Par Salomé Gueidon
« La Birmanie est un Disneyland fasciste » : telle est la déclaration d’Aung San Suu Kyi, principale opposante politique à la junte militaire birmane, et prix Nobel de la paix depuis 1991. Et en effet, la Birmanie, désormais aussi connue sous le nom de Myanmar, possède un lourd passé de dictatures, qui ont apporté leur lot d’absurdités, comme en témoigne le documentaire « Birmanie : la dictature de l’absurde ».
Revenons d’abord sur l’histoire récente du pays. Quelques années après son accession à l’indépendance en 1948, la Birmanie connait un premier coup d’Etat militaire, en 1962. Le pays est alors dirigé par le général Ne Win, auparavant déjà Premier ministre, qui va rester au pouvoir pendant 26 ans. Puis en 1988, suite à des manifestations demandant le rétablissement de la démocratie et faisant de nombreux morts civils, il démissionne. Un nouveau coup d’Etat place au pouvoir une junte militaire, connue sous le nom de « Conseil d’Etat pour la Paix et le Développement ». Le pays est alors rebaptisé Myanmar en 1989, une référence ancienne à l’ethnie birmane (Le Monde 2011).
En 1990 ont lieu des élections législatives, remportées par la Ligue nationale pour la démocratie (LND), dirigée par Aung San Suu Kyi, fille du héros de l’indépendance. La junte militaire nie les résultats des élections, et reste au pouvoir ; l’opposante principale du régime est assignée à résidence. Bien sûr, cela entraîne de nombreuses sanctions de la communauté internationale, principalement économiques. Mais bien que celles-ci visent à pénaliser le pouvoir en place, c’est en réalité la population birmane qui en pâti largement (Sabrié 2007, 6). La junte met en place une censure importante, le régime est considéré comme l’un des « plus répressifs à l’égard du Net » (Le Monde 2011). Malgré tout, la Birmanie rejoint, en 1997, l’ASEAN, organisation politique et économique régionale, peu regardante par rapport aux affaires intérieures de ses membres.
Sous la dictature, de nombreuses décisions basées sur l’astrologie révèlent l’absurdité du régime : du jour au lendemain, on change le sens de la circulation, on déplace la capitale dans une sorte de ville fantôme créée spécialement, de nouveaux billets de 45 et 90 kyats sont imprimés, ce qui se s’avère évidemment un fiasco économique… Les dirigeants de la junte n’en font qu’à leur tête, sans tenir compte des répercussions sur la population (Le Monde 2011). Mais outre ces aberrations, le régime birman, qui était jusqu’en 2011 la dernière dictature militaire d’Asie, fait subir à sa population « plus de quatre décennies de violation des droits de l’Homme, d’actes de torture, de trafics de drogue et autres opérations de blanchiment » (Egreteau 2004, 42).
Toutefois, 2011 marque un tournant dans l’histoire du pays, qui semble prendre le chemin de la démocratie. En 2010 sont organisées des élections qui, bien que contestées par la communauté internationale, rendent le pouvoir aux civils. Elles sont remportées par l’ancien Premier ministre de la junte, Thein Sein, et le pays reste donc contrôlé par d’anciens militaires. Cependant, Aung San Suu Kyi est autorisée à faire son retour sur la scène politique, et à participer aux élections législatives de 2011. De nombreux opposants politiques qui avaient été emprisonnés sous la dictature sont libérés. Cet « élan réformateur » (Egreteau 2012, 296) provient de la junte elle-même : en consentant à laisser le pouvoir, elle a trouvé une façon de garder un certain contrôle sur la politique du pays. Le rôle politique toujours très important des militaires est notamment illustré par le nombre de sièges qui leur est réservé au Parlement, s’élevant à 25% (Libération 2014).
Au lendemain de l’accession à l’indépendance, l’armée semblait être la seule institution assez forte pour diriger un pays divisé. Mais aujourd’hui, celui-ci fait toujours face à d’importants conflits ethniques entre ses minorités et le pouvoir central (Libération 2014). La Birmanie demeure ainsi fragile, et il lui reste donc un long chemin à parcourir pour parvenir à une démocratie solidifiée et capable de répondre aux besoins de l’ensemble de sa population. Certains pensent qu’afin de poursuivre la quête du pays vers un régime solide et démocratique, il faudrait se baser sur la nouvelle génération birmane, « plus éduquée, plus ouverte sur l’international et disposant de modèles politiques et sociétaux plus variés que ceux de leurs aînés, ou d’Aung San Suu Kyi » (Egreteau 2012, 305). L’avenir de la Birmanie se jouera sûrement lors de ses prochaines élections, en 2015.
Bibliographie
Egreteau Renaud, « Birmanie : la transition démocratique selon la junte », Critique internationale 3/ 2004 (no 24), p. 39-47. URL : www.cairn.info/revue-critique-internationale-2004-3-page-39.htm. DOI : 10.3917/crii.024.0039
Egreteau Renaud, « Birmanie : la transition octroyée », Études 3/ 2012 (Tome 416), p. 295-305. URL : www.cairn.info/revue-etudes-2012-3-page-295.htm.
Le Monde. 2011. Birmanie, la dictature de l’absurde. En ligne. http://www.lemonde.fr/week-end/visuel/2011/06/17/birmanie-la-dictature-de-l-absurde_1537284_1477893.html (page consultée le 22 septembre 2014).
Libération. 2014. Aung San Suu Kyi, prochaine présidente birmane ? En ligne. http://www.liberation.fr/monde/2014/10/31/le-president-birman-invite-aung-san-suu-kyi-a-un-sommet-politique_1133171 (page consultée le 4 novembre 2014).
Marion Sabrié, « Birmanie : vers une démocratisation ou un renforcement de l’appareil dictatorial ? », EchoGéo [En ligne], Sur le Vif, mis en ligne le 17 décembre 2007, consulté le 21 septembre 2014. URL : http://echogeo.revues.org/2021; DOI :10.4000/echogeo.2021