Par Alex Chartrand
C’était avec un intérêt marqué en 2013 que Novopress et le Figaro signalait l’arrivée de Coca Cola en Birmanie [1]. Bien que cet évènement puisse apparaître pour plusieurs comme étant anodin, il est vrai qu’il représente les changements actuels qui se manifestent dans ce pays. La Birmanie a véritablement témoigné son intention de s’ouvrir de plus en plus aux autres économies et donc de s’immiscer au sein du processus de mondialisation, lequel a marqué la vaste majorité des pays de l’Asie du Sud-Est [2]. Toutefois, bien que les dynamiques liées à la mondialisation puissent apporter des changements significatifs au sein du régime birman, il est pertinent de se demander si le pays possède les moyens d’y répondre adéquatement et si le bien-être de la population en sera véritablement amélioré.
En effet, la mondialisation et ses effets sur les pays en voie de développement ont tendance à être associés à des changements positifs et souhaitables pour les régimes et les populations concernées. Après tout, avec une économie ouverte, un pays comme la Birmanie n’aura d’autre choix que de réformer ses institutions, menant à de nouvelles opportunités de démocratisation [3]. Certes, des changements ont déjà commencé et continueront de se produire au pays, mais à quel prix vont-ils se développer? Effectivement, il faut se demander, lorsqu’on étudie le régime birman, si les pressions d’une soudaine ouverture seront trop lourdes à supporter et donc entraîneront des conséquences néfastes pour le régime.
Des changements positifs aux conséquences dissimulées
Aung Thu Nyein, dans son article pour The Irrawaddy, précise que, bien que la mondialisation soit la source d’opportunités importantes pour les pays en développement, elle peut être à l’origine de nombreuses difficultés lorsqu’un État ne dispose pas des ressources nécessaires pour y faire face [4]. Ce point est également mentionné par Felix Rohatyn, qui affirme qu’intégrer les dynamiques de la mondialisation avant de disposer des institutions appropriées peut mener à des crises économiques importantes [5]. Dans le cas birman, Nyein avance que cela est dû aux capacités limitées du pays. En effet, la Birmanie souffre d’un grand manque d’expertise sur les marchés internationaux, est en retard sur les avancements technologiques et a, sous les pressions des marchés et dans le but de développer rapidement son économie, endommagé gravement ses ressources naturelles [6]. En effet, la levée des sanctions économiques et l’afflux de capital, selon certains experts, risquent de générer de graves problèmes, notamment pour les espèces menacées tel le tigre [7]. Ainsi, sans une restructuration efficace de son système, la Birmanie pourrait subir davantage de pertes face aux pressions de plus en plus constantes du marché international.
Or, ces pertes toucheraient particulièrement les conditions des travailleurs birmans [8]. Ainsi, il y aurait à nouveau le risque que des tensions éclatent au sein de la population, que des terres soient confisquées ou encore que des habitants soient obligés de quitter leur territoire [9]. Considérant les conflits existant déjà entre la majorité et les minorités, il pourrait en résulter encore plus de stigmatisation entre eux, créant alors un environnement où les crimes violents pourront être développés davantage. Ainsi, bien que la communauté internationale ait à maintes reprises exigé que ce problème soit réglé, il est possible que sa plus grande proximité avec le pays attise ces tensions. Cela illustre donc les réelles implications que peuvent avoir les processus de mondialisation et incite à une réflexion approfondie sur les enjeux entourant ses dynamiques.
La responsabilité de la communauté internationale
Assurément, les enjeux de la mondialisation devront être appréhendés et surmontés du côté de la Birmanie. Toutefois, il est aussi pertinent que la communauté internationale soit judicieuse dans ses investissements dans le pays. Bien entendu, le commerce et les investissements étrangers peuvent avoir plusieurs avantages, telle l’amélioration du bien-être des populations grâce à la création d’emplois par exemple [10]. Toutefois, pour que ces avantages se concrétisent, il faut que les investisseurs soient responsables.
À cet effet, The Burma Envrionmental Working Group a créé un document comportant certaines règles devant être respectées par les compagnies souhaitant investir en Birmanie. Ces règles peuvent être résumées comme suit :
1. Ne pas nuire : les investissements ne doivent pas exacerber les conflits
2. Adapter de meilleures pratiques et respecter les standards internationaux
3. Faire preuve de transparence et agir selon des normes et des principes
4. Soutenir la société civile et non l’impunité
5. Augmenter les capacités des communautés [11]
Bien que décrits brièvement, ces critères démontrent bien l’importance du rôle des futurs investisseurs dans la région. S’ils ne sont pas respectés, les compagnies étrangères pourraient entraîner des réactions néfastes du gouvernement birman et ainsi être en partie responsables de l’aggravation des conditions ouvrières et environnementales du pays.
Évidemment, demander aux multinationales d’adopter de tels principes ou de s’abstenir peut sembler utopiste. Certains nieront qu’ils puissent même contribuer aux problèmes du pays. Il serait alors souhaitable que l’ouverture de la Birmanie soit aussi marquée par l’arrivée d’organismes non gouvernementaux qui pourraient faire pression à ce sujet et ainsi convaincre les entreprises et autres acteurs de se conformer à ces critères. De plus, la présence d’organisme de défense permettrait à la société civile d’être plus informée sur le sujet et de se mobiliser davantage sur ces enjeux.
Le trajet incertain de la Birmanie
Face à tout cela, vers quoi se dirige la Birmanie? Son ouverture sera-t-elle trop précipitée, l’empêchant ainsi de s’adapter suffisamment aux changements apportés par la mondialisation? Ou alors, les acteurs étrangers voudront-ils vraiment faire preuve de patience avant d’investir, la région étant convoitée depuis plusieurs années? Il n’y a pas de réponses claires face à ces interrogations. En vérité, il semblerait que le futur de la Birmanie soit totalement incertain et qu’avancer des prédictions à ce sujet soit futile. Malgré cela, le cas birman est l’exemple d’un processus bien particulier, témoignant à nouveau des difficultés d’implanter un système démocratique dans un pays de sorte qu’il se soucie et respecte autant sa population nationale et ses minorités que la communauté internationale.
Sources
[1] Novopress, 2013; Chareton, 2013.
[2] Rodier, 2012.
[3] MacDonald, 2013, p. 27.
[4] Nyein, 2000.
[5] Rohatyn, 1999, p.3
[6] id.
[7] The Guardian, 2012.
[8] FIDH, 2012.
[9] id.
[10] id.
[11] BEWG, 2012.
À voir Publicité de la compagnie Coca Cola en Birmanie :
http://adage.com/article/global-news/coca-cola-introduces-myanmar/242126/
Image:
BEWG. 2012. Burma Environmental Working Group Issues Benchmarks for Investment in Energy, Extractive and Land Sectors in Burma. En ligne. http://bewg.org/en/news/108-investment-benchmarks (page consultée le 1er décembre 2013).
Chareton. Agnès. 2013. « Coca-Cola fait son grand retour en Birmanie, après 60 ans d’absence ». Le Figaro, 21 juin. En ligne. http://www.lefigaro.fr/societes/2013/06/05/20005-20130605ARTFIG00478-coca-cola-fait-son-grand-retour-en-birmanie-apres-60-ans-d-absence.php
FIDH. 2012. Investissements et commerce en Birmanie. En ligne. http://www.fidh.org/Investissements-et-commerce-en (page consultée le 23 septembre 2013).
Macdonald, Adam P. 2013. « From Military Rule to Electoral Authoritarianism: The Reconfiguration of Power in Myanmar and its Future ». Asian Affairs: An American Review, vol. 40, no. 1, pp. 20-36.
Novopress (France). 2013. « Mondialisation : Coca-cola débarque en Birmanie ». En ligne. http://fr.novopress.info/138647/mondialisation-coca-cola-debarque-en-birmanie/ (page consultée le 23 décembre 2013).
Nyein, Aung Thu. 2000. « Burma and Globalization ». En ligne. http://www2.irrawaddy.org/article.php?art_id=1873&page=1 (page consultée le 1er décembre 2013).
Rodier, Arnaud. 2012. « Birmanie : les grands espoirs économiques ». Le Figaro, 29 octobre. En ligne. http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2012/10/28/20002-20121028ARTFIG00160-les-grands-espoirs-portes-par-la-dame-de-rangoun.php
Rohatyn, Felix. 1999. « La mondialisation économique comporte-t-elle des risques ? ». Fédération française des sociétés d’assurances, les Entretiens de l’assurance, 10 pages.
Schmidt, Charles. 2012. « Will Burma’s forests survive as the country opens its doors to the world?». The Guardian. En ligne. http://www.theguardian.com/environment/2012/nov/15/burma-forests-survive-opens-world