Par Eugénie Charreton-Sanford
Sous protectorat français depuis 1863, le Cambodge devint totalement indépendant en 1953 (Jennar, 2010, p.22). Néanmoins, le Parti révolutionnaire du peuple khmer (parti communiste), depuis sa création en 1951, gagne en puissance jusqu’en avril 1975, où le chef du parti, Saloth Sar (aussi connu sous le nom de Pol Pot) et ses Khmer rouges prennent la capitale, Phnom Penh.
Quelques jours après avoir pris le pouvoir, les Khmer rouges commencent à montrer leurs vraies ambitions pour cette nouvelle République. Pol Pot, Khieu Samphan, Ieng Sary et Nuon Chae, imposent leur vision de ce que devrait être le pays parfait; une société communiste agraire autosuffisante et absolument égalitaire. Ainsi, la purification de la société cambodgienne allait s’effectuer en effaçant toute trace de la culture traditionnelle et de l’influence occidentale (Jennar, 2010, p.26). Cependant, cette purification fut autant ethnique, sociale, religieuse, que politique. Il y aura, donc, une désurbanisation totale et une relocalisation des gens dans les campagnes (Béréziat, 2009, p.82). Il y aura une élimination systématique des élites, donc des «intellectuels», des personnes ayant un statut économique plus élevé, etc. (Béréziat, 2009, p.84), et une valorisation de la délation pour trouver tout ennemi du régime (Béréziat, 2009, p.87). Ce régime totalitaire maoïste se basera sur l’organe unique du gouvernement, nommé l’Angkar (Jennar, 2010, p.26).
Le régime de Pol Pot pris fin lorsque les troupes vietnamiennes le renversèrent, le 6 janvier 1979 (Richer, 2009, p.49).
Contrairement à l’idée populaire, cet événement tragique ne peut pas encore être considéré comme un génocide selon la «Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide» de l’Organisation des Nations-Unies». Pourquoi ? Et bien la réponse est claire : puisque les crimes qui sont survenus durant ces trois ans, huit mois et vingt jours (Jennar, 2010, p.14) n’ont pas été perpétrés «dans l’intention de détruire, […] un groupe national, ethnique, racial ou religieux [1]».
Insensé vous allez dire ? Entre un quart et un tiers de la population khmer, soit près de deux millions de personnes, sont mortes de faim, d’épuisement, de maladie, sous la torture ou d’exécutions (Jennar, 2010, p.30) ! Cependant, voilà le problème : ce fut des khmers qui tuèrent des khmers. La définition de l’ONU, ne peut s’appliquer et ainsi les crimes commis «relèvent avant tout de la qualification juridique de crime contre l’humanité [2]».
Pour bien distinguer le crime contre l’humanité du génocide, il y a une différence essentielle entre les deux et c’est le mobile (l’intention criminelle) (Lingane, 2006, p.9) : «si le criminel agit en vue de supprimer sa victime en raison de sa race, de sa religion ou de ses convictions politiques, c’est un crime contre l’humanité (Lingane, 2006, p.9)». Néanmoins, comme écrit plus haut, si c’est dans «intention de détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux en tout ou en partie», c’est un génocide. Comme vous le voyez, la ligne est mince pour différencier les deux, sans toutefois toujours les mettre dans le même «panier».
Voilà pourquoi la Convention de 1948 est de plus en plus critiquée par des spécialistes (Lingane, 2006 p.16). Pour eux, «la définition juridique du génocide est « parfois » insuffisante (Lingane, 2006 p.16)». Elle peut s’illustrer par «l’exclusion des groupes politiques, économiques ou culturels, comme certaines victimes des Khmer rouges (Lingane, 2006 p.16)». Dû à cette insuffisance juridique, «il serait impossible de qualifier de génocide le crime d’extermination de larges fractions de Cambodgiens par les Khmer rouges (Lingane, 2006 p.16)».
Heureusement, la définition même du «génocide», grâce à certains chercheurs, juristes et hommes politiques, commence lentement à changer (Lingane, 2006, p.18). De plus, «en se fondant sur la dite Convention de 1948, la destruction d’une grande partie de la nation cambodgienne relève tout un défi de qualification de génocide (Lingane, 2006, p.26)». Voilà pourquoi dans ce cas-ci, certains experts qui y voit une volonté génocidaire, dans ce « massacre de masse particulier », proposent une nouvelle catégorie du génocide: « l’endogénocide »» ou connu aussi sous « l’autogénocide » (Lingane, 2006, p.26). Cette sorte de génocide serait considérée comme fratricide, «donc pour qualifier la liquidation de catégories sociales, religieuses et politiques cambodgiennes» (Lingane, 2006, p.26).
Depuis, certains dirigeants khmers appréhendés, dans les années 2000, furent poursuivis pour génocide, crime contre l’humanité et violations graves des Conventions de Genève de 1949. Ces quelques dirigeants seront jugés par les «Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens» qui est le nom donné pour l’instruction des crimes commis au Cambodge. Pour ceux-ci nous pouvons nommer : Nuon Chae, «l’idéologue du régime[3]», Khieu Samphan, chef de l’État du «Kampuchéa démocratique», Sary Ieng, ancien Vice-Premier Ministre (maintenant décédé), et sa femme, Thirith Ieng, ancienne Ministre des affaires sociales, libérée en 2012, pour cause d’Alzheimer [4]. De telles accusations ont pu être déposées contre eux, car ils ont tous été vus comme responsables par rapport au génocide des groupes ethniques des chams (minorité musulmane) et des vietnamiens sur le territoire cambodgien, durant le régime des Khmers rouges.
En sachant tout cela, on peut se demander si la définition du mot «génocide» dans la Convention, va bientôt être réécrite. Cependant, si cet article dans la Convention de l’ONU venait à être changé, est-ce que les autres « massacres de masse dont le caractère génocidaire intentionnel est discuté » (Lingane, 2006, p.141) comme pour la répression des communautés amérindiennes du Guatemala de 1960 à 1996 ou pour l’annexion du Timor-Oriental en 1975 ou même le conflit au Darfour qui perdure depuis 2003 ? Avec toutes les réputations de certains (grands) pays qui sont en jeu, il devient alors clair que la définition ne changera pas de si tôt…
Saloth Sar mourut en 1998, âgé de 73 ans, dans des circonstances nébuleuses dans sa maison de réclusion. Khieu Samphan, 83 ans, et Nuon Chae, 88 ans, furent condamnés à «la réclusion criminelle à perpétuité pour crimes contre l’humanité», le 7 août 2014.
[1] Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, en ligne.
[2] Centre commémoratif de l’Holocauste à Montréal, en ligne.
[3] Cambodge : Début du procès pour génocide de dirigeants khmers rouges, en ligne.
[4] BBC News, en ligne.
Bibliographie
• [S.A.]. Cambodge : Début du procès pour génocide de dirigeants khmers rouges, En ligne, http://www.20minutes.fr/monde/1423761-20140730-cambodge-debut-proces-genocide-dirigeants-khmers-rouges, (page consultée le 17 septembre 2014)
• [S.A]. Historique du génocide au Cambodge, Annexe 14, Centre commémoratif de l’Holocauste à Montréal, En ligne, http://www.mhmc.ca/media_library/files/502e954f7ae4f.pdf, (page consultée le 17 septembre 2014)
• [S.A]. Khmer rouge ex-minister Ieng Thirith released, BBC News, En ligne, http://www.bbc.com/news/world-asia-19615534, (page consultée le 17 septembre 2014)
• Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens. Ieng Sary, En ligne, http://www.eccc.gov.kh/fr/indicted-person/ieng-sary, (page consultée le 17 septembre 2014)
• Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens. Ieng Thirith, En ligne, http://www.eccc.gov.kh/fr/indicted-person/ieng-thirith, (page consultée le 17 septembre 2014)
• Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens. Nuon Chea et Khieu Samphan sont condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité pour crime contre l’humanité, En ligne, http://www.eccc.gov.kh/fr/articles/nuon-chea-et-khieu-samphan-sont-condamn%C3%A9s-%C3%A0-la-r%C3%A9clusion-criminelle-%C3%A0-perp%C3%A9tuit%C3%A9-pour-crime,(page consultée le 17 septembre 2014)
• BÉRÉZIAT, Gilbert. Cambodge 1945-2005 : soixante années d’hypocrisie des grands, L’Harmattan, 2009, p.82-87
• JENNAR, Raoul Marc. Trente ans depuis Pol Pot : le Cambodge de 1979 à 2009, L’Harmattan, Paris, 2010, p.14-33
• LINGANE, Zakaria. Comprendre les génocides du XXe siècle, Montréal : Fondation de la tolérance, 2006, p.9-141
• Nations Unies : Droits de l’homme. Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, En ligne, http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CrimeOfGenocide.aspx, (page consultée le 17 septembre 2014)
• RICHER, Philippe. Le Cambodge de 1945 à nos jours, 2e édition augmentée et actualisée, Presses de Sciences Po., Paris, 2009, p.49