Par Victor Klein
Dans nos sociétés occidentales, nous appréhendons souvent les luttes politiques comme des luttes idéologiques : socialistes contre libéraux en France, libéraux contre conservateurs et libertariens aux États-Unis, etc. Nous assimilons très peu les luttes politiques et les élections à des confrontations entre ethnies, nations, religions. Pourtant, ces oppositions entre ethnies, entre cultes, sont monnaie courante dans d’autres parties du monde. En Asie du Sud-Est, et en Malaisie plus particulièrement, le jeu politique s’articule autour, mais pas seulement, du groupe ethnique auquel nous appartenons et comment nous prions. On constate que le parti au pouvoir depuis l’indépendance, l’United Malays National Front (UMNO), tire son pouvoir de la majorité malaise de la population. D’autres partis, comme la Malaysian Chinese Association, cherchent l’opprobre des minorités ethniques, telles celles chinoise et indienne.
Un parti a tenté, et tente toujours, de ravir à l’UMNO sa légitimité et son approbation au sein de la majorité malaise musulmane : le Pan-Malaysian Islamic Party (PAS)[1]. Fondé à la suite d’une scission avec l’UMNO en 1951, il a jusqu’à la fin des années 90, beaucoup de mal à affirmer son assise au sein de la population. Le parti se propose d’abord comme une opposition de gauche malaise et musulmane prônant un islamisme modéré. Quand en 1959, le PAS remporte les sièges de deux gouverneurs d’états, il devient le premier parti islamiste d’Asie à être porté au pouvoir démocratiquement. Dans les années 70, le parti se radicalise sur la question ethnique et devient pro-malais uniquement. Il s’attire les foudres des autres minorités du pays, et perd de plus en plus de pouvoir, notamment à cause d’une alliance ratée avec l’UMNO[2]. En réaction, un groupe nommé Ulama, (Ulama veut dire théologicien, érudit du Coran en arabe), prend le contrôle du parti en 1982. Il promeut une ligne religieuse beaucoup plus radicale, et prend pour modèle la Révolution iranienne, qui transforme la monarchie iranienne en une théocratie dont le plus haut dignitaire est le Guide suprême, un ayatollah nommé pour une durée indéterminé, et dont les lois suivent les préceptes de la sharia. Le PAS, sous l’influence des membres de l’Ulama, souhaite donc dorénavant transformer la Malaisie en un État islamique[3].
L’islamisation du parti, reflète une motivation interne réelle d’appliquer les préceptes islamistes à la vie publique malaisienne, mais aussi d’une tentative populiste d’accaparer les votes malais musulmans originellement concentrés vers l’UMNO. On voit naître dans les années 80, une course à l’islamisation entre les deux partis pour conserver ou acquérir ces précieux votes. Ainsi les gouvernements successifs de Mahathir Mohamad (UMNO, 1981-2003), s’efforcent d’islamiser au plus l’État selon la vision de l’UMNO, afin d’étouffer l’opposition islamiste qui s’incarne à travers le PAS. Ils disent proposer un Islam modéré, soutenant le développement économique face, selon eux, à l’islamisme obscurantiste du PAS[4].
Malgré les efforts de l’UMNO, le PAS devient le premier parti d’opposition en 1999, avec 27 sièges au parlement. La crise économique asiatique de 1997 profite nettement au PAS. La gestion de la crise, et les failles qu’elle éclaire dans le gouvernement Mahathir furent vivement critiquées par la population malaise[5]. Ce gain sera vite contrebalancé par les prises de positions radicales que prend le parti dans les années suivantes. Après l’invasion de l’Afghanistan, le PAS appelle au Jihad contre l’Occident et soutient Ben Laden[6]. Le gouvernement profitera de ce climat pour dépeindre le PAS comme un parti extrémiste et se poser lui-même et l’UMNO comme les chantres de l’Islam modéré[7]. Cette bataille politique et idéologique tourne à la faveur de l’UMNO. Le PAS frôle la défaite totale en ne récoltant que 7 sièges aux élections parlementaires de 2004.
Après ce recul, le PAS dut faire son introspection et repenser sa ligne de parti. Il était urgent de séduire un plus grand nombre d’électeurs. Les dirigeants du mouvement commencèrent en modérant leur discours au sujet de l’Islam. Ils ne parlent plus d’islamisation de l’État, ni de l’application de la sharia. Ils mettent aussi l’accent sur les libertés civiles et s’ouvrent aux minorités, dont les Chinois malais qui forment un groupe d’environ 7 millions d’individus sur une population malaisienne totale de 28 millions. Ils s’efforcent aussi d’améliorer la participation des femmes aux postes de pouvoir[8].
Ce revirement porta ses fruits et, en 2008, le parti gagna 23 sièges au parlement. Avec ses deux alliés, le Peoples’ Justice Party et le Democratic Action Party, ils ravirent un total de 82 sièges. Ce succès mit à mal la coalition de l’UMNO, le Barisan Nasional qui perdit sa majorité de deux tiers au parlement. Le laissant dans une position périlleuse pour les élections de 2013[9].
Pour en voir plus sur les partisans du PAS, un reportage photo est disponible sur le web.
Il ne reste plus qu’un an avant les prochaines élections législatives, il est légitime de se questionner sur le futur de la Malaisie. Même s’il semble peu probable que le pays devienne un jour un État islamiste, au vu de sa grande diversité ethnique et religieuse, on peut raisonnablement se demander si oui ou non, le travail de sape du PAS mettra à bas le Barisan Nasional mené par l’UMNO, qui gère un État semi-autoritaire depuis son indépendance en 1957.
Tags : Islam, Malaisie, Ulama, Pan-Malaysian Islamic Party, UMNO
Bibliographie :
– Fuller, Thomas (2008), «Malaysia’s Governing Coalition Suffers a Setback», New York Times, 9 mars, http://www.nytimes.com/2008/03/09/world/asia/09malaysia.html?_r=0, page consultée le 17 novembre 2012
– Noor, Farish (2003) «Blood, Sweat and Jihad : The Radicalization of the Political Discourse of the Pan-Malaysian Islamic Party (PAS) from 1982 Onwards», Contemporary Southeast Asia: A Journal of International and Strategic Affairs, Vol.25(2), pp.200-232
– Liow, Jospeh Chinyong (Décembre 2011) «Creating Cadres: Mobilization, Activism and the Youth Wing of the Pan-Malaysian Islamic Party, PAS», Pacific Affairs, 84, 4, 665-686(22)
– Liow, Jospeh Chinyong (Juillet 2011) «Islamist ambitions, political change, and the price of power: recent success and challenges fort hte Pan-Malaysian Islamic Party, PAS», Journal of Islamic Studies, 22, 3, pp. 374-403
– Schuman, Michael (2003) «The Politics of Islam», Times, 10 mars, http://www.time.com/time/magazine/article/0,9171,428132-1,00.html, page consultée le 17 novembre 2012
[1] Farish Noor, p.201.
[2] Farish Noor, p. 203.
[3] Jospeh C. Liow, décembre 2011, p.680.
[4] Michael Schuman, en ligne.
[5] Michael Schuman, en ligne.
[6] Farish A. Noor, p.202.
[7] Farish A. Noor, p.202.
[8] Jospeh C. Liow, Juillet 2011, p.388.
[9] Thomas Fuller, en ligne.