Par Simon Plante
La République d’Indonésie, le quatrième pays le plus peuplé, compte plus de 230 millions d’habitants, dispersé sur un peu plus de 17 500 îles. [1] Les derniers recensements dénombrent quelques 700 langues différentes, dont environ 600 d’entres elles sont encore bien vivantes. [2] Considérant cette diversité ethnique, comment un pays insulaire tel que l’Indonésie a pu créer une identité nationale? La langue officielle, soit le Bahasa Indonesia, ou l’indonésien, a fortement contribué à l’unification sous un seul drapeau.
Choisir une langue nationale
Lors de la montée des mouvements nationalistes au début de 20ième siècle, identifier une langue nationale devint primordial. Trois choix en particulier s’offraient. Tout d’abord, il y avait le néerlandais, la langue des colonisateurs dont toute l’élite indonésienne parlait. «However, as an international language, Dutch did not have the same stature as other colonial languages such as English and French, and did not possess the same advantages as these languages as a vehicle of international communication.» [3]
Puis, il y avait le javanais, langue qui était parlée par la majorité de la population (et l’est encore aujourd’hui, à l’exception faite de l’indonésien). Cette option a rapidement été laissée tomber, principalement car le javanais est très difficile à maitriser pour des personnes dont ce n’est pas la langue maternelle.
La dernière possibilité était d’utiliser la lingua franca de la région : le malais. Étant la langue maternelle d’aucunes ethnies, en plus d’être relativement simple à apprendre, le malais ne menaçait l’intégrité d’aucunes ethnies, contrairement au javanais. Ainsi, il a gagné en popularité chez les leaders nationalistes. Dans le Premier congrès de la jeunesse indonésienne en 1926, ces leaders ont identifiés le malais comme future langue nationale d’une Indonésie indépendante et ils ont officialisé ce choix lors de leur deuxième congrès. Le malais porta désormais le nom d’«indonésien». [4] L’occupation japonaise de 1942 en 1945 et leur politique d’assimilation linguistique n’a fait qu’affirmer la position identitaire de l’indonésien avant de devenir la langue nationale après l’indépendance.
Succès de la politique unilingue
Dans son disours lors du Jour de l’indépendance en 1972, le président en place, Suharto, a dit : «To own a national language entails the love for the national language… Cultivation of our national language… is moreover a part of our national building.» [5] Lui et son prédécesseur, Soekarno, ont mis leurs énergies dans la solidification de l’identité indonésienne, notamment en utilisant l’indonésien comme symbole de cette identité. En 1948, soit 3 années après l’indépendance, le Balai Bahasa (Centre de langue) a été crée par le gouvernement. Il a subi plusieurs transformations avec le temps et se nomme, aujourd’hui, Pusat Pembinaan dan Pengembangan Bahasa (Centre de la formation et du développement de la langue). Malgré les changements d’appellation, son objectif primaire est toujours resté le même : promouvoir et normaliser l’indonésien dans le pays. Bref, ce centre est à l’indonésien ce que l’Académie française est au français.
Si c’est cette institution nationale qui a permis que l’indonésien devienne une langue à part entière, c’est l’éducation qui a permis de le propager. Du primaire à l’université, l’indonésien sert de langue d’enseignement et les 9 années d’éducation obligatoire permettent que tous le connaissent. De plus, il est difficile de conserver une identité linguistique si peu de personnes ne l’utilisent. L’urbanisation de l’Indonésie a permis une utilisation plus fréquente de l’indonésien. Plusieurs ethnies se retrouvant confinées dans un espace restreint, la langue nationale devient le moyen de communication par excellence. Avec l’urbanisation vient aussi le développement des médias, accélérant davantage la propagation de la langue sur toutes les îles, puisque le monde médiatique est majoritairement en indonésien. Ainsi, le partage d’une langue sert de point commun unifiant les Indonésiens. Non seulement il permet une meilleure communication entre les groupes, il crée un sentiment d’appartenance et contribue à la formation d’une identité nationale.
Succès incomplet
Bien que l’éducation soit faite en indonésien, la littérature universitaire dans la langue nationale est déficiente. La majorité des textes lus par les étudiants demeure en anglais ou en néerlandais. De plus, les compétences de la plupart des indonésiens dans les langues étrangères sont faibles, car leur enseignement n’est pas encouragé par le gouvernement, elles «véhicul[eraient] « l’influence négative des cultures étrangères ». » [6] En conséquence, ces problèmes linguistiques nuisent au développement de l’Indonésie, tant économique que politique. Ils rendent l’intégration de l’Indonésie dans le marché mondial plus difficile.
Le gouvernement présente l’indonésien, en tant que langue nationale, comme un consensus au sein de la population. Certaines chiffres démontrent le contraire : le recensement de 1990 met des chiffres concrets sur le pourcentage de la population qui utilisent régulièrement l’indonésien. Bien qu’il soit connu par la majorité, il est utilisé dans la vie de tous les jours par plus de 50% des habitants dans une seule région du pays. Il semble plutôt qu’il ait été imposé. Le Timor, la province d’Aceh et la Papouasie occidentale sont trois régions en particulier où cette assimilation linguistique n’a pas été acceptée par la population. Le gouvernement central a envoyé de nombreuses interventions militaires généralement (souvent très violentes) pour faire taire les mouvements séparatistes locaux. [7] Seul le Timor a obtenu son indépendance en 2002.
Références
[1] Site officiel du gouvernement indonésien, statistiques de 2009
[2] Ethnologue : Langues du monde : http://www.ethnologue.com/country/ID
[3] Paauw, p. 2
[4] Ibid, p. 3
[5] Kentjono, p. 294
[6] Leclerc, Jacques. 2009. «Indonésie : La politique linguistique» dans L’aménagement linguistique dans le monde, Québec, TLFQ, Université Laval. En ligne. http://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/indonesie-3_Pol_ling.htm (page consultée le 6 octobre 2013)
[7] Ibid.
Bibliographie
Kentjono, Djoko. 1986. «Indonesian Experiences in Language Development». Dans E. Annamalai, Bjorn H. Jernudd & Joan Rubin (eds.) Language Planning: Proceedings of an Institute. Mysore (Inde): Central Institute of Indian Languages.
Paauw,S. 2009. «One Land, One Nation, One Language: An Analysis of Indonesia’s National Language Policy». Dans H. Lehnert-LeHouillier and A. B. Fine (Eds.), University of Rochester Working Papers in the Language Sciences. Vol. 5, No. 1. En ligne. http://www.bcs.rochester.edu/cls/s2009v5n1/Paauw.pdf (page consultée le 6 ocotbre 2013)