Indonésie : protégée par les gardiens de la liberté

Par Eugénie Charreton-Sanford

Suite à la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis avaient assigné un rôle à chacune des régions de l’Asie du Sud-Est dans l’espoir de construire un nouvel ordre planétaire (Chomsky, 1998, p.18). L’Indonésie y avait le rôle principal, car de un, «la fonction de l’Asie du Sud-Est était de procurer aux sociétés industrielles des ressources et des matières premières» (Chomsky, 1998, p.18), et de deux, «en 1948, George Kennan, le stratège qui ‘‘inventa’’ la doctrine de l’endiguement, voyait dans le ‘‘problème de l’Indonésie […] la question la plus cruciale de ce moment précis [du] combat [américains] contre le Kremlin’’» (Chomsky, 1998, p.18).

pkiLe but des États-Unis était ainsi de contrer tout nationalisme indépendant. Ce même stratège avertissait qu’«une Indonésie ‘‘communiste’’ constituerait un foyer d’ ‘‘infection’’ susceptible de ‘‘s’étendre à l’Ouest’’ et d’atteindre toute l’Asie du Sud» (Chomsky, 1998, p.18). Voilà pourquoi les États-Unis portaient une attention toute particulière à l’archipel indonésien puisque ce pays d’Amérique du Nord, suite à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, s’est toujours vu comme le meilleur modèle de démocratie au monde du au déclin des puissances européennes. Ainsi donc, les États-Unis se voient dans l’obligation de démocratiser le monde. Cette idéologie se nomme la «Destinée manifeste» (1840).

De plus, il a la doctrine Truman (1947) qui fut créée à cause de l’opposition des États-Unis au régime communiste installé en URSS (Union des républiques socialistes soviétiques). Cette doctrine a deux objectifs. Le premier est de freiner l’avancée du communisme qui est perçue «comme une menace pour le mode de vie occidentale (politique du containment)[1]» et deuxièmement, «de se positionner comme le leader du ‘‘monde libre’’ après la chute des puissances européennes[2]».

Finalement, la théorie des dominos (1954), qui fut utilisée pour la première fois par le président étatsunien Dwight David Eisenhower, souligne que lorsqu’un pays de l’Asie bascule vers le communisme, ses voisins vont le suivre. Cette théorie fut utilisée par l’administration américaine pour justifier leur intervention dans plusieurs pays, durant la guerre froide.

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Combiner tout cela ensemble et nous obtenons une nation qui se veut garante de tous les autres pays. Pour être sûr que, par exemple, le communisme ne gagne pas de terrain, les États-Unis vont aider à ce qu’un dictateur soit mis au pouvoir, dans le cas de l’Indonésie : le général Suharto. Néanmoins, comment cet homme a-t-il pu faire un tel massacre en toute impunité, et cela, considérant que ce n’est pas encore reconnu comme un génocide ?

carte-indonesieCertes, l’influence du Parti communiste indonésien (le PKI) devint trop importante. Entre autres, le Parti revendiquait 18 000 000 de sympathisants (Lingane, 2006, p.145). Voilà pourquoi il fut considéré comme étant l’ennemi principal qui fallait éradiquer, puisqu’il «ne cessait d’ ‘‘étendre son influence, non pas en tant que parti révolutionnaire, mais comme organisation défendant les pauvres dans le cadres du système en place’’ et se construisait ‘‘une base de masse dans la paysannerie’’» (Lingane, 2006, p.145). De plus, le PKI et Sukarno, le Président de l’Indonésie, s’étaient beaucoup trop rapprochés, au détriment de la relation qu’aurait voulu avoir les États-Unis avec l’archipel (Messager, 2000, p.36).

À Jakarta, l’ambassade des États-Unis annonça qu’il ne serait pas possible de vaincre le PKI ‘‘en ayant recours aux moyens démocratiques ordinaires’’ et qu’il faudrait se résoudre à une ‘’élimination’’ politique et militaire dans le gouvernement de Sukarno (Chomsky, 1998, p.18), le père fondateur de l’Indonésie.

En pleine guerre froide (1945-1990) et avec la politique étatsunienne du «containment» envers le communisme, «les convictions anti-colonialistes, anti-impérialistes, ainsi qu’en instaurant sa ‘‘démocratie dirigée’’, le régime de Sukarno s’est plus rapproché de la Chine que de l’Amérique» (Messager, 2000, p.36). Ceci fut «perçu par les États-Unis comme une menace en pleine guerre du Vietnam» (Lingane, 2006, p.145). C’est ainsi que le 30 septembre 1965, le général Suharto réalisa un coup d’État militaire avec le soutien de ses alliés occidentaux (Lingane, 2006, p.145). Dès qu’ils prirent le pouvoir, les militaires accusèrent les communistes de fomenter une tentative de coup d’État et le général Suharto dirigea la répression envers eux (Lingane, 2006, p.145). «Une folie meurtrière s’empara du pays» (Lingane, 2006, p.145). «Pendant plusieurs mois, des foules surexcitées, encouragées par les militaires chassèrent les communistes du PKI et toutes les organisations qui lui étaient proches (syndicats, fédérations des enseignants, organisations de jeunes, des femmes, etc.)» (Lingane, 2006, p.145). Au cours de ces massacres, entre 500 000 et 1 000 000 personnes vont être exécutées[3]. suharto «L’armée éliminera les opposants les plus en vue et déportera dans des bagnes lointains plus de 2 000 000 de communistes et de démocrates au moyen de la promulgation d’un décret en 1966 par l’Assemblée constituante interdisant le ‘‘communisme’’[4]». Suite aux massacres, le général Suharto (photo ci-contre) va établir, dès 1966, son «nouvel ordre», une dictature népotique, corrompue et pro-occidentale[5]. Ainsi, pendant plus de trente ans, le régime du général Suharto, l’un des hommes qui fut le plus corrompu au monde, va pouvoir s’assurer une «légitimité criminelle», et ce, sous le couvert d’un système parlementaire déguisé, mais qui va être en fait régi par des militaires (Messager, 2000, p.37).

Cependant, nous pouvons aussi constater que les États-Unis (CIA) ont aidé à mettre beaucoup de dictateurs au pouvoir. Par exemple, Ferdinand Marcos aux Philippines, Pinochet au Chili, Saddam Hussein en Iraq, Mobutu Sese Seko en République démocratique du Congo, Anastasio Somoza au Nicaragua ou même la famille Duvalier en Haïti. Le moment où ces dictateurs tombent de leur trône est lorsque ceux-ci ne sont plus obéissants, donc une perte de contrôle, aux ordres des États-Unis. Le général Suharto a perdu la confiance des États-Unis, car il n’a pas pu maintenir un contrôle sur la révolte populaire qui se propageait en Indonésie et qu’il a refusé d’obéir aux ordres du Fond Monétaire International (FMI) (Chomsky, 1998, p.18). À cause de cela, Suharto perdu son grand allié de l’Amérique du Nord et également les derniers soutiens de l’Indonésie. Il quitta son poste de président en 1998.

Finalement, les États-Unis qui se disent être les gardiens de la liberté permettent à ces dictateurs de faire ce qu’ils leur conviennent, comme des massacres de masse (génocides non reconnus), tant que ceux-ci font ce qu’il leur ait demandé ? …

[1] 1947: Définition de la doctrine Truman contre le communism, en ligne.
[2] idem
[3] The Act of Killing, trios extraits commentés par son réalisateur Joshua Oppenheimer, en ligne.
[4] idem
[5] idem

Bibliographie

[S.A]. Définition de la doctrine Truman contre le communisme, [En ligne], , (page consultée le 9 novembre 2014)

[S.A.]. “The Act of killing”, trois extraits commentés par son réalisateur Joshua Oppenheimer, [En ligne], , (page consultée le 10 novembre 2014)

CHOMSKY, Noam. Trente-cinq ans de complicité – L’indonésie, atout maître du jeu américain, Le Monde Diplomatique, 1998, p.18

MESSAGER, Alexandre. Timor-Oriental : Non assistance à un peuple en danger, L’Harmattan, Paris, 2000, p.115-193

LINGANE, Zakaria. Comprendre les génocides du XXe siècle, Montréal : Fondation de la tolérance, 2006, p.16

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