Singapour,  » A fine city » pour son économie?

Par Hoai-An Tran

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«Singapore is a ‘’fine’’ city». Bien qu’il soit destiné à des fins humoristiques, reste que le slogan fait clairement écho aux contraintes omniprésentes imposées par le gouvernement. Une main mise qui d’ailleurs, a su modeler la société de sorte à en faire le tremplin d’un succès économique.

Instrumenté par un régime autoritaire, le «miracle économique» singapourien laisse perplexe car il contredit la rhétorique du libéralisme-démocratique d’un libre marché conjoint à une liberté politique[1]. Ainsi, l’autoritarisme a-t-il été un élément de développement à Singapour? C’est du moins l’impression que nous donne le People’s Action Party (PAP), parti fondateur du pays créé par Lee Kuan Yew, qui a su créer une prospérité sans précédent en faisant usage de son hégémonie pour imposer des réformes.  À cet égard, nous explorerons en quoi la nature autoritaire du PAP lui a permis d’instaurer les politiques économiques et sociales nécessaires à la croissance économique de son pays.

Encore en 2006, le PAP sortit vainqueur des élections parlementaires. Dixième appel aux urnes depuis la formation du pays en 1965, ces dernières élections furent aussi la dixième victoire du même parti au pouvoir. Ces exploits consécutifs illustrent de façon évidente le caractère absolu de la machine politique de Lee[1] qui, pour assurer son emprise, a fréquemment eut recours à des méthodes de répression. Toujours perpétrés dans le cadre d’une légalité juridique, l’emprisonnement et la mise en faillite de leaders d’opposition[2] sont des exemples de moyens prisés par le PAP. Au-delà du musellement de groupes qui lui sont critiques, le People’s Action Party excelle au jeu politique aussi grâce à son influence sur sa population. «It never fails to remind voters, is that it has always kept its promise of efficient and clean government[3]». En effet, rares sont ceux qui contesteraient le rôle central du PAP dans la création du succès économique de Singapour[4] – une réussite qui se fit à partir de bien peu.

Au début des années 60, la Cité-État offrait un paysage économique désolant avec des taux de chômage atteignant les 15% et des infrastructures désuètes[5]. Pour remédier à la situation, le PAP choisit un programme industriel orienté vers l’exportation. Pourquoi? Diverses tensions ethniques sévissant au sein des pays avoisinants (Malaisie, Indonésie, Thaïlande) rendaient impossibles toutes tentatives de coopération économique régionale. Parallèlement, cette même période concordait avec l’escalade de la compétition entre les firmes américaines, européennes, et japonaises dans le domaine de l’investissement outre-mer[6]. Ce fut donc vers ces multinationales que se tourna le PAP. Misant sur le capital et les institutions étrangères, Lee Kuan Yew avait pour théorie que ces intérêts extérieurs sauront assurer la survie de la République nouvellement formée, ainsi que veiller à son développement économique[7]. Le pari sera gagné : dix ans plus tard, le taux annuel de croissance se maintiendra autour de 9,8%[8].  En un quart de siècle, la Cité-État aura transité d’un État postcolonial fragile à celui d’une nation hautement industrielle[9].

Conséquemment aux politiques économiques mises de l’avant, le besoin de posséder une population stable et docile pour un climat favorable à l’investissement redoubla d’importance[10]. De nombreuses initiatives furent donc élaborées pour éliminer toutes oppositions potentielles au plan économique du PAP. Les bidonvilles furent détruits et transformés en espaces d’aménagement pour les entreprises étrangères; la croissance démographique fut restreinte avec un système de fiscalité pénalisant les familles nombreuses; les syndicats furent mis sous administration gouvernementale[11], etc. Les projets étatiques de social engineering manœuvrèrent toutes les sphères sociales, particulièrement celle de l’éducation. Afin d’intégrer la population singapourienne à l’économie monde; le PAP imposa l’anglais comme langue de formation, investit massivement dans les formations en sciences et technologie[12], et introduisit en 1984 l’étude de Confucian Ethics dans les écoles.

«In our drive towards greater productivity, two major factors must be considered: management of human relations and good work attitudes… The Confucian emphasis on harmonizing human relations can certainly make an important contribution[13]».

Bref, la qualité des ressources humaines de Singapore devint éventuellement un facteur important de croissance économique[14] et contribua au positionnement du pays en tête de peloton, devant le Canada et le Royaume-Uni, en termes de production par habitant (1994)[15].

Somme toute, il a été intéressant de constater jusqu’à quel point le People’s Action Party a su modeler sa société aux aléas des marchés internationaux afin de stimuler un développement économique. Profondément ancrées dans un pragmatisme économique, les politiques instaurées par le PAP ont su faire leurs preuves  avec des taux de croissance annuelle de 7%[16] étant toujours d’actualité, malgré deux crises financières régionales. Toutefois, sachant que Singapore vient tout juste de célébrer son 44ème anniversaire; il est prudent de se questionner quant à l’efficacité à long terme de ce règne autoritaire. En effet,  l’intensification croissante des réseaux de la mondialisation ne semble laisser aucun répit autant à l’ordre politique du PAP, qu’à son outil de croissance, sa main d’œuvre. Quant bien même que le People’s Action Party réussisse à se maintenir au pouvoir malgré un marché international qui prêche le rejet d’un rôle dominant de l’État[17] dans la sphère économique; sa main d’œuvre devra toujours faire face à la compétition grandissante de ses pays avoisinants qui offrent de plus en plus une main d’œuvre spécialisée et à moindres coûts . «The PAP’s consistent victories also stem from the government’s … innovative manner of periodically reforming itself[18]» – reste à voir quelles seront les réformes à venir et si elles sauront maintenir le moment économique.

 

Bibliographie

2006. «Asia : Ten in a row for the men in white; Singapore’s election». The Economist Vol. 379 No. 8477 (13 mai): 69.

Chong, Alan. 2007. «Singapore’s Political Eocnomy, 1997-2007: Strategizing Economic Assurance for Globalization». Asian Survey Vol. 47 No.6 (Novembre-Décembre): 953-976.

CIA. 2009. The World Fact Book – Singapore. En ligne. https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/sn.html (Page consultée le 21 novembre 2009).

Grice, Kevin et David Drakakis-Smith. 1985. «The Role of the State in Shaping Development: Two Decades of Growth in Singapore» Transactions of the Institute of British Geographers New Series, Vol. 10, No. 3: 347-359

Haque, M. Shamsul. 2004. «Governance and Bureaucracy in Singapore: Contemporary Reforms and Implications». International Political Science Review / Revue internationale de science politique Vol. 25, No. 2 (Avril) : 227-24

Kuah, Khun-Eng. 1990. «Confucian Ideology and Social Engineering in Singapore». Journal of Contemporary Asia Vol.20 No.3: 371-383

New York Time. Singapore Sets Parliamentary Elections for May. En ligne http://query.nytimes.com/gst/fullpage.html?res=9807E4D6143FF932A15757C0A9609C8B63 (Page consultée le 21 novembre 2009).

Olds, Kris et Henry Wai-Chung Yeung. 2004. «Pathways to Global City Formation: A View from the Developmental City-State of Singapore». Review of International Political Economy Vol. 11, No. 3 (Août): 489-521

Verweij, Marco et Riccardo Pelizzo. 2009. «Singapore: Does Authoritarianism Pay?». Journal of Democracy Vol. 20 No.2 (Avril): 18-32


[1] Marco Verweij et Riccardo Pelizzo (2009), p.19

[2] Voir Marco Verweij et Riccardo Pelizzo (2009), p.19

[3] Voir The Economist (2007), p.69

[4] Voir Marco Verweij et Riccardo Pelizzo (2009), p. 19

[5] Kevin Grice et david Drakakis-Smith (1985), p.351

[6] Voir Kevin Grice et david Drakakis-Smith (1985), p. 351

[7] Voir Kevin Grice et david Drakakis-Smith (1985), p. 351

[8] M. Shamsul Haque (2004), p. 228

[9] Voir Kevin Grice et david Drakakis-Smith (1985), p. 347

[10] Voir Kevin Grice et david Drakakis-Smith (1985), p.348

[11] Voir Kevin Grice et david Drakakis-Smith (1985), p.350

[12] Voir M. Shamsul Haque (2004), p. 233

[13] Confucian and Singapore p. 375 – Curriculum Development Institute of Singapore

[14] Voir M. Shamsul Haque (2004), p. 233

[15] Voir M. Shamsul Haque (2004), p. 288

[16] CIA (2009), en ligne

[17] Voir M. Shamsul Haque (2004), p.227

[18] Voir Marco Verweij et Riccardo Pelizzo (2009), p.29

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