Thaïlande: Insurrections islamiques au Sud

par Alicia Mersy

Le 8 juin dernier, dans une mosquée du district Cho-ai-rong de la province de Narathiwat en Thaïlande, un homme a ouvert le feu sur des fidèles musulmans. Cet attentat, qui a fait 10 morts et 12 blessés, s’inscrit dans une vague de tensions et d’insurrections qui ont marqué l’histoire récente de la Thaïlande, déchirée entre le pouvoir politique représentant la majorité bouddhiste du pays, et la minorité musulmane du sud. Comptant seulement 2,3 millions d’individus sur une population de plus de 65 millions, la communauté musulmane thaïlandaise se trouve largement exclue du pouvoir institutionnel national et revendique que leur soit reconnu un État propre, séparé de la monarchie Thaïlandaise.

Comme beaucoup de pays d’Asie du Sud-Est, la Thaïlande renferme une grande fragmentation linguistique et religieuse. La Thaïlande compte trois provinces à majorité musulmane et d’ethnie malaise : Yala, Narathiwat, Pattani et Songkhla. Depuis 5 ans, ces provinces sont le théâtre de revendications séparatistes de groupuscules musulmans. Ces groupes ethniques installés à la frontière de la Malaisie refusent d’abandonner leurs différents culturel, linguistique et religieux. Comme le soulignait Aurélien Clément dans sont billet : « Attachés à leurs cultures et plus particulièrement à leur religion, ils luttent désespérément pour sauvegarder leurs identités face à l’État qui tente de les amalgamer culturellement ». (Aurélien Clément; Les Malais, une minorité ethnique parmi tant d’autres en Thaïlande). Les troubles associés aux revendications au sud de la Thaïlande, à la frontière de la Malaisie, ont fait depuis 2004, plus de 3600 morts dont la plupart sont des civils. Cette région de la Thaïlande est exclue et mal intégrée au reste du pays. À Bangkok, on retrouve 500 000 musulmans qui eux, semblent mieux intégrés que ceux du sud au moins économiquement étant donné les plus grande opportunités d’emploi que la capitale offre. Cette relative prospérité des musulmans de Bangkok les rend moins susceptibles de succomber à la tentation de la violence.

Ces revendications autonomistes ont été accompagnées, au cours des dernières années, de nombreux actes politiques radicaux par des groupuscules islamiques sécessionnistes. Les objectifs premiers du Pejuang Kemerdekaan Pattani, organisation islamiste de cette région sont de chasser les non musulmans considérés comme des mécréants qui doivent être combattus, et d’empêcher le gouvernement de dominer la région à partir de Bangkok. Ces groupuscules cherchent à faire fuir la population thaïe du sud de la Thaïlande et discréditent ainsi les autorités thaïes. La plupart des attentats visent les bouddhistes et cherchent à créer un climat de terreur. Selon Human Rights Watch, “Les séparatistes cherchent à libérer par la force le Pattani Darussalam (Terre islamique de Pattani), de ce qu’ils qualifient d’occupation bouddhiste thaï.” Pattani Darussalam débute ses insurrections violentes dans le sud de la Thaïlande en 2001. Ces guérilleros sont soupçonnés d’être affiliés aux organisation clandestined Al-Qaida et Jemaah Islamyah.

Le 4 janvier 2004, un camp militaire de Narathiwat dans le sud du pays est attaqué par des séparatistes : des individus jettent des bombes artisanales sur des marchés, hôtels, distributeurs d’électricité, cinéma. Deux personnes tuées et une vingtaine de personnes blessées. C’est alors que Shinawatra, ancien premier ministre de la Thaïlande déclare l’État d’urgence et ordonne l’application d’un couvre feu qui permet au gouvernement thaïlandais de perquisitionner sans mandat et de contrôler les conversations électroniques et courriels, de censurer des medias etc.

Afin de confronter le problème, le gouvernement thaïlandais prend des mesures répressives au lieu d’ouvrir des négociations avec les musulmans. Le 13 janvier 2009, le Rapport Thailand : Torture in the southern counter-insurgency fait état de personnes frappées violemment, brûlées avec des bougies, enterrées jusqu’au cou dans le sol, soumises à des décharges électriques et exposées à de la chaleur et du froid intenses. (http://www.amnesty.org/fr/library/info/ASA39/001/2009/fr)

Depuis 2004, chaque chef politique thaïlandais a échoué dans sa recherche d’une solution au conflit. Selon Brad Adams, directeur pour l’Asie à Human Rights Watch “Les groupes armés à l’origine de ces attaques ne les revendiquent pas, aucune exigence politique n’est formulée. Il ne semble pas non plus y avoir de volonté quelconque d’engager des pourparlers avec le gouvernement”.

Le gouvernement thaïlandais ne sait toujours pas qui sont les responsables des attentats dans la mosquée de Narathiwat de lundi dernier. Du moins, « Le chef de l’armée thaïlandaise, le général Anupong Paojinda, a accusé mardi les rebelles séparatistes du Sud musulman d’avoir perpétré une attaque sanglante la veille contre une mosquée et de chercher à en rendre responsables les forces de sécurité.” Tandis que des villageois de Narathiwat affirment que des séparatistes de la région n’auraient jamais attaqué une mosquée.

L’attentat du 8 juin dernier, n’est que la continuité de plusieurs assassinats signés par des séparatistes du sud de la Thaïlande. Le 20 mai dernier, deux femmes en motos sont abattues et brulées toujours par des séparatistes de confession musulmane. Le 2 juin dernier, deux femmes bouddhistes sont abattues  à Narathiwat. Selon des statistiques établies par le Bangkok Post,  113 enseignants ont été tués depuis janvier 2004. Les attentats commis par ces militants ont pour cible des civils bouddhistes, même des moines mais aussi des musulmans qui collaborent avec les autorités thaïes ou qui s’opposent aux actions des militants.

Ces événements violents viennent confirmer la présence d’une profonde frustration, d’un sentiment d’exclusion, ressentie par la population du sud de la Thaïlande. La cause islamiste tire évidemment avantage de cette situation pour embrigader les thaïs musulmans dans ses rangs. Tant que Bangkok ne réussira pas à rétablir sa crédibilité comme gouvernement véritablement national, c’est-à-dire dédié au bien-être de tous ses citoyens, il est à craindre que les violences se poursuivront.

RÉFÉRENCES

http://www.thailande-fr.com/politique/armee/1432-thailande-nouvelle-donne-dans-le-sud-musulman

http://www.monde-diplomatique.fr/2005/09/POMONTI/12797

http://www.hrw.org/fr/news/2007/08/27/tha-lande-les-s-paratistes-prennent-les-civils-pour-cibles-de-leurs-attaques

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