Malaisie: Absence de volonté des autorités pour le combat contre le trafic humain

Par Marie-Soleil Verville Allard

 

« Things didn’t slow down for us during the 1997 Asian financial crisis or any of the recessions before that. Sex, like food, is a necessity»[i]

— Proxénète malais

Depuis la récession de 1997 qui a frappé de plein fouet les pays de la région de l’Asie du Sud-est, l’industrie du sexe et le trafic humain en Malaysia ne cessent de s’accroître, ce qui fait en sorte qu’ils deviennent de plus en plus lucratifs. La Malaysia a la réputation d’être la « plaque tournante »[ii] du trafic de femmes et d’enfants : elle sert de comptoir de transition pour plusieurs trafiquants, mais aussi de lieu de destination pour plusieurs personnes trafiquées[iii]. En effet, plusieurs d’entre elles se retrouvent non seulement dans le milieu de la prostitution, mais surtout dans des endroits où on les soumet au travail forcé (ceci concerne environ 65 % des personnes trafiquées en Malaysia[iv]). Malgré l’ampleur que prennent le trafic humain et la prostitution dans ce pays, le gouvernement malais n’impose aucune loi précise sur ces activités, ce qui permet à plusieurs criminels de continuer leur trafic sans ne jamais avoir trop de problèmes avec le gouvernement. Mais de quoi découle cette inaction de la part du gouvernement de la Malaysia? Ce manque de volonté de la part des officiels Malais semble avoir deux raisons principales : tout d’abord, la grande importance du tourisme sexuel pour l’économie nationale, et surtout, la corruption bien présente parmi des agents et des officiels des services d’immigration, qui participent au trafic humain.

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Photo 1 : http://2.bp.blogspot.com/_YQDD3k5TDIs/SPb_Owf2DrI/AAAAAAAAA-k/cQrWsLPJ40o/s400/Kuala+Lumpur+Prostitute+GRO+Nude+Escort+Hooker+Malaysia+Malay+KL+Penang.jpg

Un premier élément qui pourrait expliquer l’inaction gouvernementale dans le trafic humain est qu’il profite, indirectement, à l’industrie du tourisme en Malaysia. En effet, cet État est reconnu comme l’un des pays où cette activité est la plus pratiquée. Il fait en effet partie des pays dont le produit intérieur brut (PIB) dépend entre 2 % et 14 % des activités découlant de l’industrie du tourisme sexuel selon l’Organisation internationale du Travail (avec l’Indonésie, les Philippines et la Thaïlande)[v]. Une telle importance monétaire d’un secteur en fait certainement un domaine difficile à se départir pour un État. Effectivement, le ministère du Tourisme fait de gros efforts pour toujours attirer le plus de visiteurs possible, l’industrie tertiaire (des services) étant l’une des plus importantes au pays. Il est donc souvent reproché à la Malaysia d’être, un peu comme la Thaïlande, un État hypocrite[vi], qui d’une part condamne le phénomène de la prostitution et du trafic humain qui la nourrit, mais qui reconnaît d’autre part que cette industrie est importante pour les revenus étatiques.

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Photo 2 : http://www.themalaysianinsider.com/index.php/malaysia/images/stories/2009may2/government-agains-corrupt-jun3.jpg

La raison la plus invoquée par les autorités internationales pour justifier l’inaction du gouvernement malais envers le trafic humain (soit destiné vers l’intérieur du pays ou vers d’autres États, pour des fins de travail forcé ou d’exploitation sexuelle) est la grande corruption qui règne au sein des officiels gouvernementaux. À cet égard, plusieurs cas ont été rapportés, dans les dernières années, d’autorités malaises qui non seulement facilitent le trafic humain, mais qui y participent activement. Pour se faire, les autorités arrêtent les travailleurs sans papier qui se trouvent en Malaysia. Ceux-ci font souvent partie des travailleurs migrants dont les papiers ont été confisqués par les employeurs. La Malaysia et l’Indonésie ont signé un accord en 2005 (Memorandum Of Understanding ou MOU), qui permet aux employeurs malais de confisquer les passeports des travailleurs migrants travaillant pour eux. Ainsi, les travailleurs sont mis dans une position de servitude, et ne peuvent quitter le pays. Il est aussi difficile pour ces employés de se promener à l’intérieur du pays, car s’ils sont arrêtés sans papier, ils peuvent être mis en prison. Les agents prennent donc ces travailleurs sans papier en prison, puis les ramènent aux frontières du pays (surtout aux abords de la frontière entre la Thaïlande et la Malaysia). Deux options s’offrent ensuite à eux : ils peuvent payer une rançon pour leur liberté, ou les agents les vendent à des trafiquants d’humains, qui les enverront vers un autre pays où ils seront exploités[vii]. Il est estimé qu’environ 20 % des victimes ne peuvent payer leurs rançons[viii]. Bien que plusieurs cas aient été rendus publics, et qu’ils aient été dénoncés par les autorités internationales, le gouvernement malais n’a toujours pas poursuivi, ou puni les officiels impliqués dans ces activités[ix]. L’inaction du gouvernement se traduit le plus par l’absence de législation concernant le trafic humain pour travail forcé. Certaines lois ont cependant été établies pour combattre l’exploitation sexuelle et le trafic aux fins d’exploitation sexuelle, mais les critères internationaux ne sont toujours pas respectés. De plus, la Malaysia n’a toujours pas ratifié le Protocol to Prevent, Suppress and Punish Trafficking in Persons de 2000 de l’ONU, ce qui est vu comme un manque de volonté de combattre le problème par la communauté internationale. Cette inaction au niveau législatif laisse donc croire à une corruption beaucoup plus profonde de l’État que celles des simples agents frontaliers.

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Photo 3 : http://media1.malaysiakini.com/190/95fa1b4a81bb8d5d457985176bcab18c.gif

L’inaction gouvernementale en matière de trafic humain pourrait donc s’expliquer par l’influence de l’industrie du tourisme sexuel sur le PIB malais (pour le trafic vers l’intérieur du pays), et par la corruption des officiels qui profitent au trafic humain (principalement pour le trafic vers l’extérieur du pays). L’indifférence gouvernementale n’est évidemment pas totale. Certains programmes ont été mis en place, entre autres, par le biais d’une campagne lancée par le Ministère de la Femme, et qui vise à produire des dépliants préventifs pour les organisations non gouvernementales que celles-ci pourront distribuer dans la population. Cependant, des actions contre les officiels corrompus et une lutte soutenue contre la corruption générale à l’intérieur de l’État sont réclamées par la communauté internationale, comme signe de bonne volonté de la part de la Malaysia.


[i] David Yeow, « Sex sector doesn’t need stimulus », (2009) En ligne,  http://www.asiaone.com/News/AsiaOne%2BNews/Malaysia/Story/A1Story20090525-143567.html (page consultée le 13 novembre 2009).

[ii]Fraternet.com, « La femme en Malaisie », (2000) En ligne, http://www.fraternet.com/femmes/art47.htm (page consulté le 13 novembre 2009).

[iii] États-Unis, U.S Department of State, Trafficking in Persons Report 2009 (États-Unis : U.S. Department of State, 2009).

[iv] Humantrafficking.com, « Malaysia », En ligne, http://www.humantrafficking.org/countries/malaysia (page consultée le 14 novembre 2009).

[v] États-Unis, Child Exploitation and Obscenity Section, Child Sex Tourism (États-Unis : U.S Department of Justice).

[vi] Bernard Formoso, « Corps étrangers – Tourisme et prostitution en Thaïlande », Anthropologie et Sociétés 25 (2001), 55-70.

[vii] Voir États-Unis, Trafficking in Persons Report 2009.

[viii] Voir États-Unis, Trafficking in Persons Report 2009.

[ix] Voir États-Unis, Trafficking in Persons Report 2009.

 

Bibliographie

 

États-Unis, Child Exploitation and Obscenity Section, Child Sex Tourism, États-Unis : U.S Department of Justice.

États-Unis, U.S Department of State, 2009, Trafficking in Persons Report 2009, États-Unis : U.S. Department of State.

Formoso, Bernard, 2001, « Corps étrangers – Tourisme et prostitution en Thaïlande », Anthropologie et Sociétés 25 (nº 2) : 55-70.

Fraternet.com, 2000, La femme en Malaisie, En ligne, http://www.fraternet.com/femmes/art47.htm (page consultée le 13 novembre 2009).

Humantrafficking.com, Malaysia, En ligne, http://www.humantrafficking.org/countries/malaysia

(page consultée le 14 novembre 2009).

Yeow, David, 2009, Sex sector doesn’t need stimulus, En ligne,

http://www.asiaone.com/News/AsiaOne%2BNews/Malaysia/Story/A1Story20090525

143567.html (page consultée le 13 novembre 2009).

 

 

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