«Support breasts, not dictators»

Par Hoai-An Tran

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[PHOTO: No Dictators] Crédit: http://www.cleanclothes.org/newslist/289-triumph-closes-factory-in-burma

«Support Breasts – Not Dictators[1]»; c’était une bataille de longue haleine que remportait l’organisme Clean Clothes Campaign lorsque Triumph ferma ses usines en Birmanie en juin 2002. Néanmoins, force est de constater que les motifs du retrait de ce géant du dessous féminin se situaient bien au-delà des pressions de la société civile internationale. En effet, la Birmanie présentait alors un paysage hostile aux investisseurs étrangers avec une inflation frôlant les 50%[2], des infrastructures désuètes[3] et une attitude hostile des  autorités gouvernementales[4].Partant de la prémisse que tout gouvernement est garant de la stabilité économique de son pays[5], la responsabilité de la junte militaire, autrement appelé le State Peace and Development Council (SPDC), dans la décadence économique birmane paraît donc évidente. Toutefois, dans un espace géopolitique où l’autoritarisme du gouvernement du Vietnam et de Singapore ont été porteur d’une croissance économique; la question serait plutôt à savoir pourquoi celui du SPDC faillit à reproduire un tel succès. La réponse se trouve dans la succession de gouvernements totalitaires birmans ayant pris les mauvaises décisions politiques et ce, aux mauvais moments.

Il est d’abord important de comprendre que la Birmanie est un pays très riche en ressources naturelles. Sous le règne colonial britannique, le pays était l’une des régions les plus prospères de l’Asie du Sud-Est avec une économie basée sur l’exportation de produits agricoles, mais surtout, miniers et pétroliers[6]. La transition à l’indépendance n’affecta pas pour autant la force commerciale birmane. En effet, le pays talonnait toujours en 1950 la Thaïlande fleurissante, selon la plupart des indicateurs de développement de l’époque[7]. La nouvelle démocratie instituée par Aung San, considéré le père fondateur de la nation, avait donc réussit à maintenir une économie active toujours axée sur l’exploitation des ressources naturelles, mais aussi, sur la consolidation d’une classe marchante éduquée[8]. Le coup d’État de 1962 vint cependant couper court les perspectives prometteuses de la Banque Mondiale pour le Myanmar[9].

Mars 1962, Ne Win abolit le parlement, imposa la censure et débuta le règne militaire des 17 officiers du Conseil révolutionnaire[10]. Son programme? Un socialisme totalitaire[11]qui allait plonger la Birmanie dans près de trois décennie d’isolation et de pauvreté rampante[12]. S’autoproclamant à la fois leader du Conseil, Président de la Birmanie, Ministre de la défense, des finances et du revenu[13], Ne Win imposa à son pays sa rhétorique du «Burmese Way to Socialism». Une vision autarcique imposée au travers d’une nationalisation des entreprises du pays, d’une économie centralisée, ainsi que d’une restriction stricte sur les investissements étrangers[14]. Toutefois, la Birmanie ne possédait pas les infrastructures adéquates pour mener à bien une autosuffisance saine; d’autant plus que sa reconstruction d’après guerre était toujours incomplète. Plutôt que de tirer profit de l’aide internationale alors généreuse (dont une, anti-communiste, massivement offert les États-Unis)[15], l’unilatéralisme de Ne Win mena sa nation à la faillite[16]. Seulement trois mois après son entrée au pouvoir, la production industrielle de la Birmanie chuta de 40%[17]. Vingt-cinq ans plus tard, le pays était l’un des plus pauvres de la région, alors qu’à peine une génération plus tôt, elle était le premier pays exportateur de riz mondial et le pays nouvellement indépendant le plus prometteur[18] en Asie du Sud-Est.

Alors que bon nombre des pays voisins de la Birmanie embarquaient dans le «miracle asiatique» des années 80[19], l’économie en lambeaux de cette dernière poussa le Général Saw Maung à prendre les commandes du pouvoir en 1988. Coup d’État orchestré sous la supervision de Ne Win[20], le régime de Maung ne fut à vrai dire que la continuité de l’autoritarisme de son prédécesseur. En fait, l’action d’éclat n’avait pour but que de justifier un changement de direction économique sans pour autant miner la réputation du dictateur sortant. Ainsi, l’institution de l’Union of Myanmar Foreign Investment Law promettait la transformation d’un système socialiste planifié en une économie de marché menée[21]. Toutefois, contrairement au Vietnam ou à Singapore, le régime faillit conséquemment à instaurer un environnement propice à l’émergence de l’entreprise privée. En fait, ce fut plutôt l’arbitraire même de son pouvoir absolu qui contribua à l’échec de cette tentative d’ouverture. Puisque le régime s’était réservé le privilège de fermer toutes compagnies qui «challenged the armed forces’ corporation[22]»; ce despotisme flou en termes juridiques, mais des plus concrets dans la réalité de ses abus, instaura finalement un climat d’incertitude incompatible[23] à toute croissance stable. En guise de preuve, nombreuses furent les entreprises qui se retirèrent vers la fin des années 90 après être venues tâter le terrain du marché birman lors de l’ouverture de 1988[24] –  remballant avec eux leur poids politique potentiel pour faire changer la donne.

À la lumière de ce court essai, il est donc évident que l’autoritarisme des régimes birmans a été un facteur nuisible au développement du pays. Encore aujourd’hui, la junte militaire est toujours au pouvoir et l’économie de la Birmanie est toujours en péril. Une question demeure : pourquoi une telle succession de mauvaise décision? L’éducation des dirigeants serait-elle en cause? Reste que l’économie «officielle» se portant de mal en pire, le SPDC se tourne dorénavant de plus en plus vers le blanchiment d’argent et le trafic de la drogue pour voir à sa survie[25]. Ainsi, la montée des activités narcotiques étant une conséquence indirecte d’une économie délaissée par les étrangers; cette situation singulière porte à se demander si la victoire du Clean Clothes Campaign ne fut pas plutôt un échec à long terme.

Bibliographie

Burma Campaign UK. 2001. Support Breats – Not Dictators. En ligne. http://www.burmacampaign.org.uk/index.php/news-and-reports/news-stories/Support-Breasts-Not-Dictators (page consultée le 6 décembre 2009)

Clark,  Allen L. 1999. «Myanmar’s Present Development and Future Options». Asian Survey Vol. 39 No. 5 (Septembre-Octobre) : 772-791

Kurlantzick, Joshua. 2002. «Can Burma Reform?». Foreign Affairs Vol. 81 No. 6 (Novembre-Décembre) : 133-146

Kyi, Khin Maung, Ronald Findlay et R.M. Sundrum. 2000. Economic and Development of Burma. En ligne. http://www.burmalibrary.org/docs3/Vision-strategy.ocr.pdf (page consultée le 6 décembre 2009)

McCarthy, Stephen. 2000. «Ten Years of Chaos in Burma: Foreign Investment and Economic Liberalization under the SLORC-SPDC, 1988 to 1998». Pacific Affairs Vol. 73 No. 2 (Été) : 233-262

Schlesinger Jr., Arthur. 1997. «Has Democracy a Future?» Foreign Affairs Vol. 76 No. 5 (Septembre-Octobre): 2-12

Seekins, Donald M. 2008. «Myanmar in 2008: Harship, Compounded». Asian Survey Vol. 49 Issue 1: 166–173

The Economist (US).2002. The black hole of Yanhon : Myanmar. En ligne. http://find.galegroup.com/gtx/start.do?prodId=CPI&userGroupName=mont88738 (page consultée le 6 décembre 2009)

Time Magazine. 1963. Burma : The Way to Socialism – & Havoc. En ligne. http://www.time.com/time/magazine/article/0,9171,940705,00.html (page consultée le 6 décembre 2009)

Zax, Jeffrey S. 2009. The Economic Responsibilities of State (and local) governement. En ligne. http://www.leg.state.co.us/CLICS/CLICS2009A/commsumm.nsf/b4a3962433b52fa787256e5f00670a71/3fe0558060407c74872576100075674d/$FILE/09Long-term0729AttachDD.pdf (page consultée le 6 décembre 2009)


[1] Burma Campaign UK (2001), en ligne «Support Breasts  – Not Dictators»

[2] The Economist (2002), en ligne «The black hole of Yangon: Myanmar»

[3] Donald M. Seekins (2008), p. 172

[4] Stephen McCarthy (2000), p.243

[5] Jeffrey S. Zax (2009), en ligne «The Economic Responsibilities of State (and local) government»

[6] Allen L. Clark (1999), p.773

[7] Khin Maung Kyi, Ronald Findlay et R.M. Sundrum (2000), en ligne « Economic and Development of Burma»

[8] Joshua Kurlantzick (2002), p. 135

[9] Id.

[10] Time Magazine (1963), en ligne «Burma: The Way to Socialism – & Havoc»

[11]Voir Joshua Kurlantzick (2002), p.136

[12] Voir Allen L. Clark (1999), p.773

[13] Voir Time Magazine (1963), en ligne «Burma: The Way to Socialism – & Havoc»

[14] Id.

[15] Voir Stephen McCarthy (2000), p. 234

[16] Voir Joshua Kurlantzick (2002), p.136

[17] Voir Time Magazine (1963), en ligne «Burma: The Way to Socialism – & Havoc»

[18] Voir Stephen McCarthy (2000), p.235

[19] Ibidem

[20] Voir Stephen McCarthy (2000), p.233

[21] Id.

[22] Voir Joshua Kurlantzick (2002),p.138

[23] Voir Stephen McCarthy (2000), p.243

[24] Voir Joshua Kurlantzick (2002), p.138

[25]Ibid., p.140

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