L’intégration de la diaspora chinoise, une question de nationalisme thaï?

Par Ève Lortie-Fournier

Les Chinois sont comme les « Juifs d’Extrême-Orient » 1,2, déclare le roi Rama VI de Thaïlande, en 1914. Avec la montée du  nationalisme en Thaïlande, l’attitude des Thaïs par rapport aux Chinois se modifie. La création de l’identité nationale, dans les années 30, change la perception qu’ont les Thaïlandais des étrangers. Ils les voient comme des êtres nuisibles à la formation de leur identité. Plus tard, le néonationalisme du 21e siècle démontrera une ouverture plus grande que pendant la période nationaliste.

La comparaison faite par le roi Rama VI prend sa source dans deux évènements. Premièrement, l’immigration chinoise est de plus en plus forte et les Sino-Thaïs occupent des emplois comme « [le] négoce, [la] finance, [les] entreprises minières, [les] cultures maraîchères »3. Ils obtiennent aussi des privilèges de la part du gouvernement. Par exemple, certains Chinois sont réticents à payer des taxes et pour des raisons de commerce extérieur, quelques-uns seront exemptés de taxes. En 1913, le gouvernement thaïlandais fait en sorte que n’importe quel individu né dans le pays en devient citoyen. Ces situations permettent aux Sino-thaïlandais de s’inclure et de prendre plus de place dans la vie thaïlandaise. La situation de favoritisme des Chinois face aux Thaïlandais les rendra xénophobes. Deuxièmement, à partir de 1910, une nouvelle élite thaïe se forme, les jeunes Thaïlandais vont étudier en Europe. En fait, les jeunes découvriront de nouvelles idées. Ils se rendent compte des mauvais traitements que l’aristocratie fait subir aux Philippins. Ils voudront établir ces nouvelles idéologies dans leur pays. Par la suite, le sentiment national des jeunes sera plus présent et plus fort. De plus, le sentiment national augmenta en flèche avec la prise de pouvoir de jeunes officiers en 1932. La modernisation rapide du pays et la rébellion des jeunes face à l’aristocratie menèrent à un ultranationalisme, c’est-à-dire à nationalisme plus poussé et même très violent. (Hoàng 1976).

La Chine ne considérait pas ses relations avec la Thaïlande comme égales. En effet, la Chine a rompu ses relations avec la Thaïlande en 1853 (Lovelace 1971). La Chine donnera le statut de citoyen à tous les individus de parents chinois nés à l’extérieur du pays. Ce statut de citoyen avait pour but de renforcer le sentiment national des Chinois à travers le monde. Autour de 1925, le Japon fait la guerre contre le communisme et le nationalisme en Chine. Cette guerre mènera les Sino-Thaïs à boycotter les produits japonais. Comme les relations avec le Japon sont prioritaires pour la Thaïlande, les droits des Chinois seront restreints. C’est sans compter que le gouvernement thaïlandais craignait que le nationalisme chinois prenne plus d’importance que le thaïlandais (Pan 2000). Certains Sino-Thaïs seront même consignés à l’intérieur de leur maison (Hoàng 1976).

Le mouvement ultranationaliste et la xénophobie ne se terminent pas avec la fin des hostilités entre la Chine et le Japon. Au contraire, les Chinois sont encore plus ostracisés. Des politiques sont mises en place pour que les Thaïlandais soient au premier rang de l’économie. La possibilité d’occuper certaines professions sont retirées aux Chinois. Les secteurs commerciaux où les Chinois dominent furent aussi nationalisés (Pan 2000). De plus, des répressions sont prises sur le plan culturel. Les écoles chinoises sont fermées, les lettres à destination de la Chine ont été censurées. Les secteurs de l’immigration, de la circulation et de la naturalisation sont limités par certaines législations. (Hoàng 1976).

Après 1955, le mouvement nationaliste s’estompa. Les Sino-Thaïs retrouvèrent peu à peu leurs droits commerciaux, culturels et d’immigration. Les violences connues envers les Chinois sont cependant moins importantes que dans les autres pays de l’Asie du Sud-Est (Suryadinata 1987).

La Thaïlande connaîtra une vague néo-nationaliste au 21e siècle qui sera plus intense entre 2000 et 2001. Cette fois-ci, le nationalisme thaï n’exclut pas les Chinois. Au contraire, les Sino-Thaïs ont construit le néonationalisme thaï (Callahan 2003).

Entre les périodes de nationalisme et de néonationalisme, les Sino-Thaïs ont eu beaucoup plus de place dans la société et l’économie thaïlandaise. Par contre, leur intégration est plus flagrante durant le néonationalisme. Ce dernier se définit par l’application des valeurs thaïes : religion, nation et monarchie. L’intégration des valeurs se fera surtout dans l’économie. La Thaïlande est en crise économique en 1997. Elle se sert du néonationalisme pour se sortir de la crise. En fait, le gouvernement considère que la réinsertion de l’identité et de l’économie nationale thaïe pourront les sauver. Le néonationalisme est supporté par l’idée de l’autosuffisance de l’économie et de la culture. Cette façon de considérer le néonationalisme vient de la Chine (Callahan 2003).

Les Sino-Thaïs considèrent la Thaïlande comme leur pays et la Chine n’est plus leur pays référence. Cette perspective rend les Sino-Thaïs plus enclins à développer le pays puisqu’ils ont un attachement à la Thaïlande. Auparavant, ils étaient en Thaïlande uniquement pour le commerce. En habitant dans le pays, ils ont intégré les valeurs thaïlandaises. Le néonationalisme thaï souhaite que les valeurs thaïes soient intégrées par la population pour qu’ils s’autosuffisent. Les Chinois, en intégrant les valeurs thaïes, se conforment au néonationalisme et participent à la reprise économique de la Thaïlande (Callahan 2003).

Cet enchevêtrement d’idées de la part des Sino-Thaïs et des Thaïlandais rend possible ce nouveau nationalisme. Par ailleurs, certains Sino-Thaïs se méfient du néonationalisme. En fait, ils craignent que la diaspora chinoise ne soit encore ostracisée. Pourtant, des entreprises sino-thaïes fonctionnent avec le système thaï (Callahan 2003). Aujourd’hui, la plupart des membres de la communauté chinoise de Thaïlande ont adopté la nationalité et la langue thaïe. D’ailleurs, plusieurs mariages ont eu lieu entre des Sino-Thaïs et des Thaïlandais (Galland 1998).

Le nationalisme joue réellement un rôle dans l’intégration de la diaspora chinoise en Thaïlande. Il peut être destructeur d’intégration et tout autant qu’intégrateur des Sino-Thaïs. L’appui ou l’opposition au nationalisme thaï de la part des Chinois est directement relié l’intégration ou l’exclusion de la diaspora chinoise en Thaïlande.

Références

1 Michel Hoàng, La Thaïlande et ses populations (Bruxelles : Les Éditions Complexe, 1976).

2 William A. Callahan, « Beyond Cosmopolitanism and Nationalism: Diasporic Chinese and Neo-Nationalism in China and Thailand » (2003) En ligne. http://journals.cambridge.org/action/displayAbs tract?fromPage=online&aid=167226 (Page consultée le 11 octobre 2009).

3 Id. Hoàng 1976.

Bibliographie 

[1] Hoàng, Michel. 1976. La Thaïlande et ses populations. Bruxelles : Les Éditions Complexe.

[2]  Callahan, William A. 2003. Beyond Cosmopolitanism and Nationalism: Diasporic Chinese and Neo-Nationalism in China and Thailand. En ligne. http://journals.cambridge.org/action /displayAbs tract?fromPage=online&aid=167226 (page consultée le 11 octobre 2009).

[3] Lovelace, Daniel D. 1971. China and « People’s War » in Thailand, 1964-1969. États-Unis: Université de Californie: China Research Monographs.

[4]  Pan, Lynn, dir. 2000.   Encyclopédie de la diaspora chinoise. Paris : Les Éditions du Pacifique.

[5] Suryadinata, Leo. 1987. «Ethnic Chinese in Southeast Asia: Problems and Prospects» Journal of International Affairs 41: 135-151.

[6] Galland, Xavier. 1998. Histoire de la Thaïlande. Paris : Presses Universitaires de France.

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