Par Maude Fagnant
Aujourd’hui, la croyance populaire veut que les conflits qui opposent les Moros, populations musulmanes concentrées au sud des Philippines, et le reste de la population, dont la religion est majoritairement le catholicisme, soient seulement dus à des facteurs religieux(1). Cependant, il existe plusieurs facteurs expliquant ces tensions, qui sont surtout présentes depuis que l’ensemble du territoire est considéré comme un seul pays, c’est-à-dire depuis l’arrivée des Américains en 1898(2).
Le peuple avait réussi à garder son indépendance à l’époque où les Espagnoles étaient la puissance coloniale sur le territoire. La situation a cependant pris un tournant pour le pire lorsque les Philippines ont obtenu leur indépendance, en 1946. Alors, le gouvernement Marcos instaura de nouvelles politiques répressives afin de prendre le contrôle de la totalité du pays. Aujourd’hui, les Moros veulent surtout garder leurs terres ancestrales et obtenir une certaine autonomie(3).
Lorsque les Espagnols ont cédé les Philippines aux Américains, ils ont aussi inclus les régions de Sulu et de Mindanao, au sud, même si elles n’ont jamais complètement été sous contrôle espagnol. Lorsque les Américains sont arrivés aux Philippines, ils ont entre autres dû affronter les musulmans qui les voyaient comme une nouvelle menace, mais ces luttes ont fini par la signature du traité de Bates en août 1899.(4) Ce traité disait que les Américains reconnaissaient l’autorité du sultan, mais il a été abrogé en 1902 et le sud du pays est tombé sous le contrôle du gouvernement de Manille(5).
Malgré cette prise de contrôle, les Américains ont d’abord adopté une politique disant qu’ils n’interféreraient pas dans la région afin de mieux s’occuper de la campagne militaire sur le reste du territoire. Lorsque les Américains sont arrivés, ils ont aussi dû faire face à une opposition de la part du reste du pays puisque les forces nationalistes, menées par Aguinaldo, avaient déclaré l’indépendance du pays lors de la guerre hispano-américaine. Ils ont finalement tourné leur attention vers le sud en 1905, mais dans l’objectif d’intégrer et de pacifier les Moros au reste du pays. Ainsi, ils allaient pouvoir intégrer les Philippines à son marché économique(6).
Pour atteindre ces objectifs, les Américains se sont servis d’une élite économique et politique locale propre au monde musulman philippin appelée datu(7). Ainsi, les Américains n’ont pas eu le besoin de faire affaire avec les sultanats. Les datu servaient donc de médiateur entre l’empire américain et la population musulmane(8). Ils ont aussi adopté une nouvelle politique visant à attirer les non-musulmans dans la région en leur promettant des terres agricoles et en faisant des prêts à ceux qui n’avaient pas les moyens de s’installer(9). À partir de 1902, ils ont réformé le système entourant l’enregistrement des terres ainsi que leur gestion pour faire en sorte que toutes les terres appartiennent à l’État philippin, bien que quelques privés pouvaient appliquer pour en prendre possession. Ce changement a entre autres eu comme conséquence de faire en sorte que les Moros ont perdu la propriété de leurs terres ancestrales(10).
Les nouvelles politiques intrusives de la puissance coloniale ont provoqué du mécontentement chez les musulmans et malgré l’interruption des procédures durant la Deuxième Guerre mondiale, ceux-ci ont envoyé un communiqué aux Américains avant que ceux-ci ne déclarent l’indépendance des Philippines en 1946(11). Ils demandaient leur indépendance en disant que les relations entre les musulmans et les chrétiens seraient perturbées et qu’ils n’avaient jamais vécu harmonieusement, mais la puissance américaine refusa leur demande(12).
Lorsque le premier gouvernement philippin pris le pouvoir, ils ont continué d’appliquer le même genre de politique que les Américains envers les Moros. Ils ont continué d’encourager la migration des chrétiens ainsi que l’investissement et l’établissement de compagnies étrangères au sud du pays(13). Cependant, lorsque le gouvernement a voulu imposer un taux de taxation plus élevé, les musulmans se sont révoltés, comme ils l’ont fait durant le régime américain. Jusqu’à ce que le gouvernement mette en place la loi martiale dans les années 70, la région était propice à ceux qui voulaient éviter de payer des taxes.
De plus, de violents affrontements ont eu lieu entre les catholiques et les musulmans, et ce sur une base régulière. Ce sont ces conflits qui perdurent encore jusqu’à aujourd’hui et qui ont causé la mort de 100 000 personnes en plus d’avoir causé la relocalisation de millions de Philippins(14). Malgré la signature de deux traités de paix en 76 et 96(15), les Moros ont dû reprendre les armes puisque les ententes n’étaient pas respectées.
Les problèmes que rencontrent aujourd’hui les Moros sont dus à plusieurs facteurs historiques, culturels, mais aussi politiques et économiques. Ils cherchent toujours à obtenir leur autonomie, mais elle sera inutile et inatteignable s’il n’y a pas d’effort fait de la part des deux partis pour qu’elle soit implantée de manière permanente, pour que les différentes tensions soient réglées et sans assistance active de la part de l’étranger, surtout de la part des pays qui ont contribué à détruire cette autonomie(16).
[1]Vellema, Sietze, Saturnino M. Borras Jr. et Francisco Lara Jr. 2011
[2]Serajul Islam, Syed 1998
[3]S. Tuminez, Astrid 2008
[4]Serajul Islam, Syed 1998
[5]Idem
[6]Vellema, Sietze, Saturnino M. Borras Jr. et Francisco Lara Jr. 2011
[7]Idem
[8]Idem
[9]Serajul Islam, Syed 1998
[10]Idem
[11]Idem
[12]Idem
[13]Idem
[14]S. Tuminez, Astrid 2008
[15]Idem
[16]Idem
Bibliographie
S. Tuminez, Astrid. « Neither Sovereignty Nor Autonomy : Continuing Conflict in the Southern Philippines ». Proceedings of the Annual Meeting (American Society of International Law), 2008 (Avril) : 122-125.
Serajul Islam, Syed. « The Islamic Independence Movements in Patani of Thailand and Mindanao of the Philippines ». Asian Survey, 1998 (Mai) : 441-456.
Vellema, Sietze, Saturnino M. Borras Jr. et Francisco Lara Jr. 2011. « The Agrarian Roots of Contemporary Violent Conflict in Mindanao, Southern Philippines ». Journal of Agrarian Change, 2011 (Juillet) : 298-320.