Singapour, le nouvel Eldorado

Par Olivia Amos

La prospérité de Singapour reste une énigme sur la scène internationale.

La Cité État aux allures de rocher abrite 5 millions d’habitants sur un espace restreint, situé sur une île à l’extrême sud de la péninsule Malaise, dont elle est séparée par le détroit de Johor. Son économie est développée (les données de la banque mondiale dévoilent un pic de croissance exceptionnel de 14,5% en 2010) et  sa population dispose d’un niveau de vie comparable aux pays les plus avancés avec un IDH estimé à 0,9, selon le site des Nations Unies pour le développement. Ces données contrastent, d’une part, avec le paysage économique général en Asie du sud-est, Singapour étant le poumon économique de la région. D’autre part, le rocher a également un statut exceptionnel au regard de nombreux pays de petite taille, qui doivent essentiellement leur développement à l’exploitation des matières premières (à l’instar des pays du golfe), ce qui n’est pas son cas.

Alors comment expliquer l’existence d’un tel eldorado, sans modèle de comparaison ?

Pour comprendre les fondements du développement économique du pays, revenons quelques décennies en arrière.

Avec l’avènement du commerce international et les flux de marchandises, Singapour commence à se transformer en une plaque tournante au milieu du 20ème siècle. Jean Louis Margolin explique dans son ouvrage Singapour 1959-1987, Genèse d’un nouveau pays industriel , que la mise en place d’infrastructures portuaires capables de contenir et stocker les marchandises devient vite un enjeu clé pour la cité Etat. Elle est un point de contact stratégique entre les marchés occidentaux, notamment européens, exportateurs de biens manufacturés à forte valeur ajoutée et le vaste marché asiatique en expansion ainsi que la zone pacifique. Après une période d’éclipse à la fin des années 1950, la cité relance son économie en s’affranchissant de son statut de colonie britannique. Elle obtient son indépendance en 1965 et passe sous le contrôle du People’s Action Party, fondé par Lee Kuan Yew, figure mythique du pays, et personnalité érigée en véritable « guide spirituel ».  C’est effectivement à cet homme, aujourd’hui encore considéré comme le « minister Mentor », que Singapour doit sa  prospérité, atteinte au moyen d’un  développement autoritaire.  L’île est gérée d’une main de fer depuis un demi-siècle par la même famille, via le Singapore Economic Development Board (EDB), une puissante agence du gouvernement chargée de la planification de l’ile, et de son développement autour de trois principaux axes.

Cette agence a dabord beaucoup misé sur l’attrait des capitaux étrangers. « Nous avons créé des conditions favorables aux investissements étrangers dans le pays en supprimant les taxes sur les profits réalisés par les placements étrangers. » livre Lee dans ses mémoires. Ce dernier a su crée  un environnement des affaires propice : l’état de droit parfait, l’indépendance du pouvoir judiciaire et un pouvoir exécutif honnête, compétent et stable. Les institutions politiques ont attiré les talents du monde entier par leur caractère raisonnable. De plus, la “rule of law”, héritée des Britanniques, donne une cohérence et une constance dans le milieu des affaires à Singapour. Par ailleurs, Singapour offre aux entreprises une fiscalité sans égal. Le site de l’administration fiscale (IRAS) indique un taux d’imposition sur les sociétés de 17%, assorti de nombreuses possibilités de déductions et les plus-values ne sont pas imposables ce qui vaut au pays le surnom de « Suisse asiatique ». A l’image de l’imposition des sociétés, la pression fiscale sur les personnes physiques est également très allégée, la concentration de millionnaires y est, par conséquent, la plus élevée au monde.

En second lieu, d’importants chantiers infrastructurels ont été menés afin de réaménager le territoire, et accroitre la visibilité de l’État. Les stratèges économistes singapouriens aidés d’ingénieurs ont entrepris des chantiers d’envergure : la modernisation du port (photo 1), l’aéroport international de Changi et le réseau ferroviaire. Mais il s’agit également des gratte-ciels qui ont poussé tels des champignons, des routes et des écoles, responsables selon le politilogue Henderson, du changement du paysage urbain. L’aménagement du territoire en général, ont permis un fonctionnement plus harmonieux de la cité, un impératif au vu de la concentration démographique.

Enfin, dès son indépendance, la République de Singapour a également eu pour ambition le développement d’une industrie de pointe axée vers les nouvelles technologies de l’information. L’objectif était double : favoriser le déploiement des sociétés à haute technologie et acquérir un savoir-faire exportable dans la région du Sud-Est Asiatique afin de bâtir son leadership régional. Ainsi, l’économiste Huff révèle que la « cité du lion » est devenue un dragon asiatique au tournant de la décennie 1980 au même titre que la Corée du Sud, Hong Kong et Taiwan, autrement appelés les Nouveau Pays Industrialisé Asiatique (NPIA), dont la principale ressource. Ces pays sont caractérisés par leurs activités industrielles sophistiquées (pharmaceutiques, biochimiques, automobiles et technologiques) et l’exportation de marchandises à haute valeur ajoutée permises par une main d’œuvre compétente et éduquée.

Singapour, est passée en quelques décennies, d’un statut de pays sous-développé (photo 2) à celui de pays riche et prospère, ceci en dépit de sa population peu nombreuse, de son espace très limité et de son manque de ressources naturelles. La principale ressource de Singapour réside dans sa population dynamique, disciplinée, motivée et formée dans les domaines de la société du savoir. De façon globale, le miracle singapourien trouve son essence dans la conduite rigoureuse des différentes politiques menées par le gouvernement.

En quelques mots, Sing résume ainsi la voute du succès du pays dans le titre de son article : « Singapour – Maintenir l’équilibre entre la prospérité, la croissance sociale et la démocratie graduelle ». Cet équilibre demeure néanmoins fragile lorsque l’on lit les nouvelles récentes. Les singapouriens considèrent que les impératifs économiques prennent le pas sur leurs droits politiques et sociaux. L’ile sera-t-elle capable de faire face aux nouveaux défis que pose la population en quête d’une plus grande liberté ?

Bibliographie

1. Ouvrage.

Margolin, Jean-Louis. 1989. Singapour 1959-1987, Genèse d’un nouveau pays industriel. Paris, l’Harmattan, 315 pages.

2. Article de journal.

Huff, WJ. « What is the Singapore model of economic development? »,Cambridge Journal of Economics, 1995, vol 19, issue6, pp.735-739.

3. Article de journal.

Henderson, Joan C. « Planning for the Success: Singapore, the Model CityState? », Journal of International Affairs, (Summer) 2012, vol. LXV, n°2, pp. 69-83.

4. Article de journal.

Sing, Bilveer, « Singapour – Maintenir l’équilibre entre la prospérité, la croissance sociale et la démocratie graduelle », Revue internationale de politique comparée, 2011, n°18, pp. 105-122.

5. Site de la Banque Mondiale

6. Site des Nations Unies pour le développement

7. Site Iinland Revenue Authority of Singapore

Annexe

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