Par Jacqueline Poncet
En France, on parle de bidonvilles, au Brésil de favelas, et en Indonésie de kampungs. Le développement des villes-monde des dernières décennies est marqué par la dualité du paysage urbain. La capitale indonésienne n’échappe pas à ce schéma, et rencontre de nombreux obstacles à son développement. Les défis sont tels qu’il est régulièrement question de déménager la capitale(1). Autrefois ville coloniale, Batavia est renommée Jakarta à l’indépendance. Elle se situe à l’extrémité nord-ouest de l’ile de Java où le le fleuve Ciliwung se jette dans la baie de Jakarta. La ville intra-muros couvre désormais une superficie de 664km² pour une population d’environ dix millions d’habitants. Le grand Jakarta, ou plutôt la mégapole Jabodetabek, contraction pour Jakarta, Bogor, Depok, Tangerang, Bekasi, prend une toute autre dimension. L’agglomération couvre plus 5 800km² et regroupe près de 28 millions d’habitants (2). Il s’agit de la plus grande ville d’Asie du Sud-Est, et l’une des plus grandes agglomérations urbaines du monde.
Comment peut-on expliquer l’expansion aussi rapide et intense de la capitale Indonésienne, et quels défis engendrent une telle croissance incontrôlée ?
zone urbaine et périurbaine de Jakarta-(3)
À partir de 1960, la capitale indonésienne débute sa croissance. Sa ceinture intra-muros commence à se faire étroite, et sa population augmente années après années. Les régions péri-urbaines attirent de plus en plus de migrants. Ces derniers viennent aussi bien d’autres villes moins dynamiques que des campagnes. La raison principale de cet attrait se résume à un mot: le travail. La capital attire les hommes et les femmes de tous les horizons qui cherchent à profiter du dynamisme de la capitale. La ville intra-muros connaît une croissance optimale de 1960 à à la fin des années 1970, jusqu’à ce que les zones péri-urbaines prennent progressivement la relève. Elles connaissent une expansion rapide et importante. Les espaces ruraux qui séparaient Jakarta de ses voisines sont engloutis par de nouvelles habitations. En parallèle, le général Suharto, alors au pouvoir, souhaite montrer une capitale à l’image du dynamisme de son pays. Il développe un centre-ville moderne et des infrastructures basiques: routes, électricité, drainage, (etc.). Les zones péri-urbaines sont cependant négligées. Ainsi se dessine lentement le double visage de Jakarta.
À l’instar de l’Indonésie, la capitale rassemble une population nombreuse, marquée par les inégalités. Cette dualité se manifeste par la formation de kampungs au sein de la ville. Kampung se traduit par « village », mais la connotation renvoie à l’informalité, à la pauvreté et au maintient de la tradition rurale dans un milieu urbain (4). L’existence des kampungs résulte d’une forte migration des populations pauvres, ainsi qu’à la hausse des prix de l’immobilier qui les poussent hors du centre. Paradoxalement, certaines régions périurbaines sont habitées par une population aisée, attirée par plus d’espace, par la possibilité d’avoir un jardin ou encore par des infrastructures de luxe, comme des terrains de golfe par exemple. Il est vrai que la ville de Jakarta rencontre un véritable défi quant au bien-être de sa population.
L’insalubrité de la capitale est un problème de taille. Jakarta a vu sa population augmenter bien plus rapidement que ses infrastructures. Pour cette raison, nombre de ses habitants n’ont pas accès à l’eau potable, à un traitement des eaux usées, ou encore au traitement des déchets. À cela s’ajoute les déchets industriels et un trafic routier intense venant polluer le sol, l’eau des puits, et l’air de la ville, sans compter les inondations annuelles qui causent à chaque fois plus de dégats. La pollution de la capitale indonésienne est un enjeu de taille, les défis sont tels que l’idée de délocaliser la capitale se pause régulièrement. La ville n’est pas capable de gérer la pollution que dégage sa population et ses industries. Une grande partie des déchets qui sont collectés ne sont pas traités par la suite, et s’entassent à chaque coin de rue. Les kampungs sont particulièrement touchés par l’insalubrité. Ils ont rarement accès à une eau potable, les eaux usées sont soit déversée dans les rues, soit dans les canaux à proximité – les mêmes canaux utilisés pour la lessive ou à pêche. L’État tente d’améliorer la situation sanitaire de sa capitale, mais les défis en terme de superficie, de population et d’ampleur des dégâts sont décourageants. Aussi la population essaie de s’organiser par elle-même. Des vendeurs d’eau sillonnent les rues, les décharges illégales deviennent des espaces de travail pour les habitants des kampungs, qui recyclent et tentent de gérer les déchets par eux-mêmes. Quant à la pollution de l’air, la solution serait de développer un système de transports en commun efficace, ce qui est pour le moment inexistant(5).
Jakarta essaie d’éponger aussi bien qu’elle peut les flots humains qu’elle attire. Malgré les extensions à répétition de la ville, dont l’objectifs était de désengorger le centre, la ville reste saturée. Jabodetabek est une mégapole dont le développement et l’expansion ne sont pas coordonnés. Il en résulte une dégradation continuelle de la vie des habitants et de l’environnement.
- Arnoult, Julien. 2011. Quand les capitales déménagent. Carte Presse. En ligne: http://www.carto-presse.com/?p=1063. le: 20/06/2016
- Rukmana, Deden. 2007. The Megacity of Jakarta: Problems, Challenges and planning efforts. Indonesia’s Urban studies. En ligne : http://indonesiaurbanstudies.blogspot.ca/2014/03/the-megacity-of-jakarta-problems.html. le: 20/06/2016
- Winarso, Haryo; Hudalah, Delik; Firman,Tommy. 2015. Peri-Urban transformation in the Jakarta metropolitan area. Habitat International volume 49. p221-229.
- Rukmana, Deden. 2007. The Megacity of Jakarta: Problems, Challenges and planning efforts. Indonesia’s Urban studies. En ligne : http://indonesiaurbanstudies.blogspot.ca/2014/03/the-megacity-of-jakarta-problems.html. le: 20/06/2016
- Wong, Tai-Chee; Sevin, Olivier. 2013.« Faut-il abandonner Jakarta ? » Les Cahiers d’Outre Mer n° 261. p: 3-28
Sources
Wong, Tai-Chee; Sevin, Olivier. 2013.« Faut-il abandonner Jakarta ? » Les Cahiers d’Outre Mer n° 261. p: 3-28
McCarthy, Paul. 2003. Global Report on human Settlement.The challenge of slums: the case of Jakarta, Indonesia. UN-Habitat, UCL publication. p 32
Cox, Wendell. 2011. The evolving urban form: Jakarta ( Jabotabek). NewGeography. consultation en ligne : http://www.newgeography.com/content/002255-the-evolving-urban-form-jakarta-jabotabek. le : 20/06/2016
Rukmana, Deden. 2007. The Megacity of Jakarta: Problems, Challenges and planning efforts. Indonesia’s Urban studies. En ligne : http://indonesiaurbanstudies.blogspot.ca/2014/03/the-megacity-of-jakarta-problems.html. le: 20/06/2016
Rukmana, Deden. 2014. Urbanization and suburbanization in Jakarta. Indonesia’s Urban studies. En ligne : http://indonesiaurbanstudies.blogspot.ca/2014/03/the-megacity-of-jakarta-problems.html. le: 20/06/2016
Arnoult, Julien. 2011. Quand les capitales déménagent. Carte Presse. En ligne: http://www.carto-presse.com/?p=1063. le: 20/06/2016
Abdou Maliq, Simone. 2015. The urban poor and their ambivalent exceptionalities: some note from Jakarta. Current Anthropology volume 56. p15-23
Winarso, Haryo; Hudalah, Delik; Firman,Tommy. 2015. Peri-Urban transformation in the Jakarta metropolitan area. Habitat International volume 49. p221-229.