Par Jonathan Deschamps
La mondialisation a ceci de particulier qu’elle « fragilise non seulement la puissance étatique, par le jeu conjugué du marché et de ses organisations transnationales, mais aussi des représentations qui s’attachent à l’État »[1]. Cette fragilisation s’explique de par la prolifération de nouvelles formes de « gouvernementalité »[2] (telle que le FMI et l’OMC) auxquelles les États doivent consentir une certaine part de leur souveraineté. L’État malaysien semble cependant faire exception à cette règle, tant sa capacité d’imposer ses politiques est forte
et sa détermination à ne pas recourir aux instances internationales est persistante (nous n’avons ici qu’à considérer, à titre d’exemple, le refus de la Malaysia d’accepter le secours du FMI lors de la crise financière de 1997). État fort donc, qui bénéficie d’un soutien populaire inébranlable depuis près de 50 ans, mais qui doit néanmoins faire face à de nombreux défis.
La fin du XXe siècle est caractérisée par une restructuration de l’économie. Le gouvernement garde « l’économie ouverte et courtise activement le capital étranger pour soutenir sa croissance »[3]. Ce qui a tôt fait d’accorder une place prépondérante au capital étranger au sein de l’économie nationale, reléguant celui des ethnies malaises et chinoises loin derrière. De fait, les Malais « possèderaient […] moins de 19,1% du capital d’affaires et les Chinois, près de 40% »[4] (pour obtenir un aperçu détaillé sur le taux de croissance annuel du PIB malaysien : http://fr.tradingeconomics.com/malaysia/gdp-growth-annual).
Outre la mainmise étrangère sur l’investissement national, la Malaysia doit également faire face à l’arrivée massive de migrants en provenance des pays limitrophes. Avec l’apparition de « nouvelles bourgeoisies fortes demandeuses d’employés domestiques »[5] issues du développement économique récent, la Malaysia se retrouve submergée par une quantité phénoménale de travailleurs, pour la plupart illégaux, en provenance de l’Indonésie et des Philippines. Ce flux migratoire affecte par ailleurs l’équilibre ethnique pour le moins précaire qui caractérise la société malaysienne. L’ethnie malaise, bien qu’au contrôle de l’appareil politique, s’en voit menacée de par la place de plus en plus réduite qu’elle occupe au sein de la population.
La vague de privatisation qui caractérise le développement de l’économie moderne de la Malaysia, s’accompagne de problèmes de corruption et de patronage, qui s’étendent bien au-delà des frontières nationales. L’ouverture accélérée « de l’économie aux investissements étrangers, notamment dans le domaine forestier, en lien avec la croissance fulgurante […] de la demande en bois provenant des pays de l’Asie du Nord-Est »[6], poussent ainsi les dirigeants du Sarawak et du Sabah à accepter d’énormes sommes en échange d’un accès privilégié à leurs domaines forestiers. Ce qui laisse entrevoir un autre défi relatif à la mondialisation auquel la Malaysia est confrontée, à savoir l’augmentation des disparités entre la péninsule métropolitaine, fortement industrialisée et bénéficiaire des largesses étatiques, et le Nord Bornéo, territoire rural et soumis à une certaine forme de colonialisme de la part de grandes entreprises peu soucieuses du bien-être de ses employés.
Autre défi majeur auquel doit faire face à la Malaysia est la montée d’un islam malais radical[7]. L’ouverture du pays, que ce soit en terme politique, économique ou social, fait de la Malaysia une des plaques tournantes de l’islam, attirant chaque années un nombre croissant de fidèles venant s’y installer. Presque partout dans le pays, « la fréquentation des mosquées est à la hausse, alors que l’on continue à en construire de nouvelles »[8]. Les fondamentalistes exercent alors une pression croissante sur la société civile, que ce soit en ce qui a trait aux programmes d’enseignement, au code vestimentaire, aux habitudes de consommation ou aux mœurs « jugées trop libertines d’une classe moyenne aux effectifs en croissance rapide »[9]. Bref, le potentiel de déstabilisation de l’État est on ne peut plus flagrant.
Force est de constater que la Malaysia n’a pas que profiter de la mondialisation. Cette dernière s’est manifestée par l’apparition d’enjeux nouveaux auxquels le pays doit faire face, en plus d’en raviver certains. Seul le temps permettra de savoir si la Malaysia saura relever efficacement le défi du XXIe siècle (PHOTO 1).
[1] Abélès, Marc. 2012. Anthropologie de la globalisation, Paris, Éditions Payot & Rivages, p. 153.
[2] Ibid., p. 153.
[3] Beaulieu, Isabelle. 2008. L’État rentier : Le cas de la Malaysia, Ottawa, Presses universitaires d’Ottawa, p. 224.
[4] Ibid., p. 225.
[5] De Koninck. 2007. Malaysia : La dualité territoriale, Paris, Éditions Belin : La documentation Française, Asie plurielle, p. 49.
[6] Ibid., p. 165.
[7] Ibid., p. 166.
[8] Ibid., p. 170.
[9] Ibid., p. 170.
BIBLIOGRAPHIE
Abélès, Marc. 2012. Anthropologie de la globalisation, Paris, Éditions Payot & Rivages.
Beaulieu, Isabelle. 2008. L’État rentier : Le cas de la Malaysia, Ottawa, Presses universitaires d’Ottawa.
De Koninck, Rodolphe. 2007. Malaysia : La dualité territoriale, Paris, Éditions Belin : La documentation Française, Asie plurielle.