Par Nathalie Catillon
La Malaisie péninsulaire connaît une civilisation très ancienne, cependant la création du premier État autonome remonte à 1402, lorsque Parames Wara, un prince de Palembang, fonde Malacca. L’arrivée des Portugais en 1511, lorsque d’Albuquerque marche sur Malacca, marque le début de la colonisation du pays. En 1641 cependant, les Néerlandais s’emparent de cette péninsule stratégique. Puissance commerciale et maritime de l’Europe, ils ont vite compris l’enjeu économique du pays et établissent en Malaisie le carrefour des échanges en Asie du Sud. Puis, en 1824, les Britanniques acquièrent, grâce au Traité de Londres, les droits sur la péninsule et Singapour.
La multi-colonisation de la péninsule montre l’intérêt des diverses puissances sur le territoire. Or, celui-ci, riche en ressources naturelles, est également convoité par les pays voisins. Le développement du port de Malacca, à une vitesse fulgurante, le transforme en principal entrepôt de la péninsule. Il est également le lieu de rencontre de tous les immigrants à la recherche de travail et d’épanouissement : Chinois, Thaïs, Indiens, arabes entre autres s’installent sur le continent. Cette mosaïque, gouvernée par un pouvoir colonial, va contribuer à l’émergence du nationalisme. Il est intéressant dans le cas de Malaisie d’étudier les facteurs à la base de ce mouvement, puis d’en analyser le fonctionnement.
Mais encore? Quelles seront les étapes précises de votre raisonnement? On ne sait pas sur quels aspects du nationalisme vous allez vous concentrer dans ce billet?
Comme tel est le cas dans plusieurs pays du Sud Est asiatique, l’arrivée des colons dans la ville a contribué à la mise en place d’un système culturel colonial. L’expansion britannique s’accompagne donc de trois principaux facteurs. Tout d’abord, le gouvernement colonial cherche à profiter des ressources naturelles du pays. Les colonies représentent en effet une partie de la puissance du pays et peuvent avoir un intérêt économique important. De nouvelles techniques de travail sont importées, jugées plus efficaces et modernes, et mettent en place une division ethnique du travail. [1] Le travail sera ainsi partagé en deux temps: tout d’abord entre »natifs » et blancs, puis entre ethnies. N’oublions pas qu’en effet, la Malaisie représente une multiplicité ethnique importante.
De plus, on observe une vie associative non négligeable. Comme pour d’autres pays, dont des pays occidentaux, il est intéressant d’observer la corrélation qui existe entre la vie associative d’un pays et le pouvoir en place. Dans un pouvoir autoritaire, ou colonial comme c’es le cas en Malaisie, les regroupements politiques alternatifs sont fréquents. Or, pendant l’ère coloniale, les regroupements ethniques étaient importants car ils permettaient à des hommes, souvent des élites éduquées, de se rassembler et de partager un certain nombre d’idées, qui seront par la suite véhiculées au sein du peuple.
Puis, le gouvernement met en place un système éducatif, soit des écoles, dans le but de former une partie, souvent privilégiée, de la population. Ce dernier facteur est sans doute le plus important. En effet, l’éducation permet à une élite lettrée d’entrer en contact avec des valeurs occidentales acquise dès 1789, tels la liberté et l’égalité, et de connaître des paysages politiques différents. De plus, grâce aux technologies de mobilité, il est possible, comme l’ont fait Ho Chi Minh au Vietnam et José Rizal aux Philippines, de voyager et étudier. Ce système éducatif permet une relativisation du monde et du niveau de vie des Malais. A l’exploitation s’oppose une indépendance territoriale et une liberté qui existe en Occident. De plus, la création du Malay College, permet de former des élites administratives malaises, qui seront par la suite à la tête du gouvernement. [2]
L’administration en place crée un contexte dans lequel le nationalisme malais n’aurait pas de mal à émerger. Cependant, les discours politiques qui prônent la création d’une nation se heurtent à une problématique : la diversité ethnique. Les paramètres ethniques, tels les champs politiques, les différences économiques et les aspects socioculturelles sont essentiels pour comprendre le nationalisme de Malaisie. Cependant, selon Smith, pour voir apparaître l’émergence du nationalisme dans un pays, il est nécessaire de préétablir plusieurs conditions. Deux d’entre elles sont, “ une population partageant une histoire commune ” et une “ intelligentsia porteuse de cette idée nationaliste ». L’Histoire est bien partagée. Puis, on remarque que l’intelligentsia assume quand même un rôle important dans l’émergence du nationalisme malais.
En 1922, le Sultan Idris Training College forment une élite lettrée qui se donne le travail de promouvoir des critiques contre le gouvernement colonial en langue nationale, le malais. Les Malais une fois politisés, tentent de promouvoir à l’école des textes glorifiant la langue nationale, le pays et son peuple malais. En 1906, une revue politique, nommé Al-Imam apparaît : dirigée par l’élite lettrée du pays, elle prône, à travers des articles dénonciateurs, une lutte anti-coloniale, qui trouve son appui sur la religion. La religion, ainsi que les idées qu’elle transmet, tient en effet un aspect tellement important dans l’étude du nationalisme malais que certains auteurs parlent de nationalisme religieux. Des réformistes religieux vont permettre d’unifier les différents groupes et les diverses ethnies dans une lutte anti-coloniale. De plus, le nationalisme malais connaît une dimension socio-culturelle considérable : on observe des revendications anti-coloniales, de la part d’une partie de la population qui se sent désavantagée. C’est le cas en Malaisie pour les Malais : ceux-ci, bien que majoritaire, représentant 57, 6 % de la population, remarquent que des droits économiques sont octroyés à des minorités, dont les chinois (25,6 %).
Le véritable nationalisme se met en place dès les années 30. Le mouvement Brotherhood of Pen Friends, montre l’importance de ce nationalisme réformiste, lorsque sa composante passe de 2 000 personnes en 1935 à 10 000 en 1937 et dont le slogan est clairement glorifiant : Vive la langue, vive la nation ! » Deux pôles d’influence nationaliste émergent alors : d’un côté, on observe le parti marxiste, le PCC, crée en 1930, puis de l’autre le parti indépendantiste nationaliste, le KMT. Ces deux derniers feront transmettre des courants d’idées grâce à la vie associative intense du pays, tel que nous l’avons dit précédemment. Les instituteurs et enseignants se donnent également le travail de politiser les élèves dès l’école, grâce à des lectures et des articles [3] ; Abdul Razak Hussein, Ministre de l’éducation à l’époque, parle en effet de ‘’politique éducative’’ comme moyen de développement d’une nation unifiée.
Des mouvements nationalistes seront reconnus vers les années 30, 40 et, bien que la multiplicité ethnique soit toujours un problème, leur portée politique est importante. En effet, malgré la diversité des ethnies, il est possible de relever deux aspects importants qui ont permis de forger un nationalisme malais : la langue, partagée par les différents groupes, puis la religion, conduite par l’Islam.
Si les mouvements ont été moins violents que dans d’autres Etats d’Asie du Sud-Est, les idées n’ont pas moins gardées un rôle indispensable. Celles-ci ont été à la base de l’éveil d’un anti-colonialisme réformiste, dirigé par les leaders intellectuels en faveur d’un nationalisme territorial. Cependant, le véritable nationalisme ethnique apparaît après 1941, lorsque le Japon envahie la Malaisie. La communauté chinoise étant importante, surtout dans le domaine du commerce, appelait déjà à une conscience nationale malaise. L’invasion des Japonais fut donc un point important dans son éveil.
L’indépendance de la Malaisie est donc acquise en 1957, une dizaine d’années après la Seconde Guerre Mondiale.
Bibliographie
[1] Durand, Jean-Pierre. 1998. « Malaisie: capitalisme et nationalisme ». En ligne http://jean-pierredurand.com/artfrancaispdf/MalaiAlterEco2.pdf (page consultée le 26 novembre 2009).
[2] Raillon, François. 1986. « À propos du récent Congrès sur la Langue et les Lettres Malaises : quelques observations sur le nouveau nationalisme malais ». Archipel 31: 61-71
[3] Loh, Francis K.W. « Malaysia : National Security, the Police and the Rule of Law : Militarisation by Other Means ». dans Militarising State, Society and Culture in Asia, Asian Exchange Vol.20 no.2 and Vol.21, No.1 (2005) : pp. 179-208.