Par Alexia Ludwig
C’est un fait, l’huile de palme est présente notre alimentation. À cet instant, il est fort probable qu’une célèbre pâte à tartiner vous vienne à l’esprit. Mais l’huile de palme est aussi un composant de nos produits cosmétiques et de nos carburants.
L’Indonésie est le premier producteur et exportateur mondial d’huile de palme. Dans ce secteur, l’Union européenne est le deuxième plus grand partenaire de l’Indonésie derrière l’Inde [1]. En Indonésie, 3 à 7 millions de personnes [2] dépendent directement ou indirectement de l’exploitation des palmiers à huile. Mais l’Indonésie est également le troisième pays plus grand émetteur de gaz à effet de serre derrière la Chine et les États-Unis [3].
Ce secteur économique en plein boom cause certains problèmes sociaux et environnementaux et abrite quelques paradoxes.
En 1870, une loi agraire autorise les investissements étrangers dans le secteur agricole indonésien. Après la Seconde Guerre mondiale, Sukarno, premier président indonésien, met sous tutelle les plantations étrangères de palmiers à huile. Après son coup d’État en 1966, Suharto installe sa dictature militaire, concède de nouveau des plantations aux compagnies étrangères et étend les parcelles de palmiers [4]. Officiellement selon le gouvernement, cette activité diminue la pauvreté, améliore les infrastructures (routes, hôpitaux, école) et favorise l’indépendance énergétique des populations [5]. Néanmoins, ce secteur économique participe à la déforestation et la délocalisation des minorités ethniques, car développer de nouvelles plantations nécessite de l’espace et des terrains libres.
Plusieurs organisations non gouvernementales comme Greenpeace, Friends of the Earth ou WWF défendent l’environnement et ces communautés. En plus d’influencer les institutions législatives et exécutives indonésiennes en leur faveur, elles informent les populations. Souvent, les propriétaires qui n’ont jamais vécu l’expérience des monocultures ou qui manquent d’éducation vendent leurs terres sans avoir réellement conscience des termes du contrat avec l’industrie. Par ailleurs, l’industrie de l’huile de palme est très concentrée aux mains de quelques grands groupes en Indonésie. On observe une solide coalition entre le gouvernement, les militaires et les investisseurs. Le pouvoir en place mène une politique pro-huile de palme et est extrêmement influent. En 2008, même l’organisation WWF est accusée par ses consoeurs de légitimer et de minimiser l’ambivalence des actions du RSPO alors que parallèlement l’industrie de l’huile de palme continue d’affecter les communautés.[6]
Depuis 2003, le RSPO [7]— Roundtable on Sustainable Palm Oil — promeut le développement durable de l’huile de palme à travers le monde, notamment en instaurant certains standards. Afin d’obtenir la certification “Certified Sustainable Palm Oil” (CSPO), les producteurs s’engagent à respecter 8 critères. Cependant, l’évaluation de certains critères comme la transparence, l’utilisation de « meilleures » pratiques ou la considération des communautés locales semble être difficile à réaliser. De plus, l’organisation regroupe les multiples acteurs du secteur : producteurs, compagnies industrielles, revendeurs, banques, investisseurs ou encore ONG. Même si cela peut être un atout pour engager une réconciliation entre ces groupes, on voit mal comment elle peut faire avancer le débat en présence d’intérêts tant divergents.
D’après le Fonds Français pour l’Alimentation et la Santé, le RSPO est insuffisant et peu contraignant, car seuls les États votent les lois, les font appliquer et sanctionnent le cas échéant [8]. Dans l’illustration ci-dessous, Greenpeace va plus loin dans la critique [9].
En 2013, le groupe Ferrero, acteur phare de nos goûters, assurait utiliser seulement de l’huile de palme certifiée CSPO [10]. Pensant ainsi mettre fin aux accusations de déforestation, sa crédibilité est mise à mal quand on regarde d’un peu plus près le fonctionnement du RSPO.
Outre l’Indonésie, d’autres pays asiatiques ne semblent pas avoir d’intérêt à encadrer la production d’huile de palme plus qu’elle ne l’est actuellement. D’un côté, les gouvernements malaisien et singapourien dénoncent les effets néfastes de la pratique du brûlis sur la santé de leur population, sur l’environnement et sur leur économie. Mais d’autre part, leurs entreprises et sociétés privées font affaire avec des hommes influents proches de la justice et du pouvoir indonésiens. Indirectement, ces gouvernements sont donc investis dans la filière indonésienne de l’huile de palme [11]. De plus, les investissements étrangers dans ce secteur ne sont pas nécessairement européens. Au contraire, il est majoritairement financé localement et par les puissances voisines — Malaisie, Singapour et Chine [12].
Au-delà de son utilité dans l’alimentation, l’huile de palme est un intrant peu coûteux utilisé dans la production de biocarburant. Depuis 2003, par plusieurs directives, l’Union européenne oblige ses membres à utiliser les biocarburants afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, ces directives sont peu exigeantes quant à certains aspects importants du processus de production de l’huile de palme comme le déplacement de l’agriculture de consommation des populations locales et la déforestation. [13]
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le biocarburant, par son utilisation en huile de palme et donc par son rôle dans la déforestation, menace l’environnement alors qu’à l’origine il devait aider à réduire la pollution environnementale.
L’utilisation de l’huile de palme n’est pas un problème en soi. S’il est géré correctement d’un point de vue environnemental, social et économique, ce secteur peut à la fois bénéficier aux populations locales et améliorer leurs conditions de vie, et permettre aux entreprises de poursuivre leurs activités.
Actuellement en Indonésie, les inégalités persistent dans cette filière. La corruption est devenue monnaie courante. En octobre 2014, le nouveau président indonésien Joko Widodo est entré en fonction. Issu du parti démocratique indonésien de lutte, cet homme d’affaires entendra-t-il ces communautés ? Saura-t-il les concilier avec l’industrie de l’huile de palme ?
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Références
[1] Pichler, M. 2010. « Agrofuels in Indonesia : Structures, Conflicts, Consequences, and the Role of the EU » : 179
[2] Alliance Française pour une Huile de Palme Durable. « L’impact de l’huile de palme »
[3] Block, B. « Global Palm Oil Demand Fueling Deforestation ». Worldwatch Institute
[4] Barral, S. et F. Ruf. 2012 « Plantations industrielles ou familiales ? Regards croisés sur la production d’huile de palme et de cacao en Indonésie et au Ghana » : 83
[5] Pichler, M. 2010. « Agrofuels in Indonesia : Structures, Conflicts, Consequences, and the Role of the EU » : 180
[6] ibid. : 187-8
[7] Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO)
[8] Fonds Français pour l’Alimentation et la Santé. 2012 « L’huile de palme : Aspects nutritionnels, sociaux et environnementaux » : 11
[9] Greenpeace International. 2013. « Certifying Destruction : Why consumer companies need to go beyond the RSPO to stop forest destruction »
[10] Thouny, L. 2013. « Huile de palme : Nutella tente de se racheter une vertu ».
[11] Alterasia. 2013. « Le business de l’huile de palme en Indonésie ».
[12] Pichler, M. 2010. « Agrofuels in Indonesia : Structures, Conflicts, Consequences, and the Role of the EU » : 181
[13] ibid. : 177
Bibliographie
Alliance Française pour une Huile de Palme Durable. « L’impact de l’huile de palme ». En ligne. http://www.huiledepalmedurable.org/limpact-de-lhuile-de-palme/
Alterasia. 2013. « Le business de l’huile de palme en Indonésie ». Traduit de « The Politics of Palm Oil » de Chachavalpongpun, P. En ligne. http://www.alterasia.org/201310054053/le-business-de-lhuile-de-palme-en-indonesie/
Barral, S. et F. Ruf. 2012 « Plantations industrielles ou familiales ? Regards croisés sur la production d’huile de palme et de cacao en Indonésie et au Ghana ». Presses de Sciences Po – Autrepart 62 : 75-93. En ligne. http://www.cairn.info/revue-autrepart-2012-3-page-75.htm#anchor_citation
Block, B. « Global Palm Oil Demand Fueling Deforestation ». Worldwatch Institute – Eye on Earth. En ligne. http://www.worldwatch.org/node/6059
Fonds Français pour l’Alimentation et la Santé. 2012 « L’huile de palme : Aspects nutritionnels, sociaux et environnementaux ». En ligne. http://www.alimentation-sante.org/wp-content/uploads/2012/11/Etatdeslieux_HdP_1112.pdf
Greenpeace International. 2013. « Certifying Destruction : Why consumer companies need to go beyond the RSPO to stop forest destruction ». En ligne. http://www.greenpeace.org/international/Global/international/publications/forests/2013/Indonesia/RSPO-Certifying-Destruction.pdf
Pichler, M. 2010. « Agrofuels in Indonesia : Structures, Conflicts, Consequences, and the Role of the EU ». ASEAS – Austrian Journal of South-East Asian Studies. En ligne. http://www.seas.at/aseas/3_2/ASEAS_3_2_A4.pdf
Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO). En ligne. http://www.rspo.org
Thouny, L. 2013. « Huile de palme : Nutella tente de se racheter une vertu ». Le Nouvel Observateur. En ligne. http://tempsreel.nouvelobs.com/planete/20130327.OBS2171/huile-de-palme-nutella-redore-son-blason.html