Le rôle central de Sukarno dans le processus d’indépendance de l’Indonésie

Le processus d’indépendance de l’Indonésie a été particulièrement chaotique, notamment marqué par la guerre. Cet article visera à étudier la difficile émergence d’un mouvement nationaliste ainsi que le rôle central joué par Koesno Sosrodihardjo, dit Sukarno, dans le déroulement de ce processus vis-à-vis de la puissance coloniale hollandaise.

 

Le président Sukarno rencontre le Che Guevara.

Le président Sukarno rencontre le Che Guevara.

 

Dès le 16e siècle, les riches ressources (muscade, clou de girofle, huile de palme, café, canne à sucre) dont recèle l’Indonésie en font un enjeu de taille pour les puissances coloniales. Ce sont finalement les Hollandais qui s’imposèrent, grâce essentiellement à l’unification de leurs marchands pour créer la Compagnie des Indes orientales (VOC), soutenue par l’État et sa marine. (1) Au fur et à mesure, cette intégration à l’économie hollandaise se transforme en véritable colonisation, en dépit des convoitises des puissances concurrentes (Grande-Bretagne, France, Portugal).

L’émergence d’un mouvement national a fait face à de très nombreux obstacles en Indonésie, car l’existence d’un État unitaire ne va pas de soi. Même si son idée est préexistante, notamment avec le modèle de l’État javanais et sa forme future induite par la structure coloniale. La diversité ethnique (1 100 groupes ethniques) et religieuse (6 principales religions), la variété linguistique (700 langues ou dialectes) et culturelle, sont autant de facteurs qui ne favorisent pas la formation d’une structure politique unique. (2) Comment dès lors expliquer cette émergence ?

Bien que des mouvements de résistance à l’occupation aient déjà eu lieu, le mouvement national apparaît véritablement au début du XXe siècle. Celui-ci puise sa source dans des influences diverses : le rôle de certains Hollandais sur place qui introduisent des idées socialistes, le recensement établi par les colons à travers une catégorisation et une cartographie du territoire, l’élite indonésienne formée par la culture occidentale et l’influence des Lumières, la fréquentation des universités hollandaises par des étudiants indonésiens, leur déception à leur retour quand les postes importants leur sont refusés, ainsi que la formation d’un prolétariat. À quoi s’ajoutent sur le plan international la Révolution chinoise de 1911, la Première Guerre mondiale, la Révolution russe de 1917, et enfin la Seconde Guerre mondiale, qui vont concourir à attiser ce nationalisme révolutionnaire. (3)

Ce mouvement national va s’incarner en grande partie à travers la figure de Sukarno. Ce jeune ingénieur se révèle être un grand leader, apprécié de ses pairs, qui le surnomment Bung Karno (« frère » ou « camarade »), et doté d’un important charisme. De plus, sa polyglossie sera un atout non négligeable dans sa quête d‘unification du territoire, lui qui maitrise le Javanais, le Soudanais, le Balinais, l’Arabe, le Hollandais, l’Allemand, le Français, l’Anglais et le Japonais. (4)

En 1927 est fondé le Parti national indonésien, dont la présidence est confiée à Sukarno. Le parti grandit rapidement, et les deux objectifs affichés sont l’indépendance et la création d’un gouvernement démocratique. Ce qui vaudra à Sukarno d’être arrêté à deux reprises, puis exilé jusqu’à l’invasion japonaise. Cette arrivée va constituer un tournant puisque Sukarno sera libéré. Néanmoins, en dépit des belles promesses d’indépendance, il va accueillir cette arrivée sans illusions. En effet, il va avoir la lucidité nécessaire pour tirer parti des nombreuses concessions faites par ce nouvel occupant afin de renforcer encore davantage la notoriété du mouvement national (le Putera) autour de sa personne. Finalement, à la première occasion, lorsque les Japonais capitulèrent, Sukarno s’empressa de déclarer l’indépendance le 17 août 1945 (pour les plus curieux, voir ci-contre).

Cet intermède japonais aura été primordial dans la constitution du mouvement national, puisqu’elle a exposé aux grands jours les faiblesses des Hollandais, et a surtout donné naissance à une expérience commune, forgeant les prémisses d’une identité indonésienne. D’autant plus qu’elle a fourni une expérience de la guerre qui s’avéra cruciale pendant la Révolusi (1945-1949) au retour des Hollandais. (5) En effet, ces derniers refusent de reconnaître cette indépendance, et tentent de reprendre le contrôle de leur ancienne possession coloniale. Toutefois, après quatre années de répression face à la guérilla, ils acceptent finalement la souveraineté de l’État indonésien le 27 décembre 1949.

Ces quatre années de la Revolusi vont permettre de souder les Indonésiens autour de la lutte révolutionnaire pour l’indépendance. Elles vont aussi voir la langue malaise s’imposer, puisque la guérilla a nécessité le partage d’un langage commun entre les différentes factions de résistances. Sukarno se retrouve alors propulsé comme président, et pour consolider cette union nationale fragile, il décide de s’appuyer sur la Pancasila. Il s’agit d’un programme très précis axé sur 5 piliers, desquels l’État va puiser sa légitimité : le nationalisme (unité du territoire), l’internationalisme (s’engage à contribuer à la paix dans le monde), la démocratie (par la pratique du musyawarah untuk mufakat, soit la recherche du consensus), la justice sociale (pour tous les Indonésiens), et la croyance en un Dieu unique (parmi les 4 grandes religions : Islam, Bouddhisme, Hindouisme et Christianisme). (6)

Pour conclure, le processus de décolonisation en Indonésie a pu aboutir, en dépit d’une guerre de plus de quatre années. La réussite de ce processus porte pour beaucoup l’empreinte de Sukarno. Il a notamment su saisir l’opportunité de proclamer l’indépendance, dès qu’elle s’est présentée, lorsque les Japonais ont capitulé. Il a également le mérite d’avoir réussi à exalter et personnifier l’élan nationaliste révolutionnaire autour de sa personne, malgré les nombreux obstacles.

 

(1) Serieys, Jacques. « Indonésie : colonisation, Soekarno, génocide de 1965 ». Front de Gauche. 2 juin 2016. En ligne. http://www.gauchemip.org/spip.php?article6076

(2) Raillon, François. Indonésie les voies de la survie. Édition belin : Paris, 2007.

(3) Bruhat, Jean. Histoire de l’Indonésie. Presses universitaires de France : Paris, 1976.

(4) Hanna, Willard. « Sukarno, president of Indonesia ». Encyclopedia Britannica. 22 avril 2015. En ligne.

http://www.britannica.com/biography/Sukarno

(5) Dietmar, Rothermund. « Constitutions et décolonisation. ». Diogène 212 : 9-21.

(6) Gautama, Ivan. « How successful has the Pancasila principle been in securing a degree of pluralism in Indonesia ». Quora. 31 octobre 2014. En ligne. https://www.quora.com/How-successful-has-the-Pancasila-principle-been-in-securing-a-degree-of-pluralism-in-Indonesia

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