Par Antoine Congost
Le Vietnam est un pays multiethnique fort de 55 différentes ethnies, soit 54 ethnies minoritaires dominées par l’ethnie Viet, ou Kinh, majoritaire à environ 87%1. Ces minorités vivent principalement dans les régions montagneuses du pays et ont longtemps été ignorées par l’État. Pourtant, il faut bien comprendre que la question des minorités est hautement politique au Vietnam, puisqu’elle concerne directement la rhétorique communiste qui fonde toute sa légitimité et sa force sur une idée de nation unie culturellement mais aussi évidemment politiquement. C’est pour cela que l’intégration des minorités à l’État-nation vietnamien est un défi majeur pour le pouvoir politique actuel. Ce défi est relevé avec beaucoup d’enthousiasme par le gouvernement vietnamien.
L’État a entrepris plusieurs types de politiques, que l’on peut décliner en deux volets. Le premier est compris par certains auteurs sous le terme de « vietcommunication »2, soit une série de politiques inédites et variées qui ont pour objectif d’effacer petit à petit la barrière séparant les peuples des plaines, les Kinh, aux minorités culturellement hétérogènes et très différentes de la majorité Viet. Ces politiques sont économiques, avec l’installation de populations Kinh dans les espaces montagneux favorables à l’agriculture. Elles sont aussi culturelles et éducatives, avec le développement d’établissements scolaires dispensant la même éducation Viet dans les territoires des minorités, ou bien un nombre de plus en plus réduit des langues minoritaires enseignées à l’école, en faveur du vietnamien. Parallèlement à ces politiques, les ethnies minoritaires sont concernées par un phénomène d’occidentalisation, qui n’est pas contrôlé par l’État vietnamien communiste. Cela passe par l’économie surtout, avec l’augmentation du tourisme et l’intégration d’objets occidentaux dans la vie quotidienne des minorités.
Le deuxième volet vise l’inclusion politique des minorités ethniques puisqu’il consiste à assurer leur bonne représentation à l’Assemblée nationale. Nous avons vu que le pouvoir s’inquiète des disparités sociales, culturelles et économiques entre les Viet et les nombreuses minorités du pays, et qu’il essaye de façon très dynamique de les inclure à l’idée d’un d’État-nation vietnamien uni. Mais le rôle concret de ces minorités en voie d’intégration dans la vie politique du pays se manifeste dans les institutions, à commencer par une des plus représentatives : l’Assemblée nationale. 33 des 54 groupes ethniques du Vietnam y sont représentés. Remarquablement, la part des députés issus des minorités reflète leur proportions dans la population du pays. C’est un objectif primordial que se fixe le Front de la Patrie du Vietnam, l’organisme qui supervise le gouvernement et les organisations gouvernementales, lorsqu’il établit les listes de candidats. Les Kinh sont majoritaires (407 députés entre 2007 et 2011), suivent les Tay (14 sièges) et les Muong (11 sièges), sur les 493 représentants de l’Assemblée3. Cet organe est aussi un outil pour relever le premier défi de ces populations minoritaires : la pauvreté de leur milieu de vie souvent reculé. En effet, être représentée à l’Assemblée, c’est assurer une gouvernance plus efficace car plus à l’écoute des habitants à l’échelle locale. Mais plusieurs difficultés émergent : les élites présentes à l’Assemblée restent déconnectées des réalités des populations qu’elles représentent. Des mesures sont mises en place pour remédier à cela, comme le développement d’interviews de députés diffusées sur VietNamNet Bridge, un des grands médias du pays. Le but de cette initiative est de rapprocher les communautés des élus qui les représentent. Autre difficulté : le rôle des députés issus des minorités est complexe à gérer, car ils doivent représenter des « électorats multiples »4. En effet, ils doivent non seulement représenter les intérêts de leur minorité, mais également ceux de la majorité. Les préoccupations de toutes les minorités ne sont pas les mêmes, et la consultation des députés, qui ne vivent pas dans leur circonscription, auprès de la population ne se fait que quatre fois par an, en mai et en octobre. De plus, aucune loi n’existe protégeant légalement les minorités. Cependant, de nombreuses résolutions sont prises à l’Assemblée pour améliorer ce point et « créer des conditions favorables pour les personnes issues de minorités ethniques »5. Par exemple, la décision 70 de 2009 encourage les intellectuels à travailler à l’échelle communale et les dirigeants locaux à tourner dans les districts les plus pauvres. Même chose pour le Conseil des ethnies, instance de l’Assemblée chargée de superviser et proposer les textes et procédures relatives aux minorités. Ces dernières s’y expriment d’une même voix.
L’assemblée nationale vietnamienne
Vis-à-vis de l’intégration et du rôle politique des minorités, l’État vietnamien fait figure d’exemple, car il a su saisir l’importance politique des minorités en menant de fortes politiques inclusives souvent fructueuses, et une attention particulière donnée à la représentativité de ces communautés dans les institutions étatiques. Pourtant, beaucoup reste à faire, et il ne faudrait pas sous-estimer les effets négatifs de telles politiques d’assimilation : les minorités se sentent en effet souvent dépossédées de leur culture et luttent pour la préserver6.
Références
1 Guérin, Mathieu. 2003. Des montagnards aux minorités ethniques : quelle intégration nationale pour les habitants des hautes terres du Viêt Nam et du Cambodge? Paris : L’Harmattan ; Bangkok, Thaïlande : Institut de recherche sur l’Asie du Sud Est contemporaine.
3 Ibid.
5 Taylor, Philip. 2011. Minorities at large : new approaches to minority ethnicity in Vietnam. Singapore : Institute of Southeast Asian Studies.
6 Sandrine Basilico, « De la « vietcommunication » comme processus d’insertion et de communication vietnamiens », Études de communication, 26 | 2003, mis en ligne le 10 octobre 2008.