Déforestation et agriculture intensive au Vietnam

Par Matt Jagger

La récente signature des accords internationaux sur le climat, issus de la COP 21, qui s’est tenue à Paris en septembre 2015, a placé au centre des attentions les enjeux autour du climat et de la réduction des gaz à effet de serre. Cependant, si la montée des eaux est particulièrement préoccupante pour un pays comme le Vietnam, où une majorité de la population vit sur les côtes, il existe de nombreux autres fléaux moins apparents, mais tout aussi décisifs. De par sa croissance forte depuis maintenant deux décennies(1), et avec les conséquences d’un développement rapide, comme l’urbanisation et l’explosion démographique, Hanoï se trouve confronté à des problèmes majeurs, qui pourraient à terme s’avérer destructeur pour le pays, voire la région. Quels sont ces fléaux, et surtout, quel rôle joue l’État vietnamien face à eux ?

Comme débattu à la COP 21, de nombreux pays du Sud, avec en tête de file l’Inde, souhaitaient mettre en avant que le rejet de gaz à effet de serre restait nécessaire dans le cadre de leur développement national. En outre, les

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Scénario d’une montée des eaux de 5 mètres dans le Sud Vietnam, ce qui provoquerait la submersion de Ho Chi Minh Ville et du delta du Mékong.

Occidentaux étaient pointés du doigts car leur industrialisation s’était effectuée sans contraintes environnementales, ces pays voulant en conséquence être moins touchés par les mesures de limitation.  Le problème reste qu’un certain seuil ne doit pas être franchi, notamment au niveau de la fonte des glaces, et des études récentes ont estimé que le niveau de la mer serait probablement bien plus élevé qu’escompté. Déjà, selon un rapport publié par la Banque Mondiale en 2007, le Vietnam est le pays le plus exposé au problème (2), notamment à cause des concentrations démographiques dans les Delta du Mékong et du fleuve Rouge, les deux greniers du pays.

Mais il ne s’agit pas là de la seule menace : la déforestation massive, ainsi que l’agriculture intensive, causent de graves dégâts. Ces deux phénomènes sont issus du développement rapide que connaît le pays, qui doit gérer une hausse importante de sa population. Par conséquent, à l’instar du Brésil, on voit apparaître des « fronts pionniers », qui grignotent les zones forestières. Le Vietnam n’est plus « l’Enfer Vert » qu’il a été, et nombre de ses forêts dites primaires ont désormais disparu. De 1943 à 1996, le territoire couvert par les forêts est passé de 43% à 16% (3) ! Selon plusieurs chercheurs, cette déforestation massive serait due à une conjonction de multiples facteurs, en partie liés à l’image largement partagée que ces zones seraient vides, et donc à coloniser.

En effet, la plupart des habitants de ces régions situées à l’intérieur du pays ne font pas partie de l’ethnie majoritaire, à savoir celle des Viêt, les dégâts environnementaux leurs étant souvent attribués à tort. Car outre la coupe dite « commerciale », le marché du bois étant particulièrement prisé,

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La déforestation au Vietnam : nombre des ces zones défrichées restent ainsi en l’état et deviennent complètement inutilisables.

c’est surtout la colonisation agricole qui provoque le recul des forêts (4). Nombre de ces nouveaux paysans proviennent des grands centres urbains surpeuplés, et sont parfois directement envoyés dans ces régions par les autorités.

Cette déforestation a des conséquences désastreuses sur l’ensemble du pays : dans les zones montagneuses, la disparition des arbres provoque des glissements de terrain, en plus de causer des crues dévastatrices en aval. Mais surtout, nombre des terres « gagnées » ne sont finalement pas exploitées, et deviennent au bout de quelques années complètement impraticables et non cultivables (5).

L’autre problème couplé à la déforestation est celle de l’agriculture intensive : dans le cadre de la croissance vietnamienne, l’État a décidé de favoriser la culture du riz (6) dans le but de l’exporter au maximum. Ainsi, d’une récolte par an, le pays est passé à trois (7). En plus d’encourager l’utilisation de pesticides et d’épuiser progressivement les sols, certaines études démontrent que les paysans pauvres s’enrichissent peu, du fait des bas prix proposés par les grands distributeurs (8). Autre secteur privilégié, le café (9), en particulier dans le centre du pays, alimentant la vague de déforestation. Ces politiques agricoles sont dangereuses, puisque le rendement est lié aux fluctuations des marchés mondiaux, susceptibles de subir des chutes parfois brutales, comme ce fut le cas en 2008-2009. Enfin, les zones de rizières se situent surtout dans les deltas, qui comme nous l’avons vu sont des zones à risques face à la montée des eaux et aux crues venues des terres.

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Des travailleurs dans une rizière vietnamienne

Que font les autorités vietnamiennes ? Malgré quelques actions encourageantes, force est de constater que les efforts faits au niveau des pouvoirs publics sont faibles. Concernant la déforestation, malgré quelques chiffres avancés quant à des politiques de reforestation, les statistiques fournies semblent peu réalistes, et ne mentionnent pas la qualité des ces replantages (10). Il est en effet impossible de recréer des forêts aussi riches en terme de biodiversité que celle dites « primaires ». Quant à l’agriculture intensive, le problème demeure le même que pour nombre de pays en voie de développement, à savoir concilier défense de l’environnement et politiques économiques. Car même si l’État semble reconnaître le point précédemment cité, le Vietnam reste miné par la corruption, et il est par conséquent difficile de savoir si les mesures décidées sont réellement appliquées par les autorités locales.

Face à l’urgence écologique d’aujourd’hui, le Vietnam est condamné à trouver un modèle de croissance qui préserve un minimum l’environnement. Si la COP 21 a instauré un élan d’optimisme et permet d’espérer des actions financières incitatives au niveau international, la situation au Vietnam reste préoccupante. Les problèmes abordés dans cet article sont malheureusement loin d’être les seuls : le bétonnage des côtes et la mauvaise gestion des déchets autour des grands centres urbains dégradent peu à peu les littoraux.

(1)  Une moyenne d’environ 6% depuis 1990.

(2) Do Benoit, Hiên. 2011. Le Viêt Nam. Coll. Idées reçues, Editions le Cavalier Bleu, Paris, p 113.

(3) Roche, Yann et De Koninck, Rodolphe. 2002. « Les enjeux de la déforestation au Vietnam ». VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, Volume 3 Numéro 1, [En ligne], https://vertigo.revues.org/4113 (consulté le 17 Juin 2016).

(4) Ibid

(5) Ibid

(6) Entre 1986 et 1999, le nombre d’hectares destiné à la culture du riz est passé de 5.76 à 7.6 millions. Bui Ngoc Hung et Duc Tinh Nguyen, 2002. « Le développement de l’agriculture vietnamienne au cours des 15 dernières années », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, Volume 3 Numéro, [En ligne], https://vertigo.revues.org/3738 (consulté le 17 Juin 2016).

(7) AFP. 2015. « Le Vietnam dope sa production de riz mais aussi ses problèmes environnementaux ». Journal La Croix, [En ligne], http://www.la-croix.com/Monde/Le-Vietnam-dope-sa-production-de-riz-mais-aussi-ses-problemes-environnementaux-2015-03-29-1296721 (consulté le 17 Juin 2016).

(8) Keil, Alwin et Saint-Macary, Camille. 2013. « Intensive Commercial Agriculture in Upland Vietnam ». Quarterly Journal of International Agriculture 52, n. 1 [En ligne], http://ageconsearch.umn.edu/bitstream/155484/2/1_Keil.pdf (consulté le 17 Juin 2016).

(9) Bui Ngoc Hung et Duc Tinh Nguyen, 2002. « Le développement de l’agriculture vietnamienne au cours des 15 dernières années », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, Volume 3 Numéro, [En ligne], https://vertigo.revues.org/3738 (consulté le 17 Juin 2016).

(10) Roche, Yann et De Koninck, Rodolphe. 2002. « Les enjeux de la déforestation au Vietnam ». VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, Volume 3 Numéro 1, [En ligne], https://vertigo.revues.org/4113 (consulté le 17 Juin 2016).

Bibliographie :

Roche, Yann et De Koninck, Rodolphe. 2002. « Les enjeux de la déforestation au Vietnam ». VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, Volume 3 Numéro 1, [En ligne], https://vertigo.revues.org/4113 (consulté le 17 Juin 2016).

Bui Ngoc Hung et Duc Tinh Nguyen, 2002. « Le développement de l’agriculture vietnamienne au cours des 15 dernières années », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, Volume 3 Numéro, [En ligne], https://vertigo.revues.org/3738 (consulté le 17 Juin 2016).

Keil, Alwin et Saint-Macary, Camille. 2013. « Intensive Commercial Agriculture in Upland Vietnam ». Quarterly Journal of International Agriculture 52, n. 1 [En ligne], http://ageconsearch.umn.edu/bitstream/155484/2/1_Keil.pdf (consulté le 17 Juin 2016).

AFP. 2015. « Le Vietnam dope sa production de riz mais aussi ses problèmes environnementaux ». Journal La Croix, [En ligne], http://www.la-croix.com/Monde/Le-Vietnam-dope-sa-production-de-riz-mais-aussi-ses-problemes-environnementaux-2015-03-29-1296721 (consulté le 17 Juin 2016).

Do Benoit, Hiên. 2011. Le Viêt Nam. Coll. Idées reçues, Editions le Cavalier Bleu, Paris, 124p.

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