Singapour: Démocratie et essor économique ne vont pas de pair

Par Amine Assale

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Drapeau de Singapour (a)

L’année 2015 revêt une importance capitale pour Singapour. Elle est marquée par la disparition de son fondateur Lee Kuan Yew, la commémoration du bicentenaire de sa création et  la tenue des élections en septembre (1). Ces trois événements permettent de mieux comprendre l’évolution politique de ce minuscule pays de l’Asie du Sud-Est. Devenue un exemple de réussite pour ses voisins malgré un régime autoritaire, Singapour s’est imposée comme une des nations les plus riches du monde. Ainsi, analyser son pouvoir politique revient  à essayer d’appréhender l’origine de la réussite de ce modèle de gouvernement en total opposition avec la vision occidentale de la démocratique (2).  Il s’agit de s’intéresser à la manière dont le pouvoir politique en place contrôle d’une poignée de fer le pays pour le hausser à la position stratégique et ultra moderne où il se trouve actuellement. Ainsi, il serait pertinent de voir comment un État aussi puissant économiquement reste défaillant quant à la mise en place d’un programme concernant le respect des libertés civiles. En dépit d’une économie développée avec une population jouissant d’un haut niveau de vie, le régime reste autoritaire. La priorité est mise plus sur le développement  économique que sur la promotion des droits de l’homme(3).La réussite économique ne s’est-elle pas faite au détriment d’une réelle démocratisation?Le pouvoir utilise la coercition et un vaste arsenal de mesures législatives afin d’écarter ses adversaires et de museler la presse (4). Ni opposition ni liberté d’expression n’ont le droit d’exister (5). Il s’agit par conséquent, d’étudier les limitations de la libération politique à Singapour. 

Carte de Singapour (b)

Carte de Singapour (b)

Pays insulaire, cette cité-État est membre du Commonwealth et de l’ASEAN. C’est une république au régime parlementaire; le président y est élu tous les six ans (6). Le pouvoir législatif est confié au parlement tandis que l’exécutif revient au Premier Ministre[i]. En 1959, Singapour est dotée d’une constitution propre et Lee Kuan Yew est élu Premier Ministre (7). En 1963, ce pays intègre la Fédération des États de Malaisie dont il est expulsé suite à des troubles ethniques[ii]. Elle acquiert son indépendance de la domination britannique en 1965[iii]. Depuis, le gouvernement singapourien a mis en œuvre une stratégie de développement permettant de mesurer l’ampleur du chemin parcouru. L’économie connaît des succès que pourraient lui envier plusieurs pays du tiers-monde. Mais à quel prix? Comme l’a expliqué le Wall Street Journal: « Singapour peut être légitimement fière des  nombreux progrès qu’elle a accomplis, mais la pleine démocratie n’en fait pas partie »[iv] (8).

Logo du « Parti d'Action du Peuple » (c)

Logo du « Parti d’Action du Peuple » (c)

Partant de la réflexion précédente[v], il est essentiel de comprendre les évolutions ayant participé à consacrer l’hégémonie du « Parti d’Action du Peuple » (PAP) et la marginalisation de l’opposition à Singapour. Le régime de ce pays ressemble à celui du roman d’anticipation « 1984 » de George Orwell (9). Similairement, le pouvoir en place est totalitaire. Malgré l’existence d’un multipartisme, le PAP est depuis 1959 le seul à détenir réellement les rênes du pays (10). Des institutions électorales existent bel et bien mais n’offrent pas de contestations au pouvoir. Les élections débouchent irrémédiablement sur la victoire de ce parti[vi]. D’ailleurs, seuls trois chefs de gouvernements à savoir, Lee Kuan Yew (1959 à 1990), Goh Chok Tong (1990 à 2004) et Lee Hsien Loong (2004 à aujourd’hui) ont dirigé le pays pendant un peu plus d’un siècle(11). Ainsi, comme en témoigne Larry Diamond, Singapour ne remplit nullement les critères d’une réelle démocratie [vii]. Le pouvoir y est dictatorial et attentatoire aux libertés publiques. À ce propos, Human Watch Rights avance qu’: « en 2012 le gouvernement de Singapour restreignait de façon drastique la liberté d’expression et de réunion et d’association »(12). L’État utilise également une loi pénale contre la diffamation pour réduire le pouvoir des médias[viii]. Par ailleurs, la peine de mort et des mesures répressives comme les châtiments corporels sont toujours en vigueur à Singapour (13). En outre, toutes les activités industrielles et commerciales sont contrôlées par le PAP. Or, ce parti n’hésite aucunement à bafouer les droits de l’homme afin d’atteindre l’essor économique que connaît le pays aujourd’hui[ix].À titre illustratif, la bastonnade est utilisée dans plusieurs domaines démontrant que discipline et rigueur sont appliquées pour atteindre l’excellence économique[x]. L’opposition ne saurait détourner le pays de son ambition à réussir. C’est pourquoi, elle est réprimée(14).Censures, amendes excessives pour diffamation et emprisonnement sont des moyens courants pour brimer les opposants. Ces derniers représentent aux yeux du pouvoir en place un frein au développement[xi].

Lee Kuan Yew (1923-2015) est le fondateur de Singapour (d)

En conclusion, Singapour a atteint un progrès économique fulgurant qui ne va pas de pair avec la vision démocratique occidentale. Le système politique dictatorial de cette nation peut-il perdurer dans un monde où l’Internet a changé la donne ? (15).

Lee Hsien Loong, actuel Premier Ministre de Singapour depuis 2004 (f)

Goh Chok Tong, Chef de l’exécutif de 1990 à 2004 (f)

Goh Chok Tong, Chef de l’exécutif de 1990 à 2004 (e)

 

Références:

[i]Ibid. (6)

[ii]Ibid.(7)

[iii]Ibid.(7)

[iv]Il s’agit ici d’une traduction personnelle du français vers l’anglais. La citation de base est la suivante: « […] Singapore can rightly be proud of many achievements, but full democracy is not one of them » (Ibid(8)).

[v]Celle du Wall Street Journal.

[vi]L’expression « ce parti » réfère au PAP.

[vii] Ibid.(2).

[viii] Ibid.(4).

[ix] Ibid.(10).

[x] Ibid.(13).

[xi] Ibid.(13).

Bibliographie:

(1) « Présentation de Singapour ».2016.  France diplomatie. En ligne. http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/singapour/presentation-de-singapour/ (page consultée le 21 mai 2016)

(2)  Diamond, Larry Jay. «Thinking About Hybrid Regimes ». 2002. Journal of Democracy, Volume 13, Number 2 (April): 21-35. En ligne. http://www.asu.edu/courses/pos350/diamondThinking%20about%20Hybrid%20Regimes.pdf(page consultée le  le 11 juin 2016)

(3)  « Les droits de l’homme». Blogue de l’Asie du Sud-Est. En ligne. https://redtac.org/asiedusudest/test/singapour/les-droits-de-lhomme/(page consultée le 11 juin 2016)

(4) Singh, Bilveer. « Singapour – Maintenir l’équilibre entre la prospérité, la croissance sociale et la démocratisation graduelle », Revue internationale de politique comparée 1/2011 (Vol. 18), p. 105-122. En ligne. www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2011-1-page-105.htm (page consultée le 21 mai 2016)

(5) Gueidon, Salomé. « Singapour, une démocratie autoritaire ». Blogue de l’Asie du Sud-Est. En ligne. https://redtac.org/asiedusudest/2014/12/16/islam-la-place-des-minorites-a-singapour/ (page consultée le 21 mai 2016)

(6) En ligne. http://legiglobe.rf2d.org/singapour/2007/11/11/ (page consultée le 21 mai 2016)

(7) « Proclamation de l’indépendance de Singapour ». 1969. Perspective Monde, 9 août. Université de Sherbrooke. En ligne. http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=714 (page consultée le 22 mai 2016)

(8) «Democracy in Singapore ». 2006. Wall Street Journal, 26 juin. En ligne. http://www.wsj.com/articles/SB121442866729704745(page consultée le 23 mai 2016)

(9) Orwell, George. «1984 ». Traduction d’Aubiderti, Amélie. 2010. Gallimard.

(10) Auzias, Dominique et J.P. Labourdette. 2014. « Petit Futé Singapour ». Broché.

(11) « L’histoire de Singapour…dans ses grandes lignes ». En ligne. http://www.cityzeum.com/ar/l-histoire-de-singapour-dans-ses-grandes-lignes (page consultée le 23 mai 2016)

(12) Human Rights Watch. In « Singapour: les droits de l’homme a minima ». En ligne.
http://www.alterasia.org/201302103050/singapour-les-droits-de-lhomme-a-minima/ (page consultée le 23 mai 2016)

(13) « Caning-bastonnade-châtiment corporel». Singapour esque?.En ligne. http://singapouresque.blogspot.ca/2010/09/caning-chatiment-corporel.html (page consultée le 23 mai 2016)

(14) Kentish, Gemma. 2015. « Surveille ton langage : la liberté d’expression à Singapour ». Le Journal International, 15 avril. En ligne.http://www.lejournalinternational.fr/Surveille-ton-langage-la-liberte-d-expression-a-Singapour_a2596.html (page consultée le 11 juin 2016)

(15) Rongeras, J. Claude. 2012. « Singapour : l’Internet a libéré la parole ».  France Tv info, 1 août. En ligne. http://geopolis.francetvinfo.fr/singapour-linternet-libere-la-parole-7295(page consultée le 23 mai 2016)

Iconographie:

(a) En ligne. http://www.larousse.fr/encyclopedie/pays/Singapour/144420 (page consultée le 24 mai 2016)

(b) En ligne. http://fr.depositphotos.com/10415644/stock-illustration-republic-of-singapore-vector-map.html (page consultée le 24 mai 2016)

(c) En ligne. http://singapouresque.blogspot.ca/2014/02/biogrphie-de-lee-kuan-yew.html (page consultée le 24 mai 2016)

(d) En ligne. http://sghardtruth.com/lee-kuan-yew-cringed-hero-worship-just-one-year-death/ (page consultée le 25 mai 2016)

(e) En ligne. http://nuspress.nus.edu.sg/products/impressions-of-the-goh-chok-tong-years-in-singapore?variant=1245103884(page consultée le 25 mai 2016)

(f) En ligne. http://www.gettyimages.ca/detail/news-photo/singapore-prime-minister-lee-hsien-loong-delivers-his-news-photo/475093888 (page consultée le 25 mai 2016)

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