Par Enzo Guiggi
Le processus d’indépendance du Vietnam a été particulièrement chaotique, et fut notamment marqué par une première guerre avec la puissance coloniale française. Cet article vise à étudier comment s’est déroulé ce processus d’indépendance vis-à-vis de la France, et quels sont les principaux facteurs qui ont influencé son déroulement. La colonisation du territoire vietnamien a commencé en 111 av. J.C, avec l’occupation pendant plus d’un millénaire de la Chine. Cette occupation va profondément marquer l’imaginaire collectif, encore fort présente aujourd’hui. À titre d’exemple, l’année dernière, pour le 70e anniversaire de l’indépendance, les dirigeants vietnamiens ont mis l’accent sur la menace chinoise. (1) À compter de 939, le pays devient indépendant, et entreprend des politiques expansionnistes, annexant l’actuel Laos et le Cambodge. En 1862, la France s’empare du territoire, et impose peu à peu un protectorat divisé en trois entités (Annam, Tonkin et Cochinchine), que l’on nomme à partir de 1905 l’Indochine.
Cette occupation et ce découpage qui en découle sont très mal perçus par les populations locales, habituées à une longue tradition de résistance à l’égard de la domination étrangère (autrefois chinoise). Ainsi, comme l’avance le chercheur Brantly Womack : « To be Vietnamese is to resist and suffer external oppression ». (2) Elle est d’autant plus mal acceptée par les populations locales que le pays vient tout juste de réaliser son unification, ce qui va renforcer la volonté de résistance sur la base d’un nationalisme territorial. Ce nationalisme sous-tend par ailleurs la formation au préalable d’un « imaginaire collectif » (la construction d’un « nous »). Cette expression empruntée à Benedict Anderson s’est développée à travers la prise de conscience graduelle des Vietnamiens de leurs intérêts communs en vue de lutter contre l’État colonial français. Une présence dont ils ne profitent pas puisqu’elle se traduit par une colonie d’exploitation, autrement dit, essentiellement par le prélèvement de taxes et l’exploitation intensive des ressources dont recèle le pays (opium et hévéa). (3)
À cette exploitation des ressources s’ajoute le prosélytisme agressif propagé par les missionnaires chrétiens. Celui-ci a pu être efficace dans certaines régions côtières, mais globalement a connu une profonde répulsion au sein de la population vietnamienne. (4) Autant de facteurs, en plus de la barrière de la langue, qui expliquent la difficile implantation coloniale et l’apparition dès le 19ème siècle de résistances diverses face à cette présence (sabordage, actions de guérilla). Cette opposition apparaît dans un premier temps comme xénophobes, et s’appuient sur l’idée que le confucianisme serait supérieur aux valeurs républicaines que les colons français tentent d’imposer. Par la suite, ces revendications vont prendre peu à peu une nouvelle forme, et s’inspirer davantage des idées des Lumières, et surtout du marxisme. Ce changement qui s’opère à partir du début du 20e siècle est porté par la nouvelle élite, pour beaucoup, formée en Europe. C’est notamment le cas du plus célèbre d’entre eux, Hô Chi Minh, formé à Paris. À noter que le Japon a aussi joué un rôle dans l’émergence de ces actions anti-coloniales au moyen de bourses accordés aux écoliers vietnamiens en vue de les former dans ses écoles nationalistes, et en leur promettant l’indépendance. (5)
La Seconde Guerre mondiale va ensuite constituer un véritable tournant, et jouer un rôle crucial dans l’intensification du processus d’indépendance vietnamien vis-à-vis de la France pour deux raisons principales. D’une part, le Japon envahit le Vietnam, ce qui va discréditer l’État colonial français aux yeux de la population, et mettre à jour ses faiblesses. En réponse, une résistance armée anti-japonaise et anti-française se développe autour du Viet Minh, créé en 1941 par Hô Chi Minh. Cette ligue politique d’obédience communiste prône l’anticolonialisme et l’indépendance à travers l’insurrection. Elle proclame d’ailleurs l’indépendance de la République démocratique du Viêt-nam après le retrait des Japonais le 2 septembre 1945 (pour les plus curieux voir ci-contre). Enfin, après des pourparlers infructueux avec la France, qui ne désire pas se séparer de son ancienne colonie, et qui craint la montée du communisme, la guerre éclate en 1946. (6)
D’autre part, la Seconde Guerre mondiale a également marqué la montée de la sympathie pour l’idéologie marxiste. Cet essor s’explique non seulement par le fait que cette théorie offre à la fois une explication scientifique du colonialisme (lié au capitalisme), mais aussi un mode d’action possible pour organiser la révolution et tendre vers l’avènement du socialisme. Sa progression s’explique également par le contexte international avec le succès de la révolution Russe, puis la victoire des communistes de Mao en Chine, et le début de la Guerre Froide.
Finalement, cette guerre va en tout et pour tout durer 7 ans et 7 mois, se terminant après la célèbre défaite des français à Diên-Biên-Phu. L’indépendance sera rapidement actée en 1954, avec la ratification du traité de Genève par le nouveau président français, Pierre Mendès France, puisque le pays est également embourbé dans une situation similaire en Algérie. D’autant plus que cette guerre est très impopulaire auprès d’une large majorité de la population française qui s’en désintéresse complètement. (7)
Pour conclure, ce processus d’indépendance qui sera long et chaotique, marqué notamment par une guerre, s’explique principalement par l’émergence d’un nationalisme territorial important, le retour d’une élite formée en Europe, et également par l’entêtement de la France à l’égard de son ancienne colonie. Néanmoins, malgré cette indépendance, le Vietnam n’est pas encore au bout de ses peines. Le pays sera ensuite le terrain d’un des pires affrontements de la Guerre Froide, suivie de la guerre sino-vietnamienne.
(1) AFP. Soixante-dix ans après son indépendance, le Vietnam se sent toujours menacé. Dans Le Monde. En ligne. http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2015/09/02/soixante-dix-ans-apres-son-independance-le-vietnam-se-sent-toujours-menace_4743185_3216.html
(2) Womack, Brantly. 2006. China and Vietnam : The politics of asymmetry. Cambridge : Cambridge University Press.
(3) Boucheret, Marianne. 2011. « En lisant les thèses récentes » Entreprises et histoire 64 : 189-194.
(4) Baylet, René. 2009. « Culture spirituelle et religions au Vietnam ». Académie des Sciences et lettres de Montpellier 165-179.
(5) Tønnesson, Stein. 1985. « The Longest Wars: Indochina 1945-75 ». Journal of Peace Research 22.1 : 9-29.
(6) François, Guillemot. 2015. « Vietnam et France, histoire connecté mais rendez-vous politique manqué ». CNRS.
(7) Ruscio, Alain. 1991. « L’opinion française et la guerre d’Indochine (1945-1954). Sondages et témoignages ». Vingtième Siècle, revue d’histoire. 29 : 35-46.