Par Antoine de Blauwe
Singapour est une cité-état très soucieuse de son image. En 2011, l’organisation Transparency International a classé Singapour au cinquième rang des pays les moins corrompus de la planète. L’affaire Peter Lim a mis à mal cette réputation de probité comme le rapporte le Wall Street Journal. Cet ancien haut responsable gouvernemental a été inculpé le 6 juin 2011 pour faits de corruption [1]: il est soupçonné d’avoir accepté entre mai 2010 et novembre 2011 des faveurs sexuelles de directrices en quête, pour leur entreprise respective, de contrats publics. Peter Lim a été relevé début 2011 de ses fonctions de chef de la Force de défense civile de Singapour (SCDF). Il risque une peine de cinq ans de prison et une amende de 100 000 dollars [1].
Ce cas reste néanmoins très isolé car les scandales liés à la corruption sont rares dans un état qui est un exemple pour le reste de l’Asie du Sud Est, grâce notamment à la qualité des moyens de lutte contre le phénomène. Dès 1952, l’Etat de Singapour, alors sous la tutelle britannique, se munit d’un organe unique de lutte contre la corruption : le CIPB (The Corrupt Practices Investigation Bureau) qui devait être plus compétent que la section anticorruption de la police jugé trop inefficace [2]. Encore en place aujourd’hui, le CIPB est un organe indépendant de la police, sous la responsabilité du premier ministre ; Il détient son pouvoir de la Loi préventive de la corruption [3]. Le credo du bureau est de combattre la corruption à travers une action rapide, sure, ferme mais juste, afin de sauvegarder l’intégrité du service public et d’encourager des transactions sans corruption dans le secteur privé. Ses attributions consistent à recevoir les plaintes et enquêter sur les faits de corruptions mais aussi à prévenir le phénomène en examinant les pratiques et les procédures dans l’administration publique afin de minimiser les opportunités de corruption [3].
Après l’indépendance de 1965 les nouvelles autorités ont pris l’engagement de donner l’exemple en matière d’intégrité et de tracer la voie à suivre pour tout agent public à Singapour. La lutte anti-corruption est très vite devenue un enjeu majeur pour la cité état. C’est un système de lutte implacable et de tolérance zéro contre la corruption qui s’est donc installé durablement sur l’ile de Singapour [2]. Les pouvoirs du CIPB furent renforcés (peines alourdies, les témoins convoqués sont forcés à coopérer) et le cadre législatif adapté ; La loi anti-corruption, pilier du dispositif de lutte, fut régulièrement révisée afin de s’assurer que les contrevenants soient effectivement punis et que la corruption ne paye pas [4].
La lutte contre la corruption à Singapour est justifiée par trois objectifs [3]. Premièrement, elle revêt une importance stratégique dans le développement économique national ; l’absence de corruption confère effectivement un avantage comparatif dans une zone où l’on cherche avant tout à attirer les investisseurs étrangers en créant un climat propice et des conditions favorables au développement économique. Le deuxième objectif recherché est de contribuer ainsi à l’idéal méritocratique du pays, c’est-à-dire un système de gouvernance dans lequel les postes et responsabilités sont assignés aux individus qui ont démontré leur compétence ou aptitude. Enfin, la lutte contre la corruption fait partie intégrante d’une bonne gouvernance que l’Etat de Singapour doit à ses citoyens. Elle permet d’entretenir et de sauvegarder le lien de confiance qui existe entre le gouvernement et la population de la cité état [4].
Ce combat est jusqu’à présent un grand succès pour l’Etat de Singapour, puisqu’il demeure comme l’un des moins corrompus du monde [5]. Singapour est aujourd’hui l’un des rares pays au monde ou la corruption est maitrisée [2]. Cette réussite a été rendue possible par une réelle volonté politique rapidement relayée par la société civile et par la définition d’un cadre légal évolutif punissant sévèrement la corruption. C’est aussi volontairement que Singapour mène une politique de très hauts revenus pour ses responsables gouvernementaux, afin de limiter les tentations [5]. Cependant et comme l’a montré l’affaire Peter Lim, si des salaires très confortables semblent limiter l’appât du gain, ils protègent visiblement plus difficilement contre d’autres tentations. Le niveau de corruption ne serait également pas aussi faible sans le travail de la CPIB, premier organe unique de lutte contre la corruption en Asie du Sud Est, qui a su se remettre en cause au fil des années pour une plus grande efficacité [5].
Enfin, Singapour est un pays caractérisé par un environnement de bonne gouvernance relative, les organismes de lutte contre la corruption ont réussi leur mission puisqu’ils peuvent compter sur l’efficacité relative de la Police, du bureau du procureur et du système judiciaire [3]. Contrairement aux pays ou la gouvernance peut être qualifiée de médiocre voire de mauvaise, ces organismes ne sont pas affaiblis par des attributions conflictuelles et par l’insuffisance des ressources mises à leur disposition, de même que par la fragilité des autres institutions politiques et juridiques [6].
L’Institut des Nations unies pour la formation et la recherche (UNITAR) chargé de former le personnel administratif des États membres, en particulier de ceux en développement, s’est ainsi rendu à Singapour pour y observer plusieurs organisations gouvernementales et à but non lucratif dans la mise en œuvre de systèmes de transparence sophistiqués ou dans des projets de recherche et de développement de meilleures pratiques pour lutter contre la corruption [7].
Bibliographie
[1] Servan, Malo. Singapour : des faveurs sexuelles en échange de contrats gouvernementaux. En ligne. http://asie-info.fr/2012/06/08/des-faveurs-sexuelles-en-echange-de-contrats- gouvernementaux-54916.html. (page consultée le 22 décembre)
[2] Koh Teck Hin. 2011. Corruption control in Singapore. En ligne. http://www.unafei.or.jp/english/pdf/RS_No83/No83_17VE_Koh1.pdf (page consultée le 23 décembre)
[3] Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique. 2005. La lutte anti-corruption : l’exemple des pays d’Asie du Sud- Est. En ligne. http://www.ajol.info/index.php/ad/article/download/22253/19412 (page consultée le 22 décembre)
[4] Quah, John. 2001. Combating Corruption in Singapore: What Can Be Learned? En ligne. http://conferences.wcfia.harvard.edu/gov2126/files/quah_singapore.pdf (page consultée le 23 décembre)
[5] Verghese, Mathews. 2010. The Example of Singapore in Anti-Corruption. En ligne. http://unpan1.un.org/intradoc/groups/public/documents/APCITY/UNPAN002893.pdf (page consultée le 23 décembre)
[6] Banque Mondiale. 2004. Anti-Corruption Commissions Panacea or Real Medicine to Fight Corruption? En ligne. http://siteresources.worldbank.org/WBI/Resources/wbi37234Heilbrunn.pdf (page consultée le 21 décembre)
[7] United Nations Institute for Training and Research. 2011. UNITAR Hiroshima a organisé un voyage d’études à Singapour sur la transparence et l’anti-corruption. En ligne. http://www.unitar.org/fr/unitar-hiroshima-organise-un-voyage-d-etudes-singapour-sur-la- transparence-et-l-anti-corruption?page=36 (page consultée le 22 décembre)