par Lu Wei Zheng
Dans le cas de la Malaisie, c’est en partie grâce aux efforts de l’UMNO (United Malays National Organisation) que la monarchie est parvenue à garder sa place dans la vie politique. Celui-là était le principal acteur dans la négociation avec les Britanniques lors de la création de la Fédération de Malaisie en 1946.[1] À cette occasion, la rotation entre les neuf sultans du pays pour le mandat royal a été établie afin de permettre la participation politique de la monarchie.[2]Ainsi, la monarchie fédérale parlementaire est devenue le régime politique de la Malaisie.
En réalité, il allait dans l’intérêt de l’UMNO de garantir le statut des sultans dans l’ère postcoloniale. Les deux acteurs sont reliés par l’identité malaise. Le premier avait pour objectif de promouvoir les intérêts des Malais par rapport aux autres ethnies. Le second était considéré historiquement comme porte-paroles des Malais. Dans ce billet, je vais essayer de démontrer que l’identité malaise a noué les intérêts des deux acteurs d’une manière inséparable. En premier lieu, nous allons voir pour quelle raison l’UMNO a cherché à s’allier avec les sultans. En deuxième lieu, nous allons discuter dans quelle mesure cette association empêche l’UMNO d’écarter les sultans de la scène politique.
Le fait de s’identifier aux sultans permet à l’UMNO d’obtenir plus de votes lors de l’élection. Compte tenu du caractère ethnique de ce parti politique, c’est parmi les Malais que se trouvent ses principaux partisans. Cependant, il avait une faible présence dans les zones rurales où résident la majorité des Malais. Par contre, les sultans détiennent une forte autorité dans ces régions. En plus, les Malais doivent leur première allégeance plutôt à un personnage royal qu’à un État territorial défini ni à une unité religieuse ou ethnique.[3] Cela explique pourquoi les sultans sont traditionnellement considérés comme représentants de l’identité malaise. Ainsi, collaborer avec les sultans permet de promouvoir le programme de l’UMNO auprès de la population malaise. Bref, l’UMNO s’est servi de la popularité des sultans pour se renforcer dans la lutte de pouvoir au sein du gouvernement. En même temps, cela a également consolidé le capital politique des sultans avec la montée de l’UMNO. Dans ce cas, la situation s’est avérée bénéfique pour les deux parties.
L’association entre l’UMNO et les sultans persiste malgré le changement politique entrainé par les émeutes raciales de 1969. Après cet incident, la sphère politique de la Malaisie est davantage marquée par la dominance de l’UMNO.[4] Dans ce cas, on peut dire que les mesures entreprises par le gouvernement reflètent en grande partie les politiques de l’UMNO. Éviter les affrontements interethniques est désormais devenu la préoccupation la plus importante pour le gouvernement. C’est pourquoi la Nouvelle Politique Économique a été mise en place en 1970. Pour la même raison, les amendements constitutionnels étaient passés par la Chambre basse un an après. Ceux-ci avaient pour but de restreindre toutes les questions sensibles dans la discussion publique, par exemple, en ce qui concerne le pouvoir et le statut des sultans, ainsi que les privilèges particuliers des Malais.[5] En d’autres termes, la contestation à l’égard du pouvoir des sultans ne peut provenir que de l’intérieur du gouvernement. De là, on voit que le statut des sultans est toujours lié à l’identité malaise. Dans ce cas, on peut déduire qu’aussi longtemps que les dirigeants voudront un État malais et ils chercheront à privilégier les Malais, les sultans demeureront un point de référence substantiel dans les politiques de l’UMNO. Cela revient à dire que celui-ci a toujours l’intérêt de maintenir un lien étroit avec les sultans.
En résumé, l’identité malaise est toujours une variable importante dans la relation entre les sultans et l’UMNO. D’ailleurs, on constate que le changement politique après 1969 est loin d’être un tournant radical dans les programmes de l’UMNO. Il semble plutôt à un nouveau classement de la priorité des enjeux politiques dans la mesure où l’UMNO n’a pas abandonné l’idée de promouvoir le statut des Malais par rapport aux autres ethnies.
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1. Singh, Hari.
2 Metzger, Laurent. p. 15
3 Milner, Anthony Crothers. p.26.
4 Andaya, Barbara Watson et Andaya, Leonard Y. p.325
5 Ibid. p.324.
Bibliographie
Andaya, Barbara Watson et Andaya, Leonard Y. 2001. A history of Malaysia. Honolulu : University of Hawaii Press.
Metzger, Laurent. 1994. Les sultanats de Malaisie : un régime monarchique au vingtième siècle. Paris : L’Harmattan.
Milner, Anthony Crothers. 2002. The Invention of Politics in Colonial Malaya. Cambridge; New York : Cambridge University Press.
Singh, Hari. 1995. « UMNO Leaders and Malay Rulers : The Erosion of a Special Relationship.» Pacific Affairs, Vol. 68, No.2. p. 187-205.