Par Amine Assale
Influencés par l’émergence des contestations de «Mai 1968» en France, les étudiants thaïlandais, se soulèvent contre la dictature en place en 1973 (1). La Thaïlande a longtemps vécu sous le joug militaire ou sous « des régimes autoritaires à façade parlementaire » (2). La domination de la politique par l’armée débute en 1932 (3). Ce coup d’État visait à mettre fin à la monarchie absolue de la dynastie des Rama. Un tel événement aboutit à la tenue des premières élections en 1933(4). Cependant, la Thaïlande n’a connu que débâcles constitutionnelles et fissures grandissantes au sein de la société (5). Depuis, elle a été au contraire le théâtre de plusieurs coups d’État et de la mise en place de multiples constitutions et chartes (6). Marquée par une instabilité récurrente, le pays n’a pas réussi à mettre en place une transition démocratique (A). Il ne serait donc pas faux d’avancer que les mouvements estudiantins de 1973 et 1976 s’inscrivent dans ce contexte de turbulences politiques. Mais, en quoi ces manifestations sont-elles différentes des autres coups d’État qu’a connu la Thaïlande?
Dans un article issu de « Études du Ceri », Nicole Revise montre que jusqu’aux premières contestations étudiantes de l’automne 1973: « les militaires sont alors non seulement l’unique source du pouvoir mais aussi l’unique instrument du changement politique » (7). Or, les événements du 14 octobre 1973 ont ébranlé la dictature qu’ils ont écarté du pouvoir. La révolte estudiantine de ce jour là est prépondérante dans l’histoire de la Thaïlande: elle a donné naissance au premier régime militaire de ce pays (8). Celui-ci fait donc l’expérience d’une démocratie avec des civils au pouvoir: « le régime militaire s’effondre et un régime intérimaire dirigé par le professeur Sanya occupe le pouvoir jusqu’à la tenue des élections en 1975 » (9). Ceci représente une réelle bouffée d’air pour un pays qui a été sous régime autocratique pendant plusieurs décennies. Cependant, l’intermède d’un régime démocratique a été bref puisqu’en 1976 un nouveau coup d’État est venu y mettre un terme. Le pays est à nouveau sous l’emprise d’un pouvoir militaire caractérisé par ses dérives autoritaires et ses atteintes à la liberté d’expression et aux droits de l’homme (10). Les ouvriers dont les salaires stagnent alors que l’inflation continue de grimper multiplient les grèves mais sont sévèrement réprimés (11). L’armée, les bureaucrates et les hommes d’affaires ne veulent pas de la montée des roturiers qu’ils freinent en confisquant leurs droits (12). À titre illustratif, la citation suivante met en évidence cette dernière idée: « At the end of the 70’s legal unions remained subservient to patronage and all political activities were prohibited » (13). Par ailleurs, une autre conséquence du développement économique réside dans l’expansion massive du nombre d’étudiants originaires en majorité de la classe ouvrière (14). Il apparaît donc que la révolte des étudiants de 1973 est essentiellement dûe au mécontentement qu’engendre la crise économique. De plus, à la différence des autres mouvements contestataires, cette révolte est également menée, non par l’élite traditionnelle qui a la prérogative du pouvoir décisionnel, mais par les gens ordinaires du peuple (B). Par conséquent, la révolte de 1973 n’est pas seulement estudiantine mais aussi populaire.
En réalité, les contestations de 1973 qui se sont terminées par l’exil de Thanom Kittikachorn, Premier Ministre depuis 1957 et par la nomination d’un régime civil (15) n’eurent pas l’effet escompté. La démocratie ne dura pas longtemps et engendra trois ans de chaos(16): les groupes de pression, la grève et les manifestations continuèrent à se multiplier et les élections n’amenèrent que des coalitions sans lendemain (C). La liberté octroyée de 1973 à 1976 favorisa à la fois la montée en puissance des syndicats et aussi des mouvements politiques de gauche (D). En réaction à l’émergence de ces derniers (E), les anti-communistes de l’armée et les ultra-royalistes menèrent une attaque sanglante contre les étudiants de l’Université de Thammasat le 6 octobre 1976 (F). Les affrontements entre étudiants et militaires sont d’une violence indescriptible comme le montre Arnaud Dubus, journaliste français en Thaïlande (17) et Thanet, directeur du programme sur l’Asie du Sud-Est à l’Université de Thammasat: « The history of October 6 1976 alone cannot be categorized as anything but massacre » (18). Cependant, pour Paul Handley, l’armée n’est pas la seule responsable des atrocités perpétrées lors du putsch du 6 octobre 1976 qui ramena au pouvoir un gouvernement militaire de droite (19). Cet auteur considère que le roi a couvert de son autorité le coup d’État et le bain de sang de la révolte estudiantine de l’automne 1976 (G).
Depuis la promulgation de la constitution en 1932, la Thaïlande n’a pas jamais été sous régime civil à l’exception d’une brève période entre 1973 et 1976 (20). Cette dernière a profondément marquée la société thaïlandaise (H). Son impact se ressent encore aujourd’hui dans cet État. L’instabilité y est chronique vu le nombre de putsch qui y sont fomentés (21). Dans un tel contexte quelles sont les chances de la Thaïlande de se démocratiser?
Références complémentaires:
(A)Ibid.2
(B)Ibid.12
(C)Ibid.3
(D)Ibid.12
(E)L’expression « ces derniers » réfère ici aux mouvements politiques
(F)Ibid.3
(G)Ibid.19
(H)Ibid.2
Bibliographie:
(1) « 1968 dans le monde (les crises de la fin des années 1960) ». En ligne. http://www.minaudier.com/documents/relations-internationales/international-11-mai68.pdf (page consultée le 24 juin 2016)
(2) Rousset. Rousset. 2010. « En Thaïlande, la renaissance d’un mouvement populaire ». Développement et civilisations n°384, juin. En ligne. http://lebret-irfed.org/spip.php?article494#ar (page consultée le 24 juin 2016)
(3) Le Gal, Adrien. 2014 « Le coup d’État, une spécialité thaïlandaise ». Le Monde, 3 juin. http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2014/06/03/le-coup-d-etat-une-specialite-thailandaise_4430619_3216.html (page consultée le 24 juin 2016)
(4) « Phrayaphahon second premier ministre du Siam constitutionnel du 24 juin 1933 au 11 septembre 1938, un personnage énigmatique ». 2015. In Blogue Alain et Bernard. En ligne. http://www.alainbernardenthailande.com/2015/07/191-phrayaphahon-second-premier-ministre-du-siam-constitutionnel-un-personnage-enigmatique.html (page consultée le 24 juin 2016)
(5) Werly, Richard. In (2).
(6) « Histoire constitutionnelle de la Thaïlande ». CONSTITUTION NET. En ligne.http://www.constitutionnet.org/fr/country/constitutional-history-thailand (page consultée le 24 juin 2016).
(7) Revise, Nicolas. 2005. « Le système de Taksin: coup de frein au processus de démocratisation ou « voie thaïlandaise » vers la démocratie ». SciencesPo, Centre de recherches internationales. En ligne. http://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/etude115.pdf (page consultée le 24 juin 2016).
(8) « 42éme anniversaire de la Révolution thaïlandaise de 1973 ». 2015. In en ligne. http://liberez-somyot.over-blog.com/2015/10/42eme-anniversaire-de-la-revolution-thailandaise-de-1973-un-article-de-la-bbc-publie-ce-jour-la.html (page consultée le 24 juin 2016).
(9) Caouette, Dominique. « Thaïlande : histoire d’une oligarchie ». Revue Relations. En ligne. http://www.cjf.qc.ca/fr/relations/article.php?ida=1026 (page consultée le 24 juin 2016)
(10) Wormser, Camille. 2014. « La Thaïlande en prise a un climat délétère à de violence ». Géopolis/France Tv Info, 25 septembre. En ligne.http://geopolis.francetvinfo.fr/la-thailande-en-prise-a-un-climat-deletere-de-violence-42439 (page consultée le 25 juin 2016)
(11) Sabai, Danielle. 2006. « Coup d’État Thaïlande ». Word Press, 23 octobre. En ligne.https://daniellesabai.wordpress.com/2006/10/23/coups-d%E2%80%99etat-en-thailande-une-spirale-sans-fin/ (page consultée le 25 juin 2016).
(12) Poisson, Valentine. « Média et crise politique thaïlandaise 2013-2014 «. En ligne.https://docassas.u-paris2.fr/nuxeo/site/esupversions/dab9df2f-7e30-40cc-b2b4-29897100a80c (page consultée le 25 juin 2016).
(13) Rousset, Pierre. « Thailand’s popular mouvements1980’s to present ». In International Encyclopedia of revolutions and protests 1500 to present. 2009.
(14) « Thaïlande: il y a 41 ans, la révolte du 14 octobre 1973 ». In en ligne. http://liberez-somyot.over-blog.com/2014/10/thailande-il-y-a-41-ans-la-revolte-du-14-octobre-1973.html (page consultée le 25 juin 2016).
(15) « Les événements politiques de 1973 à 1976 : du 14 octobre 1973 au 6 octobre 1976, trois ans de chaos : premier épisode ».2016. In Blogue Alain et Bernard. En ligne. http://www.alainbernardenthailande.com/2016/05/229-1-les-evenements-politiques-de-1973-a-1976-du-14-octobre-1973-au-6-octobre-1976-trois-ans-de-chaos-premier-episode.html (page consultée le 25 juin 2016)
(16) « La Thaïlande et la guerre au Vietnam ». In en ligne. http://liberez-somyot.over-blog.com/2015/04/la-thailande-et-la-guerre-americaine-au-vietnam.html (page consultée le 26 juin 2016)
(17) Dubus, Arnaud. 2011. « Thaïlande. Histoire, Société, Culture ». Paris: La Découverte.
(18) Apornsuwan, Thanet. In « Hard to remember, yet difficult to forget ». En ligne. http://www.nationmultimedia.com/2006/10/06/politics/politics_30015512.php (page consultée le 26 juin 2016)
(19) Handley, Paul. 2006. « The King Never Smiles: A Biography of Thailand’s Bhumibol Adulyadej». Yale University.
(20) « La Thaïlande: démocratie ou dictature ». In Blogue sur l’Asie du Sud-Est. En ligne. https://redtac.org/asiedusudest/2012/12/02/693/ (page consultée le 26 juin 2016).
(21) Revon, Hugo. 2016. « Thaïlande : les méthodes de la junte inquiètent Taksin Shinawatra ». Contrepoints, 13 mars. En ligne.https://www.contrepoints.org/2016/03/13/242608-thailande-les-methodes-de-la-junte-inquietent-thaksin-shinawatra (page consultée le 26 juin 2016).
Iconographie:
(a)Ibid.3
(b)En ligne. http://alchetron.com/Thanom-Kittikachorn-1368224-W (page consultée le 25 juin 2016)
(c)Ibid.3
(d)http://www.forumthailandeinfo.com/index.php?topic=18.175 (page consultée le 25 juin 2016)