Par Jean-Baptiste Cubilier
En Birmanie, les militaires ici ne sont ni un outil du gouvernement comme nous l’avons vu avec les Philippines, ni un acteur participant au mécanisme de la sphère politique comme en Indonésie. L’apparition des militaires au pouvoir commence avec l’arrivée de Ne Win au pouvoir [1]. Ainsi deux périodes semblent intéressantes à étudier : tout d’abord celle de 1962 à 1987, soit la période où Ne Win se trouve au pouvoir, et ensuite celle de la fin des années 1990 jusqu’à aujourd’hui caractérisée par le maintien de la junte militaire au pouvoir. Ces deux époques vont nous permettre de comprendre l’impact depuis 1962 des militaires au pouvoir.
Ne Win, une dictature beaucoup trop longue
L’arrivée de ce personnage à la tête de la junte militaire birmane pendant quinze années ne s’est pas faite par hasard. Les causes de son accession au pouvoir viennent des politiques de son prédécesseur U Nu. En effet ce dernier avait beaucoup fait pour le pays : mise en avant de la religion bouddhiste et des politiques privilégiant l’éducation et la santé, présence de la Birmanie parmi les trois pays actifs de la Conférence de Bandoeng (avec l’Inde et l’Indonésie) pour le mouvement des Non-alignés pendant la Guerre Froide. Malheureusement toutes ces bonnes volontés ont fini par être plus chaotiques qu’autre chose. Le pays devait faire face à des problèmes de développement économique et de sécurité intérieure. Bien entendu la principale conséquence de ces politiques sera l’arrivée du Général Ne Win en 1962 suite à un coup d’État. Ce dernier commencera par se présenter comme défenseur des idées socialistes puis mettra en place avec le temps une dictature extrêmement sévère et personnelle. Ceci marque la rupture avec deux points soit le régime politique d’U Nu aux politiques chaotiques et de la « clandestinité du mouvement communiste » grâce aux idées de Ne Win. [2] Avant de quitter le pouvoir en 1987, il gouvernera la Birmanie d’une main de fer, coupant tout contact avec le monde extérieur, que ce soit les occidentaux en général, l’ancien colon britannique, ou même encore des pays dits socialistes. Les conditions de vies de la majorité de la population se sont dégradées avec le temps (et même après Ne Win comme nous allons le voir dans un instant) que ce soit au niveau de la richesse des habitants, du niveau d’alphabétisation, ou la santé [3]. De plus, les Birmans connaissent une véritable privation de leurs droits et libertés fondamentales, incapables de s’exprimer, de circuler (etc.) sans être confronté à la force brute des militaires. L’armée quant à elle se renforce en hommes et en armes, et mobilise une partie de plus en plus importante des dépenses publiques, faisant passer après ses besoins ceux capitaux de la population comme l’éducation et la santé. Le changement suite au chaos des politiques d’U Nu n’aura jamais disparu, prolongé par l’autoritarisme de Ne Win.
Ne Win se retire de la vie politique, mais les militaires eux restent
Le départ de ce Général resté quinze ans au pouvoir n’a pas conduit à une démocratisation du régime comme on peut l’espérer lors du départ ou de la chute du leader. Il prit le temps de nommer lui-même ses successeurs. Si l’autoritarisme birman connaît par cet acte une continuité, l’événement du 18 septembre 1988 est quant à lui une aggravation des rapports entre la junte militaire et la population. En effet la dévaluation du kyat avait conduit la population à descendre dans la rue avec comme porte-parole de ce mouvement Aung San Suu Kyi. L’armée décida donc après plusieurs jours, lors de ce 18 septembre, de réprimer violemment ces manifestations, faisant plus de trois mille morts et plusieurs milliers de blessés. La communauté internationale ayant appris ce qui s’était passé, la junte fut obligée de commencer à ouvrir le dialogue avec l’opposition. Si la promesse d’entamer le dialogue avec le principal parti d’opposition soit la Ligne Nationale pour la Démocratie (LND), parti d’Aung San Suu Kyi, ne fut pas tenue, l’année 1990 reste encore aujourd’hui le plus gros scandale dont les militaires sont responsables en politique. Les Généraux avaient organisé des élections libres conduisant à la victoire du LND avec plus de 80% des voix [2]. Or la junte a refusé de céder le pouvoir. Depuis cette date, les rapports entre les militaires et la population sont encore plus tendus qu’auparavant, Suu Kyi restera jusqu’à aujourd’hui soit en prison, soit en résidence surveillée. Il faut savoir que côté militaire, la succession des différents Généraux ne changera rien. La violence exercée par ces derniers conduira à l’emprisonnement, à la torture, au meurtre de l’opposition, au matage de rébellions ethniques, etc. Cette vidéo sur Dailymotion montre en image les actes des militaires en Birmanie. Depuis 1962 on assiste entre les deux périodes dont nous avons parlé ici à une augmentation de l’usage de la force, et à une continuité de la chute de l’économie. Selon différentes organisations internationales, plus de la moitié de la population birmane vit aujourd’hui sous le seuil de la pauvreté.
De nouvelles élections sont prévues fin 2010 (voir TV5 Monde [4]). En attendant la junte militaire reste au pouvoir, et rien ne nous dit que les futures élections seront différentes de celles de 1990 où les militaires refusèrent de céder le pouvoir. Les militaires en Birmanie sont des acteurs ayant les pleins contrôles du politique et qui n’hésitent pas à user de la force afin de conserver le pouvoir obtenu en 1962 par Ne Win. Si dans de nombreux pays de l’Asie du Sud-est nous pouvons parler de montée de l’importance des actions des militaires dans le processus politique, ici on assiste à un autoritarisme au sens pur du terme, l’armée a les pleins pouvoirs et possède une liberté d’action que la majorité des forces militaires des pays de l’ASEAN ne connaissent pas.
Références
[1] Boudreau, Vincent, « Authoritarian Attack and Dictatorial Rise », Resisting Dictatorship : Repression and Protest in Southeast Asia, Cambridge: Cambridge University Press, 2004 : pp.37-83.
[2] Levenson, Claude B., Jean-Claude Buhrer, dir. 2008. Birmanie. Des moines contre la dictature. Librairie Arthème Fayard: Mille et Une Nuits.
[3] Boudreau, Vincent. 2004. Resisting Dictatorship. Repression and Protest in Southeast Asia. Cambridge: Cambridge University Press.
[4] TV5 Monde le JT, « L’édition du 07.11.2009 16h GMT » sur tv5.org