Une communauté de sécurité ; une façon d’augmenter son pouvoir sur la scène internationale

par Gabrielle Dionne-Legendre
Lorsqu’au début des années 1991, les accords de Paris sont signés, mettant fin à l’invasion du Cambodge par le Laos, plusieurs s’accordent afin de dire que l’ASEAN a besoin d’un nouveau centre d’intérêt. De plus, la fin de la Guerre froide entraine un nouvel environnement potentiellement dangereux. (Rolls 2012) Les États-Unis ont mentionné qu’ils étaient incertains par rapport à leur volonté de rester en Asie et la Chine a des ambitions de croissance qui faisait peur. (Lee 2010) C’est cette incertitude par rapport au futur de l’Asie qui pousse Aaron Friedbery à déclarer, dans un article du même nom, que l’Asie est « Ripe for Rivalry ». (Friedbery 1993) Pour ne s’intéresser qu’à l’Asie du Sud-Est, cela s’est révélé faux. Aujourd’hui, nous pouvons affirmer qu’un des plus grands succès de l’ASEAN est justement le maintien de la sécurité dans cette région. En ce sens qu’il n’y a pas eu de conflit interétatique. (L’ASEAN ne s’est jamais mêlé des affaires internes de ses membres.)

Bref, dans cette conjoncture d’événements, l’ASEAN a proposé la création d’un forum sur la sécurité l’ARF (ASEAN Regional Forum), en 1994. Cette organisation devait s’intéresser à la sécurité de la région de l’Asie en général. Depuis cette date, l’Asie a vu l’émergence de plusieurs organisations multilatérales. L’ASEAN fait partie de toutes ces organisations. Il y a l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation), l’APT (Asean Plus Three), l’EAS (East Asian Summit), etc.

La création de l’ARF va à l’encontre des principes énoncés dans le ZOPFAN en 1971 (Zone of Peace Freedom and Neutrality). Ce traité signalait l’intention de l’ASEAN de garder les États hors de la région. L’ARF, elle, fait tout le contraire; elle essaie de les garder engager. Ainsi, comme Acharya l’a noté, le fait que les grandes puissances de la région font preuve de déférence envers l’ASEAN en participant à ses forums montre que l’ASEAN est importante. (Traduction libre, Narine 2008) Son rôle de médiateur entre les grandes puissances est généralement considéré comme une de ses forces. Or, l’inclusion des grandes puissances dans l’organisation, même si en soi c’est tout un exploit, pose certains problèmes.

Dans un premier lieu, l’ASEAN en créant l’ARF a construit une communauté de sécurité basée sur la prolifération de normes. Cet organisme a, par la suite, permis la prolifération du « ASEAN way ». Aussi, l’ASEAN a fait signer le TAC (Treaty of Amity and Cooperation) à des États externes à la région Sud-Est asiatique, tel que la Chine, le Japon, l’Australie, etc. (Rolls 2012)

Dans un autre billet, nous avions fait l’argument contre «l’ASEAN way ». Cette manière de faire, propre à l’ASEAN, se caractérise comme une prise de décision consensuelle. Dans les relations externes de l’ASEAN, les choses sont plus compliquées. Un des succès de l’ASEAN a été de réussir à faire asseoir à la même table des acteurs différents avec des préférences différentes, à une époque où, nous l’avons dit, les tensions étaient plus élevées. Ce qui avait permis cela est justement le caractère informel que nous avions critiqué. (Ba 2010)  Bien que des États aux vues différents aient accepté de se joindre à la même organisation, des concurrences existent encore entre les grandes puissances dans la région. Selon Alice Ba, le succès de l’ASEAN, en tant qu’organisation intéressée par la sécurité, n’est pas son habileté à inciter les États à résoudre leurs différents, mais plutôt, dans un facilitateur de relations amicales. (Ba 2010)

Dans un second lieu, certains États, dans les dernières années, ont critiqué son caractère informel. Par exemple, pour les États-Unis et l’Australie, la difficulté qu’ont les organismes de coopération centrés autour de l’ASEAN à produire des réponses claires et actives est un problème en soi. Pour eux,  la coopération doit être basée sur des règles. Ainsi, selon lui, il devrait y avoir des règles pour le non-respect de clauses. (Ba 2010) La critique faite comme quoi l’ARF était « all bark, no bite » reflète ce point de vue. (Acharya 2001) Or, la Chine voit les choses différemment. Elle préfère garder le processus de décision flexible.

Bref, la décision de l’ASEAN d’occuper le « drivers seat » dans l’ARF est basé sur la présomption que le modèle de sécurité régional de l’ASEAN serait utile afin de construire un multilatéralisme en Asie. (Acharya 2001) Or, pour des raisons mentionnées plus haut, certains États occidentaux doutent de sa capacité à être un leader. De plus, considérant le faible poids politique et économique que possède chacun de membres de l’ASEAN pris séparément, certains doutent qu’une collation d’États faible puisse être au cœur d’une organisation comme l’ARF. (Ba 2010) Bref, si l’ASEAN désire rester au cœur de l’ARF, elle doit démontrer que la coopération avec d’autres États ne sera pas contrecarrée par ses propres divisions. (Ba 2010)  (Pour un reflet de ceux-ci, voir les quatre derniers billets.)

Nous revenons donc au problème mentionné dans le 3e billet, sur le problème de l’intégration des États. Acharya note que la coopération régionale des États de l’ASEAN a été entreprise malgré la présence d’une interdépendance fonctionnelle et d’une interaction forte. (Acharya 2001) Or, cette absence d’intégration forte n’a pas empêché l’organisme de garder la région relativement sécuritaire. Dans le cas de l’ARF, il semble que le plus gros problème de l’ARF ne soit pas les normes dont elle fait la promotion, mais les États qui en sont membres. (Ba 2010)

En conclusion, plusieurs défis nécessitent l’attention de l’ASEAN, soit le manque d’intégration, le conflit en mer de Chine méridionale, la montée de la Chine. Il y a aussi les défis par rapport à l’ASEAN, surtout si celle-ci désire jouer le rôle prééminent qu’elle a perdu pendant la crise asiatique. Nous avions essayé de donner des pistes de solutions dans les billets. Or, pour ce dernier cas, les critiques de l’ARF ne donnent ni des solutions concrètes afin de régler les problèmes de l’ARF, ni des idées alternatives afin de créer un organisme sécuritaire dans la région. (Acharya 2001)

Pour chacun des problèmes mentionnés, il y a, toutefois,  une chose qui semble claire : qu’une plus grande intégration des États dans l’organisation ne ferait pas de mal…

 

 

Bibliographie

Amitav, Acharya. 2001. Constructing a security  community in Southeast Asia. Londres : Routledge.

Ba, Alice D. 2010. Regional Security in East Asia: ASEAN’s Value Added and Limitations. Journal of Current Southeast Asian Affairs 29 (no. 3) : 115-130.

Aaron L. Fridbery, 1993. « Ripe for Rivalry: Prospects for Peace in A Multipolar Asia ». International Security. Vol. 18. (No. 3)5-33.

 

Jones, Lee. 2010. Still in the “Drivers’ Seat”, But for How Long? ASEAN’s Capacity for Leadership in East-Asian International Relations. Journal of Current Southeast Asian Affairs 29 (no. 3) : 95-113.

Rolls, Mark. 2012. « Centrality and Continuity : ASEAN and Regional Security since 1967 ». East Asia 29 : 127-139.

 

 

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