Par Claire Bigand
Le Vietnam n’a jamais eu la mainmise sur son environnement; la guerre du Vietnam (1955-1975) étant un bon exemple qui illustre comment la destruction des forêts via les agents toxiques utilisés par les États-Unis et leurs alliés a été hors de son contrôle. Actuellement, la situation est précaire. Il est vrai que le pays s’est davantage imposé au sein de l’économie mondiale et surveille attentivement son développement international, mais il devra reléguer son titre d’un des «plus riches pays au monde en terme de biodiversité»[1]. Aujourd’hui plus que tout, le Vietnam doit se surpasser pour éviter le pire.
La planète se réchauffe, le niveau des mers tend à augmenter dangereusement, voilà des faits qui ne sortent pas de l’ordinaire, mais en voici un qui devrait faire remuer le territoire de Trương Tấn Sang : «le Vietnam fait partie des cinq pays qui seront les plus touchés par le réchauffement climatique dans les prochaines années»[2]. À qui le blâme? D’une part, on pense à l’«expansion très rapide de la fabrication artisanale»[3] qui pollue l’air, le sol et l’eau d’une multitude de villages. Ce nouveau commerce découle de la mondialisation, phénomène qui transforme les terres agricoles vietnamiennes en cultures pérennes pour «un marché extérieur concentré sur le café et le caoutchouc»[4]. D’un autre côté, un engrenage différent prend la place : l’urbanisation. Croiserez-vous beaucoup de personnes âgées ou de jeunes bambins en vous promenant à Hanoï? La réponse est non, puisque la population vietnamienne est concentrée à «44,5% de gens entre 25 et 54 ans»[5]. Cette tranche d’âge bien active est à la tête de la pression démographique qui stimule le développement d’infrastructures, de routes, à une vitesse plus qu’affolante. On ne peut que serrer les dents en voyant des bulldozers assécher les zones humides à proximité de falaises qui peuplent de longues plages désertes. Le cocktail qui en découle est désolant : réduction massive des surfaces forestières, pollution accrue, menace de disparition de grands mammifères, accès aux eaux saines limité.
À noter également que le pays est la cible des gros pollueurs d’émission de gaz à effet de serre comme la Chine ou les États-Unis et qu’il en souffrira beaucoup notamment en raison de sa topographie.
Le Vietnam a les poignets liés. L’avènement de l’industrie de la soie, dès le début de 1986, est un parfait exemple : les villageois concernés par cette nouvelle industrie ont vu leurs revenus augmenter mais leur santé diminuer avec l’usage des matières toxiques. Comme ils le répètent souvent : «Nous savons que la pollution nous tue tranquillement, mais si nous arrêtons tout, nous allons mourir de toute façon»[6]. La perception est-elle différente du point de vue des investisseurs étrangers qui s’installent au Vietnam ? Il est de notoriété publique qu’ils sont au courant des dommages environnementaux reliés à leurs activités, mais aucune action radicale n’est engagée en raison du «trop gros risque social et économique que cela engendrerait»[7]. D’un point de vue général, «les autorités locales font payer aux paysans le coût de la modernisation»[8].
Le gouvernement vietnamien a-t-il procédé à des politiques pour lutter à la dégradation de l’environnement? Il essaie tant bien que mal de s’y prêter, en «élaborant des régulations pour alléger la crise de pollution dans les villages artisanaux»[9], mais elles sont loin d’être efficaces. Entre le nord du pays qui use de la reforestation et le plateau central qui s’allie avec la déforestation massive, les seules politiques de conservation mises en place, basées sur le paiement, «ont peu de chances d’être compétitives pour affecter significativement les choses»[10], en plus d’être proposées aléatoirement sur le territoire. Ce qui démontre toute l’importance d’un raffinement de la connaissance géopolitique vietnamienne, afin de proposer des alternatives efficaces, dépendamment des régions. Bien que la surface forestière se rétablisse dans le nord du pays, elle «décline en termes de qualité et de biodiversité»[11]. Au niveau local surtout, le pays doit clairement renforcer les régulations législatives environnementales existantes qui manquent de rigueur, de contrôle et de spécificité.
Maintenu par un seul groupe dirigeant, le pouvoir politique du Vietnam frôle la dictature. Malgré la lourdeur de la réglementation et les obstacles concernant la liberté d’expression, il est quand même étonnant de constater que la réponse aux problèmes environnementaux prend forme avec «les actions des acteurs individuels, d’associations ou d’ONG»[12]. En effet, la galvanisation qui ressort de la pollution industrielle crée une société civile forte, intermédiaire entre les pouvoirs dits publics et la population locale. On peut penser à l’implantation de l’organisme français GRET, membre du CFSI, mettant au point diverses associations pour sensibiliser les gens aux conséquences du changement climatique. Les médias s’infiltrent aussi dans ce processus; ils ont déjà jeté les projecteurs sur les actions civiles engendrées contre la compagnie taïwanaise Vedan qui déversait ses eaux polluées dans la rivière Thi Vai.
Cette ouverture de liberté d’expression peut s’expliquer notamment avec le rapprochement progressif du Vietnam de la communauté internationale ne serait-ce qu’avec son adhésion à l’ONU(1977) et l’OMC (2006)qui le stimule à adopter une pensée moderne.
Somme toute, le Vietnam entreprend des efforts qui semblent insuffisants dans la mesure où le réchauffement climatique sera bientôt à ses portes. Pays longuement reconnu pour ses nombreuses rizières, espérons que le Vietnam ne devienne pas, dans les prochaines années, un lieu notoire quant à sa pollution désastreuse…
[1] Christophe, en ligne
[2] Comité français pour la Solidarité Internationale, en ligne
[3] Trung Dinh Dang, Sango Mahanty et Susan Mackay, p.650
[4] Patrick Meyfroidt, Tan Phuong Vu et Viet Anh Hoang, p. 1190
[5] Index Mundi, en ligne
[6] Trung Dinh Dang, Sango Mahanty et Susan Mackay, p. 650
[7] Trung Dinh Dang, Sango Mahanty et Susan Mackay, p. 651
[8] Philippe Paquin, p.33
[9] Trung Dinh Dang, Sango Mahanty et Susan Mackay, p. 649
[10] Patrick Meyfroidt, Tan Phuong Vu et Viet Anh Hoang, p. 1194
[11] Christophe, en ligne
[12] Ibid
Bibliographie
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Christophe. 2010. Environnement : une tragédie vietnamienne, En ligne. http://www.lemonde.fr/idees/chronique/2010/12/13/environnement-une-tragedie-vietnamienne_1452868_3232.html (page consultée le 3 novembre 2014)
Comité français pour la Solidarité Internationale. 2013. Au Vietnam, les associations s’impliquent pour préserver l’environnement, En ligne. http://www.cfsi.asso.fr/thematique/vietnam-associations-pour-preserver-l-environnement (page consultée le 4 novembre 2014)
Index Mundi. 2014. Vietnam age structure, En ligne. http://www.indexmundi.com/vietnam/age_structure.html (page consultée le 4 novembre 2014)
Jérémy Jammes, François Robinne, L’Asie du Sud-Est 2014 (Paris-Bangkok : Les Indes savantes-Irasec, 2014).
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Notre planète info. 2012. Les graves dommages des guerres sur l’environnement, En ligne. http://www.notre-planete.info/actualites/3548-guerre_environnement (page consultée le 4 novembre 2014)
Ooi Keat Gin, Southest Asia : A Historical Encyclopedia, from Angkor Wat to East Timor (United States : Print flyer, 2004).
Patrick Meyfroidt, Tan Phuong Vu et Viet Anh Hoang. 2013. «Trajectories of deforestation, coffee expansion and displacement of shifting cultivation in the Central Highlands of Vietnam». Global Environmental Change (Vol. 23 Issue 5): 1187-1198
Philippe Paquin, Viêt-Nam : Parcours d’une nation (Paris : Éditions Belin, 2003)
Rodolphe de Konick, L’Asie du Sud-Est (Armand Colin, 2012).
Trung Dinh Dang, Sango Mahanty et Susan Mackay. 2013. «LIVING WITH POLLUTION’: Juggling Environmental and Social Risk in Vietnam’s Craft Villages». Critical Asian studies (Vol. 45 Issue 4): 643-669
William Duiker, Historical dictionary of Vietnam (United States : The Scarecrow Press Inc, 1998).