Par Amine Assale
Dans une société où multiethnicité et multiculturalisme font partie intégrante de l’identité nationale, les autorités singapouriennes ne sauraient occulter la dimension du pluralisme religieux. Ceci est d’autant plus vrai que ce facteur résulte de la composition ethnique même de cet État insulaire à dominance chinoise (1). Par conséquent, pour parer aux problèmes éventuels que la multiplicité confessionnelle pourrait engendrer, le gouvernement a mis en place une stratégie visant à garantir l’égalité des communautés, à faciliter l’harmonie religieuse et surtout à préserver l’unité nationale (2). Dans un tel contexte, quelle est la place des musulmans à Singapour?
Géographiquement Singapour jouxte avec la Malaisie et l’Indonésie. Cette cité-État tient à maintenir de bonnes relations avec ses voisins (3). État à dominance chinoise, les Chinois représentant 77% de la population[A], cette république insulaire diffère des deux États cités ci-dessus[B] qui sont à la fois majoritairement malais et musulmans (4 et 5). À l’opposé, à Singapour, les Malais ne représentent que 14% de la population et constituent par la même occasion l’essentiel de la composante musulmane de ce pays[C].
Bien que minoritaires comme en atteste Laurent Metzger (6), les musulmans de Singapour jouissent d’un statut particulier inscrit dans l’article 152 de la Constitution de cette république en raison de leur identification aux malais:
« The Government shall exercise its functions in such manner as to recognise the special position of the Malays, who are the indigenous people of Singapore, and accordingly it shall be the responsibility of the Government to protect, safeguard, support, foster and promote their political, educational, religious, economic, social and cultural interests and the Malay language » (7).
Partant de cet article[D], il s’avère que les stratégies entreprises par les autorités gouvernementales sont contradictoires. Ces mesures représentent un obstacle à l’égalité des communautés puisque les Malais sont choyés[E].
Par ailleurs, si le gouvernement soutient les musulmans, c’est pour éviter que d’éventuelles émeutes sociales de cette population extrêmement pauvres ne déstabilisent le pays (8).
En outre, il est à noter que la Constitution de Singapour stipule que cet État insulaire est laïc (9).Toutefois, la séparation entre la religion et le politique n’est que théorique. Ces deux aspects sont étroitement liés[F]. À titre illustratif, dans le cas de la communauté musulmane, cette imbrication entre religieux et politique se traduit par la collaboration entre un organisme statutaire créé en 1968 appelé Conseil Consultatif Musulman (Majlis Ugama Islam Singapura) et l’État[G]. Initialement, le MUIS a pour buts de défendre les intérêts des citoyens de confession islamique et de conseiller le président sur toutes questions relatives à la religion de Mahomet[H]. Ainsi, les deux entités[I] travaillent ensemble pour promouvoir divers aspects du domaine religieux comme notamment la construction des mosquées (10).
D’autre part, très actifs, les citoyens de confession islamique cherchent à donner une image pacifique de leur religion (11). Une volonté de promouvoir les qualités de respect et la convivialité que prône l’Islam est née chez la communauté musulmane.Cette dernière a, depuis les attentats de 2001,ressenti le besoin de convaincre les pratiquants d’autres confessions que l’Islam est une religion de paix et de tolérance. Elle [J] a dés lors ouvert un centre d’accueil pour les non-musulmans.Celui-ci permet une meilleure appréhension de l’Islam au sein de Singapour, État multiethnique. Il symbolise l’essence même de la politique de cette nation. En inaugurant le « Harmony Center », les musulmans de cette île-État mettent en exergue à la fois la prépondérance de leur rôle et de leur civisme[K]. Dans une même optique, Yaacob Ibrahim, Ministre chargé des Affaires Musulmanes, atteste du rôle clef que joue le gouvernement de son pays dans la promotion de l’harmonie religieuse:
« Il (le gouvernement) a créé un environnement dans lequel les orientations encouragent la sensibilisation et le respect de la diversité culturelle, le respect du droit et l’application d’une législation efficace qui criminalise les discours de haine » [L].
Ainsi, l’ouverture d’un centre d’accueil pour non musulmans et la réflexion précédente montrent que le rôle joué par la communauté islamique à Singapour est déterminant[M].
Après les attentats du 11 septembre 2001, les musulmans ont souvent été stigmatisés partout dans le monde (12). À cet égard, avec une population à 15% musulmane[N], les autorités singapouriennes ont tendance à être plus vigilantes quant au risque d’infiltration de la communauté islamique par des extrémistes (13). Conscient que le danger du terrorisme est latent, le gouvernement cherche à combattre cette menace en passant par: « une redéfinition du multiculturalisme qui caractérise le tissu social de la société »[O]. Pour ce faire, l’État crée des IRCC (Interraciale Confidence Circles) qui impliquent des citoyens de confession musulmane à construire des liens de confiance entre les groupes raciaux et aussi entre les dirigeants religieux et communautaires[P].
En outre, le travail de déradicalisation repose aussi sur les RRG (Religious Rehabilitation Groups) qui réunissent une vingtaine d’érudits. Ces derniers sont plus aptes à protéger la communauté musulmane contre l’extrémisme à travers un enseignement modéré de l’Islam(14).
En conclusion, Singapour est une cité-État où les musulmans représentent une minorité[Q]. Il n’en reste pas moins que cette ethnie contribue à la promotion d’une harmonie religieuse et plurielle à Singapour[R]. Mais, qu’en est-il des rôles joués par les autres communautés locales? Ne serait-il pas pertinent de s’interroger sur la place occupée par la majorité chinoise?
[A]Le 77% est une donnée statistique de 2001. Elle reste toutefois pertinente pour illustrer la dominance des Chinois à Singapour (Ibid.(1))
[B]Ces deux États cités ci-dessus référent à la Malaisie et l’Indonésie
[C]Le 14% est une donnée statistique de 2001. Elle reste toutefois pertinente pour comparer la proportion de Malais à celle des Chinois (Ibid. (1))
[D]Il s’agit de l’article 152 de la Constitution.
[E]Ibid.(7)
[F]Ibid.(3)
[G]Ibid.(2)
[H]Ibid.(2)
[I]Les deux entités référent ici au MUIS et à l’État.
[J] Le pronom « elle » réfère ici à la communauté musulmane et non à la tolérance. Il en va de même pour le pronom « il » à la suite et qui réfère au centre d’accueil et non à l’État multiethnique.
[K]Ibid.(11)
[L]Ibid.(11)
[M]Ibid.(11)
[N]Ibid.(3)
[O]Ibid.(13)
[P]Ibid.(13)
[Q]Ibid.(6)
[R]Ibid.(2)
Bibliographie:
(1) Jean Huchon, Jacques Bellanger , Gérard Cornu, Jean-Paul Émorine, Bernard Joly, Pierre Lefebreve et Michel Souplet. 2001. « Mission effectuée en Malaisie et à Singapour afin d’étudier l’évolution des relations économiques et commerciales de ces pays avec la France ». En ligne. https://www.senat.fr/rap/r00-248/r00-2486.html (page consultée le 7 juin 2016).
(2) Aidibé, Mohamed. « Islam : La place des minorités à Singapour ». Blogue de l’Asie du Sud-Est. En ligne. https://redtac.org/asiedusudest/2014/12/16/islam-la-place-des-minorites-a-singapour/ (page consultée le 7 juin 2016).
(3) Bernard, Christian. 2014. « Islam et islamisme en Asie du Sud-Est: les formes d’une radicalisation ». En ligne. http://www.institut-jacquescartier.fr/2014/01/islam-et-islamisme-en-asie-du-sud-est-les-formes-dune-radicalisation-christian-bernard/ (page consultée le 7 juin 2016).
(4) Cayrac-Blanchard, Françoise. « Indonésie – Profil synthèse ». Dans L’INDONÉSIE AU XXe SIÈCLE.
(5) Lechervy, Christian. « Malaisie ». Dans LA MALAISIE AU XXe SIÈCLE.
(6) Metzger, Laurent. 2004. « LA MINORITÉ MUSULMANE DE SINGAPOUR ».L’Harmattan.
(7) « Should Article 152 be scrapped from Singapore Constitution? ». 2009. The Online Citizen, 3 septembre. En ligne. http://www.theonlinecitizen.com%2F2009%2F09%2Fshould-article-152-be-scrapped-from-the-singapore-constitution%2F&h=GAQEw9kbs (page consultée le 8 juin 2016)
(8) Sorman, Guy. 2006.«Lettre de Singapour , malaise malais ». En ligne. http://gsorman.typepad.com/guy_sorman/2006/12/lettre_de_singa.html (page consultée le 8 juin 2016)
(9) « Singapore : Constiution 1965 ». In ACE. En ligne. http://aceproject.org/ero-en/regions/asia/SG/Singapore-Constitution-1965/view (page consultée le 8 juin)
(10) « Un modèle de laïcité bien comprise ». 2016. In Singapour au pluriel, 1 mai. En ligne. https://singapouraupluriel.wordpress.com/ (page consultée le 8 juin 2016)
(11) « Singapour : un modèle de laïcité bien comprise ? ». 2016. In Églises d’Asie. 29 avril. Agence d’information des missions étrangères à Paris. En ligne. http://eglasie.mepasie.org/asie-du-sud-est/singapour/2016-04-29-singapour-un-modele-de-laicite-bien-comprise (page consultée le 8 juin 2016)
(12) Magnout, Christelle. 2009. « Vivre sa foie musulmane après les attentats du 11 septembre 2001 ». TV5 Monde, 10 septembre. En ligne. http://information.tv5monde.com/info/attentats-du-11-septembre-etre-musulman-depuis-2001-5110 (page consultée le 8 juin 2016)
(13) « L’enjeu sécuritaire ». Blogue de l’Asie du Sud-Est. En ligne.https://redtac.org/asiedusudest/test/singapour/l%E2%80%99enjeu-securitaire/ (page consultée le 8 juin 2016)
(14) Conesa, Pierre. 2015. « Contre-radicalisation: que faire ? ». Diploweb, 9 janvier. En ligne. http://www.diploweb.com/Contre-radicalisation-que-faire.html (page consultée le 8 juin 2016)
Iconographie:
(a) En http://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/singa.htm (page consultée le 7 juin 2016).
(b) Ibid.(1)
(c) En ligne. https://www.flickr.com/photos/msfsingapore/6245048381 (page consultée le 8 juin 2016)
(d) En ligne. http://britishmuslim-magazine.com/2015/04/01/top-10-beautiful-mosques-to-visit-around-the-world/ (page consultée le 8 juin 2016)
(e) En ligne. http://news.asiaone.com/news/singapore/ministers-weigh-terror-arrests (page consultée le 8 juin 2016)