Par Sarah A. Riel
Même si la Thaïlande est étroitement associée au bouddhisme, le pays est membre de l’Organisation de la Conférence Islamique depuis 1998. En effet, il existe une minorité musulmane qui revendique une autonomie régionale dans le sud du pays (comme c’était le cas durant la colonisation britannique), et cela depuis les années 40[1]. Leurs revendications ont fait l’objet de différentes réponses de la part du gouvernement thaï, et la répression contre les mouvements séparatistes fut d’elles. Comment expliquer cette réticence et cette violence de la part de l’État thaïlandais ?« Du fait de ses origines variées, la religion musulmane a longtemps été perçue comme une religion importée qu’il fallait respecter en tant que telle mais qui néanmoins restait étrangère au pays »[2]. Il faut dire que la Thaïlande est majoritairement composée d’une population bouddhiste (à 90%). Par conséquent, l’idéologie du pays est basée sur une identité thaïe, qui implique minimalement une adhésion au bouddhisme. Or, la pratique de la dévotion bouddhiste est plutôt souple. Cet environnement culturel affecte la pratique de la piété de la minorité musulmane, qui n’observe plus aussi scrupuleusement ses rites. La scolarité est tout autant un problème, puisque de nombreux jeunes musulmans doivent concilier une éducation fortement marquée par les valeurs bouddhistes à un environnement familial musulman[3]. D’ailleurs, de plus en plus d’universitaires ou de personnalités musulmanes discutent d’une législation particulière sur le domaine de l’éducation : leurs élus ne cessent de déposer des amendements qui sont pour l’essentiel rejetés[4].
Le Sud de la Thaïlande est connu pour son conflit séparatiste dans la région de Pattani, qui est majoritairement occupée par des malais et des musulmans. Le royaume de Pattani, alors possession malaise, est annexé par le Siam en 1771. C’est dans cette région que les commerçants indiens et arabes développèrent des marchés florissants. En 1909, la Grande-Bretagne et le Royaume du Siam se partagent ces territoires malais : les provinces de Pattani, de Yala et de Narathiwat étant désormais rattachées au Siam[5].
Depuis son indépendance formelle (par les militaires) en 1936, une série d’initiatives ultra-nationalistes ont été menées afin de distinguer les « vrais » thaïs des minorités, et ce afin d’assimiler graduellement les Malais et les musulmans du Sud[6]. Depuis les années 40, le Sud de la Thaïlande est revendiqué par plusieurs mouvements séparatistes, dont le Pattani United Liberation Organization (PULO) et le Barisan Revolusi Nasional (BRN)[7].
C’est lors des années 2000 que le conflit s’intensifie : les groupes armés vandalisent les institutions publiques, mais s’en prennent aussi aux moines bouddhistes[8]. Plus de 6400 personnes ont été tuées dans une « guerre » opposant l’armée de Bangkok aux partisans de l’indépendance[9]. Les médias thaïs tendent à montrer une image violente du Sud de la Thaïlande, en proie à des attentats terroristes[10]. Cependant, il convient d’être prudent, d’autant plus que l’on tend à confondre les militaires et les séparatistes dans des registres politiques. Même si certains de ces groupes armés entretiennent des rapports étroits avec le Front islamique (Philippines) et certains mouvements islamiques d’Aceh (Indonésie), leurs projets politiques restent flous, masqués par leurs revendications d’un État islamique basé sur la charia.
Les politiques du gouvernement envers les provinces du Sud (si elles n’étaient pas explicitement répressives) ont été élaborées afin de forcer l’intégration, et ce pour que les musulmans s’adaptent au modèle général promu par la société thaïe avec la promotion de la langue thaïe[11]. Comme il a été dit précédemment, il est difficile de conclure sur la sortie du conflit, qui s’avère complexe, car il tire ses origines d’une annexion territoriale, qui semble étrangère de l’histoire thaïe. Plus concrètement, l’État thaïlandais semble faire la sourde oreille aux revendications de la minorité musulmane, d’autant plus que certaines factions revendiquent un contrôle exclusif d’une partie du territoire.
Bibliographie
Dubus, Arnaud et Sor Rattanamanee Polkla. 2011. Policies of the Thai State Towards the Malay Muslim South (1978-2010). Bangkok : Irasec.
Gilquin, Michel. 2002. Les musulmans de Thaïlande. Bangkok : Irasec.
Haquet, Charles. 2015. « Thaïlande, la guerre oubliée ». L’Express. En ligne. http://www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/thailande-la-guerre-oubliee_1702979.html
Valat, Rémy. 2013. « Le retour des moines guerriers : la question islamiste en terre bouddhiste ». Metamag. En ligne. http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2Fwww.metamag.fr%2Fmetamag-1447-LE-RETOUR-DES-MOINES-GUERRIERS.html
Yong, Kee Howe. 2014. « Staging history for Thailand’s far south: fantasy for a supposedly pliant Muslim community ». Social Identities 20 (2-3): 171-185
[1] Michel Gilquin, p. 9.
[2] Michel Gilquin, p. 33.
[3] Michel Gilquin, p. 41.
[4] Michel Gilquin, p. 43.
[5] Charles Haquet.
[6] K. H. Yong, p. 172.
[7] Rémy Valat.
[8] Michel Gilquin, p. 132.
[9] Charles Haquet.
[10] Michel Gilquin, p. 132.
[11] Arnaud Dubus et Sor Rattanamee Polkla, p. 103.