-Unis. Marseille : Agone
[5] Waizenegger, Arno. 2007. « Séparatisme armé et tsunami dans l’Aceh en 2004 » Commentaire Canada-Asie n°43
[6] Amalric, Jacques. 2006. « La Papouasie, annexée à jamais ? », 4 mai, Libération