Par Catherine Desjardins
Contrairement à ce que plusieurs pourraient penser, le plus grand pays musulman au monde n’est pas dans le monde arabe, mais bien en Asie du Sud-est et plus particulièrement en Indonésie. Depuis le début du 21e siècle l’Indonésie est devenue une des rares démocraties musulmanes dans le monde. Comment se fait-il que la démocratie s’est implantée dans cette région alors que selon «Freedom House», il n’y a aucun pays libre dans le monde musulman (si l’on considère qu’Israël n’est pas dans le monde musulman)[i]? L’analyse du processus de démocratisation ainsi que des perspectives futures de cette nouvelle démocratie nous démontre que les particularités de la société indonésienne sont la clé de sa réussite démocratique. En effet, la décentralisation du pouvoir, la philosophie de la Pancasila ainsi que la complexité ethnolinguistique du pays sont des facteurs qui ont encouragé processus démocratique.
La transition vers la démocratie s’est faite en Indonésie à partir de la chute de Soeharto en 1998[ii] . Ironiquement, les velléités démocratiques du pays furent en partie influencées par les politiques de Soeharto lui-même. En effet, celui-ci, malgré le fait qu’il encourageait la dépolitisation de la religion, acceptait l’éducation religieuse et la pratique personnelle de la religion[iii]. Ultimement, cette éducation musulmane fut un facteur clé dans l’évolution du mouvement pour la démocratie qui suivi la crise économique de 1997[iv]. Dès lors, les premières élections démocratiques indonésiennes eurent lieu en 1999. Le PDI-P, le Parti démocratique indonésien, gagna ces élections[v]. Or, la démocratisation ne s’arrêta pas là. Suite aux élections de 1999, des lois décentralisatrices furent mises en place afin de donner plus de pouvoirs aux petites communautés, les « regencies », qui parsèment l’archipel. Ces lois furent réellement appliquées à partir de 2001. Celles-ci donnaient beaucoup de pouvoirs aux « regencies » afin de ne pas se retrouver avec une avalanche de volontés indépendantistes suite à la sécession du Timor Leste[vi]. Ensuite, en 2002, on amenda la constitution à plusieurs niveaux, dont un article qui stipulait qu’il y aurait à l’avenir des élections présidentielles à suffrage direct. Les deuxièmes élections eurent donc lieu en 2004 et Susilo Bambang Yudhoyono y fut élu. L’État garda dans sa constitution les principes de Pancasila (cinq préceptes philosophiques qui incluent la croyance en un dieu unique) qui s’y retrouvait depuis 1945. Or, la démocratisation ne s’est pas faite sans heurts puisque plusieurs attentats violents eurent lieu pendant les années qui suivirent. Les années 1999 et 2000 furent les plus sanglantes avec plusieurs événements dans différentes régions dont le Timor Leste qui devint par la suite un État indépendant[vii].
Lorsque l’on observe la transition vers la démocratie, on retrouve certains faits qui peuvent expliquer la persistance de la démocratie dans un pays à majorité musulmane. D’abord, la décentralisation permet une appropriation du pouvoir par la population dans leur localité, ce qui les réconcilie en quelque sorte avec la démocratie[viii]. Certains auteurs ont peur que cette décentralisation mène à plusieurs problèmes comme des violences ethnocentriques ou l’oppression de la femme. Toutefois, il est important de mentionner que ces problèmes ne sont pas uniquement liés à la décentralisation et que celle-ci demeure un facteur important dans la continuité démocratique du pays[ix]. Ensuite, la philosophie Pancasila (philosophie de l’État indonésien) est un second facteur central à l’instauration de la démocratie. Comme l’État indonésien ne se base pas sur des préceptes islamiques, mais bien sur des principes philosophiques plus larges, il lui est possible d’accueillir plus ouvertement différentes sortes d’interprétations de l’Islam qui vont de la loi islamique au pluralisme et à la démocratie. La Pancasila permet alors une souplesse que l’interprétation orthodoxe de l’islam permet difficilement. La société indonésienne reste sans contredit imprégnée par la religion musulmane, mais celle-ci prend une place moins prédominante que dans une république islamique comme l’Iran. Finalement, le caractère ethnolinguistique complexe de l’Indonésie n’est pas seulement une tare. C’est aussi l’élément qui empêche de rassembler toute la population sous un même radicalisme musulman. En effet, Mark R. Woodward distingue cinq types d’orientations musulmanes en Indonésie[x]. Si on ajoute à cela la proportion de la population qui est de confession bouddhiste, hindoue, catholique ou même qui adopte l’interprétation javanaise de ces religions, la coalition de la population sous une même bannière est improbable.
Ainsi, la réussite de la démocratie musulmane indonésienne tient à ses caractéristiques propres et ne relèvent pas d’une recette « miracle » qui serait applicable à n’importe quel autre pays musulman. Par ailleurs, cette réussite révèle également qu’Islam et démocratie ne sont pas irréconciliables. En fait, c’est plutôt l’interprétation fondamentaliste de la religion qui entrave le processus de démocratisation; ce qui est le cas dans le cadre de n’importe quel religion.
Bibliographie
R. Woodward, Mark. 2001. « Indonesia, Islam, and the Prospect for Democracy ». SAIS Rewiew XXI (no 2): 29-37.
Country Profile : Indonesia. 2009. En ligne. http://news.bbc.co.uk/2/hi/asia-pacific/country_profiles/1260544.stm (page consultée le 19 novembre 2009).
Freedom House. Map of freedom. (2009) En ligne. http://www.freedomhouse.org/template.cfm?page=363&year=2009
(Page consultée le 18 novembre 2009)
Pedersen, Lene. 2007. “Responding to Decentralisation in the Aftermath of the Bali Bombing”. The Asia Pacific Journal of Anthropology 8 (no 3): 197 -215.
Jamus, Jerome Lim. 2008. “Jesus versus Jihad: Economic Shocks and Religious Violence in the Indonesian Republic at the Turn of the Twenty-First Century”. Islam and Christian-Muslim Relations 19 (no 3): 269-303.
[i] Map of freedom, (2009) En ligne. http://www.freedomhouse.org/template.cfm?page=363&year=2009
(Page consultée le 18 novembre 2009)
[ii] Country Profile : Indonesia, (2009) En ligne. http://news.bbc.co.uk/2/hi/asia-pacific/country_profiles/1260544.stm (Page consultée le 19 novembre 2009).
[iii] Mark R. Woodward, « Indonesia, Islam, and the Prospect for Democracy », SAIS Rewiew XXI (2001), 29-37.
[iv] Ibid., 1.
[v] Anies Rasyid Baswedan, “ Political Islam in Indonesia : Present and Future Trajectory”, Asian Survey 44 (2004), 669-690.
[vi] Lene Pederson, “Responding to Decentralisation in the Aftermath of the Bali Bombing”, The Asia Pacific Journal of Anthropology 8 (no 3), 197 -215.
[vii] Jamus Jerome Lim, “Jesus versus Jihad: Economic Shocks and Religious Violence in the Indonesian Republic at the Turn of the Twenty-First Century”, Islam and Christian-Muslim Relations 19 (no 3), 269-303.
[viii] Pedersen, “Responding to Decentralisation in the Aftermath of the Bali Bombing”, 199.
[ix] Id.
[x] Woodward, « Indonesia, Islam, and the Prospect for Democracy », 31.