La mise en avant des militaires aux Philippines

Par Jean-Baptiste Cubilier

Le passé colonial des Philippines est particulier par sa double colonisation à la fois de l’Espagne de 1821 à 1899 et six mois plus tard avec l’arrivée des Américains jusqu’à la déclaration d’indépendance de 1946 après la libération par ce deuxième colon contre l’envahisseur japonais.  Le passé colonial américain semble être à la base de la militarisation aux Philippines, tout d’abord avec la mise en place du même système à deux chambres. Ce système politique va être à la base de l’association des Américains avec les grands propriétaires terriens philippins, puisque ces derniers vont gagner les élections de cette nouvelle Assemblée philippine, et fusionner en une élite nationale [1]. Ainsi, il faut tout de suite comprendre que le rapprochement entre grands propriétaires terriens et les Américains, et l’opposition paysanne avec ces mêmes propriétaires va définir une grande partie de l’histoire politique philippine. C’est à travers ce dessin du politique philippin que nous pouvons nous concentrer sur le rôle de l’armée comme défenseur des intérêts économiques dans un premier temps, pour ensuite constater une réorientation de ses efforts dans une lutte ayant de plus en plus pour finalité la sécurité du système politique philippin.

L’armée philippine comme outil des intérêts économiques américains et des grandes familles philippines :

C’est à travers cette double relation qu’entretiennent les grands propriétaires avec les États-Unis mais aussi les paysans que la militarisation va connaître une véritable émergence, à commencer par l’application de la loi martiale par Ferdinand Marcos le 21 Septembre 1972, afin de protéger un système politique bénéficiant aux grandes familles, et même dirigé par ces dernières, contre la montée du communisme et de la Nouvelle armée populaire. La loi martiale était nécessaire pour la sécurité de la nation, mais aussi pour la stabilité politique synonyme du maintien du développement économique. La décision de Marcos va confirmer l’hypothèse de l’influence du passé colonial américain puisque l’objectif n’était pas l’augmentation du pouvoir mais de s’assurer du non-changement du système mis en place [2]. Marcos était donc au service des grandes familles, et l’armée est donc ici l’acteur permettant la continuité du développement économique des Philippines, par les liens du pays avec les États-Unis et de l’enrichissement des grands propriétaires terriens. De plus, l’augmentation de l’armée était aussi soutenue par les Américains dans le cadre d’une Guerre Froide où la lutte contre l’émergence du communisme constituait la principale action de ralliement à la sphère capitaliste. Ainsi Marcos était aux yeux des élites philippines et des Américains le défenseur ayant le plus de pouvoir pour assurer les échanges entre les Philippines et les États-Unis par le maintien du système en place.

L’armée comme outil de « première ligne » contre le terrorisme :

C’est en 1986 que Marcos quitte le pouvoir et que l’on voit arriver Mme Corazon Aquino soutenue désormais par les Américains, opposante à Marcos, et favorable à un retour des institutions démocratiques. Et c’est ce qu’elle fera un an plus tard [3]. Elle restera au pouvoir jusqu’en 1992. L’arrivée de son remplaçant Fidel Ramos est intéressante pour une fonction de l’armée dont nous allons discuter dans un instant. Le nouveau Président va expulser les Américains du territoire. Rappelons que ces derniers avaient depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale de nombreuses bases sur le territoire philippin. Il introduira de même le communisme dans cette nouvelle sphère politique restaurée par Aquino et surtout va démilitariser son pays. Ces vingt dernières années ont été marquées par un affaiblissement des liens unissant les Philippines et les États-Unis d’Amérique, toutefois on assiste aujourd’hui encore à une conservation de coopération, dans l’intérêt des deux pays à travers la lutte contre le terrorisme. L’armée occupe aujourd’hui la fonction de première ligne contre le terrorisme, notamment contre le groupe Abu Sayyaf comme nous pouvons le voir avec certaines vidéos sur You tube, considérée par l’ONU comme étant proche d’Al Quaïda [4], et sanctionné par le Conseil de Sécurité. L’armée philippine connait donc le soutien du principal opposant au terrorisme qui est depuis l’événement du 11 Septembre les États-Unis. Les Philippines deviennent donc au même titre que des pays tels que l’Afghanistan le terrain d’affrontement contre le terrorisme, et si l’ancien colon n’intervient pas directement, il se présente comme premier allié des forces armées luttant pour le même objectif. À ce titre la structure politique mise en place lors de la colonisation, soit la présence de grands propriétaires, est conservée par la volonté de maintenir les intérêts économiques et de renforcer ses relations avec l’ancien colon. L’émergence du terrorisme peut être vue comme celle du communisme, soit un élément perturbant les Philippines dans l’immédiat, et les intérêts des Américains de façon indirecte. D’où le support militaire américain aux forces militaires philippines, entamant une lutte où tout le monde y trouve un intérêt commun : la sécurité nationale.

Vu sous cet angle, les États-Unis auront joué un rôle important dans la militarisation philippine puisque les directives prises par l’ancienne colonie arrangeaient les intérêts américains dans la région de l’Asie du Sud-Est qu’ils soient économiques comme avant 1972, idéologiques comme avec la loi martiale, ou sécuritaires comme avec cette nouvelle lutte contre le terrorisme. Les intérêts économiques des Philippines permettaient ce partenariat, et l’armée agissait donc afin de faire prolonger ces échanges, ou pour assurer la sécurité nationale comme nous l’avons vu juste à l’instant. Ce pays est passé pour les États-Unis de marché économique à front de lutte idéologique contre le communisme et maintenant, de façon plus indirecte, contre le terrorisme. L’armée philippine a donc connu une émergence dans son rôle de maintien des relations entre les deux pays, au service de son gouvernement.

Références

[1] Boudreau, Vincent, « Authoritarian Attack and Dictatorial Rise », Resisting Dictatorship : Repression and Protest in Southeast Asia, Cambridge: Cambridge University Press, 2004 : pp.37-83.

[2] Youngblood, Robert L. 1990. Marcos against the Church. Economic Development and Political Repression in the Philippines. Ithaca: Cornell University Press.

[3] Abinales, Patricio N., dir. The Revolution Falters. The Left In Philippine Politics After 1986.Ithaca: Cornell University Press. pp. 83-109.

[4] 2009. « Enlèvement d’un prêtre irlandais : la police et l’armée sont mobilises ». Journal Québec Presse (Montréal), 20 octobre. En ligne. http://journalquebecpresse.org/modules/news/article.php?storyid=2344 (consulté le 30 octobre).

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