L’Indonésie et les religions

Par Matthieu John

« Si nous mettons en place un État basé sur l’Islam, de nombreuses régions aux populations non musulmane, telles que les Moluques, Bali, Florès, Timor, les iles Kai et Sulawesi se sépareront de nous. Et l’Irian qui ne fait pas encore partie du territoire indonésien ne souhaitera pas faire parti de la République. » 

Sukarno, 1953.

            Ces paroles du Président Sukarno (1945-1967) nous replongent dans la complexité de la question religieuse lors de la création de la République indonésienne en 1945. La tolérance religieuse fut une des valeurs fondamentales dans ce pays qui cherchait avant tout l’union d’une nation divisée géographiquement, culturellement, religieusement. La devise nationale étant d’ailleurs : Bhinneka Tungall Ika ou l’union dans la diversité (SMITH KIPP, p. 85).

Aux antipodes de cette notion de tolérance, l’Indonésie fut tout de même marquée, en particulier ces dernières années, par des actes discriminatoires envers ses minorités religieuses. Depuis l’indépendance du pays, la politique a-t-elle été une source de stabilité religieuse ?

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La place de la religion sous l’ère Sukarno :

            La constitution adoptée en 1945 accorde aux Indonésiens la liberté religieuse et la liberté de culte. Cela s’explique par la vision de Sukarno, leader du mouvement d’indépendance et premier Président, qui était celle d’un État qui protège les droits de chaque religion. Afin de favoriser l’unité de sa nation, il créa d’ailleurs ce qui deviendra un pilier du pays, la Pancasila : c’est une série de 5 principes (dont la croyance dans le seul et unique Dieu et l’unité indonésienne), cherchant l’inclusion de tous dans une même nation. Mais la Pancasila marqua aussi le début d’affrontements entre séparatistes islamique, contre celle-ci, et l’armée. Sukarno résista à la pression des groupes extrémistes ; Cette résistance se basait sur le fait que l’ensemble des Indonésiens, quelque soit l’appartenance religieuse, lutta pour un objectif indépendantiste commun. Lors des premières élections en 1955, la Masyumi (coalition des groupes musulmans) arriva second après le parti de Sukarno. Leur objectif était l’institution d’une politique suivant les principes de l’Islam (religion d’État, loi Islamique, Président musulman, etc.), allant donc à l’encontre de la vision de Sukarno. Le principe de Pancasila apparaît donc comme une alternative à cette politique et protège d’une certaine manière les minorités religieuses ; l’Indonésie se plaçant en fait à mi-chemin entre un État religieux et un État laïque (SMITH KIPP, p.89).

 

La religion sous Suharto :

            L’arrivée au pouvoir de Suharto à la fin des années 1960 ne marque pas réellement un changement dans la sphère religieuse. Le pays sort dans une période mouvementé, suites aux massacres qui ont lieux en 1965, principalement contre le Parti Communiste Indonésien (PKI). Cette période d’instabilité dans le pays, qui fait entre ½ et 1 million de victimes, marque néanmoins un changement dans la gestion politique. En effet, suite à la destruction du PKI, Suharto souhaite contrôler de près les partis islamiques : Il les pousse alors à se regrouper sous le United Development Party. Cela n’empêche pourtant pas divers incidents envers les minorités religieuses sous sa présidence. Par exemple, diverses attaques sont perpétuées à l’encontre de minorités chrétiennes en 1967. C’est dans ce contexte qu’il organise la conférence inter-religieuse de Makassar, afin de trouver des terrains d’ententes entre musulmans et chrétiens. Mais celle-ci est un échec, les différentes parties ne trouvant d’accords, notamment sur l’interdiction souhaitée par certains de construction d’Églises en zone à majorité musulmane. Malgré un grand contrôle de la sphère politique, et l’organisation d’élections, Suharto ne parvient pas à mener à bien une politique inter-religieuse. La fin de son régime, en 1998, et l’ouverture politique du pays ne va pas arranger cette situation.

La religion après Suharto :

                        Effectivement, la démocratisation du pays voit des groupes extrémistes religieux prendre de plus en plus d’importance. Elle leurs permet de s’organiser politiquement, de promouvoir leurs idées et objectifs. Ainsi, ces partis gagnent de l’influence, jusqu’auprès de l’exécutif et cela permet le décret de lois et politiques réduisant les libertés religieuses des minorités (HRW,2013, p. 20). On peut donc constater que l’existence d’un ministère des affaires religieuses en Indonésie n’est pas suffisante pour apporter de la stabilité religieuse. Au contraire, il a parfois participé à des lois excluant des groupes religieux. C’est le cas du décret de 2006 sur la construction de lieux de prière, qui rend difficile l’autorisation de construction de lieux de cultes pour les minorités religieuses. Il en est de même pour un décret anti-ahmadiya établi en 2008, signé par le ministre des affaires religieuses, et empêchant le développement de cette communauté. C’est alors dans ce contexte que s’est installée une instabilité religieuse : Premièrement, la période 1997-2004 fut marquée par des conflits autant séparatistes (Tels les acehnese de nord-Sumatra) qu’interreligieux ; Les violences contres les minorités religieuses ont considérablement augmenté, notamment contre les populations ahmadiyah, chrétiennes et shia : 30 mosquées ahmadiyah auraient été fermées depuis 2008, 430 Églises attaquées depuis 2004, etc. (HMW, 2013).

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            L’Indonésie compte aujourd’hui près de 88% de musulmans, 9.3% de chrétiens, 1.8% d’hindou, 0.6% de bouddhistes et de nombreuses autres minorités (non représentées au ministère des affaires religieuses) (HRW, 2013). Malgré la présence d’une grande majorité religieuse, la religion semble être, depuis l’indépendance, une problématique récurrente. Si les dernières années furent marquées par une démocratisation du pays, les gouvernements successifs depuis Suharto ont dû faire face à une radicalisation du champ politique, marquée notamment par la montée en puissance des islamistes radicaux et d’actes criminels envers les minorités religieuses menant à l’instabilité que le pays connaît actuellement.


Références :

  • RAMSTEDT, M., (2004). Hinduism in modern Indonesia : a minority religion between local, national, and global interests. London ; New York : RoutledgeCurzon.
  • SURYADINATA, L., (2003). Indonesia’s population : ethnicity and religion in a changing political landscape. Singapore : Institute of Southeast Asian Studies.
  • SMITH KITT, R., (1993). Dissociated identities : ethnicity, religion and class in an Indonesian society. USA : University of Michigan Press
  • HUMAN RIGHTS WATCH, (2013). In Religion’s Name. « Abuses againsts religious minorities in Indonesia ». Repéré à : http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/indonesia0213_ForUpload_0.pdf

  

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