Le paradis transgenre : apparences trompeuses

Par Sarah A. Riel

Miss Tiffany Universe 2016

Jiratchaya Sirimongkolnawin a été couronnée Miss Tiffany’s Universe 2016, le concours de beauté des transgenres[1]. L’un des concours de beauté les plus populaires en Asie du Sud-Est tenu en Thaïlande depuis 1998, il suit les mêmes procédés qu’un concours de beauté traditionnel, avec défilés en maillot de bain et robes de soirée[2]. Plus concrètement, la gagnante reçoit un prix en argent, soit l’équivalent d’une année de salaire, une voiture, ainsi qu’une reconnaissance plus large de la communauté thaïlandaise[3]. Même si les transgenres sont de plus en plus visibles dans les médias et la société thaïlandaise, et même si la Thaïlande semble être un des pays les plus ouverts aux droits LGBT, certains problèmes subsistent au niveau de la représentation publique : pourquoi sont-ils encore marginalisés par les milieux professionnels et l’État ?

En Thaïlande, les transgenres sont désignés par le mot kathoey, qui signifie « personne ayant à la fois le sexe masculin et le sexe féminin ou personne ayant l’esprit et la manière d’être opposé à son sexe d’origine »[4]. Auparavant, ce terme couvrait plusieurs catégories sexuelles et du genre : il comprenait autant les hermaphrodites que les travestis, les intersexués, les homosexuels que les femmes qui se comportent en hommes. C’est à partir des années 60 que les homosexuels commencent à emprunter des termes anglais en contact avec les sociétés occidentales, comme gay pour se distinguer de la figure féminine et connotée négativement de kathoey. Le mot gay s’est ainsi répandu dans le langage populaire, et a engendré une redéfinition des catégories de sexe et de genre. Ce terme s’est efféminé, et a pris le sens de sao-praphet-song ou « femme du second type ». Désormais, kathoey désigne spécifiquement « les personnes mâles qui adoptent le genre féminin ou qui ont subi l’opération de réassignation de sexe »[5].

Les autorités ont tendance à marginaliser les kathoeys, et les milieux professionnels sont réticents à négocier leur visibilité. Par exemple, en 1996, la politique du Ministre de l’Éducation interdisait l’entrée des kathoeys dans les universités en prétextant qu’ils servaient de mauvais exemples pour les enfants. En juin 2008, les médias ont rapporté l’existence de toilettes transgenres dans une école thaïe. Ces toilettes avaient été construites suite à un sondage mené auprès des étudiants qui révélait qu’approximativement 200 d’entre eux s’identifiaient en tant que transgenre. Ces facilités avaient pour but d’accommoder l’inconfort de certains étudiants, prouvant la tolérance unique pour la diversité sexuelle et de genre de la Thaïlande. En réalité, ces accommodements avaient été réalisés pour sauver l’image de l’école en question, en permettant aux deux sexes de partager les toilettes[6].

La religion bouddhiste explique pour beaucoup le mépris envers les kathoeys : une personne naît transgenre ou gay pour les mauvaises actions de sa vie passée. Par conséquent, les personnes transgenres ne méritent pas de compassion[7].

La loi ne leur permet pas de se marier avec un homme, puisqu’il n’existe aucune loi qui l’autorise. Il leur est aussi difficile de voyager car leur passeport et leur carte d’identité indiquent toujours qu’elles sont des hommes. Elles rencontrent également des problèmes dans le domaine professionnel : certaines d’entre elles essuient des refus de la part des employeurs pour leur parcours transgenre, et sont donc obligées de se tourner vers des milieux plutôt réservés aux femmes, tels que l’esthétique, la coiffure, le maquillage, la danse ou la prostitution, là où elles sont acceptées, et même valorisées. Il leur est difficile de percer dans des milieux professionnels sérieux, tels que la politique ou l’enseignement ; elles subissent encore les mauvaises représentations sociales, les moqueries et le mépris.[8] Dans les années 2005-2006, les transgenres qui s’enrôlaient dans le service militaire étaient aussi victime de discrimination. Les employeurs potentiels avaient le droit de vérifier ces papiers légaux sur lesquels étaient inscrits « psychose » comme raison de leur décharge[9].

En 2007, des activistes des droits sexuels ont déposé un projet de loi incluant des amendements à la constitution. Leurs demandes incluaient la non-discrimination, le mariage de même sexe, les droits d’héritage pour les couples de mêmes sexes[10]. Cependant, le vote a été défait par l’Assemblée nationale, reculant l’adoption d’une nouvelle constitution. Il reste encore beaucoup à faire pour le pays : même si les transgenres sont tolérés, ils ne sont pas nécessairement acceptés, vu l’absence de lois les protégeant ou les incluant dans la société thaïlandaise.

 

Bibliographie

« Fashion graduate crowned Miss Tiffany’s Universe ». 2016. Bangkok Post. En ligne. http://www.bangkokpost.com/news/general/972793/fashion-graduate-crowned-miss-tiffanys-universe

Glanfield, Emma. 2016. « ‘We are not a laughing stock – we are people’: Revealing look inside the world’s biggest transgender beauty pageant in Thailand which offers cash prizes – and acceptance – for its winners ». Daily Mail. En ligne. http://www.dailymail.co.uk/news/article-3551163/Tanned-toned-catwalk-ready-Miss-Tiffany-s-Universe-candidates-honed-bodies-swimwear-round-world-s-popular-transgender-beauty-pageant.html#ixzz4CDa2cxRJ

Likhitprechakul, Paisarn. 2016. « Thailand: the Tale of the Pink Toilet – Transgender Rights in Thailand ». Outright Action International. En ligne. https://www.outrightinternational.org/content/thailand-tale-pink-toilet-transgender-rights-thailand

Ocha, Witchayanee. 2013. « Rethinking Gender: Negotiating Future Queer Rights in Thailand » Gender, Technology and Development 17 (1): 79-104

Thongkrajai, Cheera. 2010. « Kathoey, un genre multiple : le processus d’adaptation et de négociation identitaire des transsexuels MTF de Thaïlande ». Recherche en sciences humaines sur l’Asie du Sud-Est 16 (2) : 157-174

[1] Bangkok Post.

[2] Emma Glanfield.

[3] Emma Glanfield.

[4] Cheera Thongkrajai 158.

[5] Cheera Thongkrajai 159.

[6] Paisarn Likhitpreechakul

[7] Paisarn Likhitpreechakul

[8] Cheera Thongkrajai 160.

[9] Paisarn Likhitipreechakul.

[10] Paisarn Likhitpreechakul.

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