La Malaisie: la stabilité dans un État multiethnique

par Mélanie Boudreault

Non considérée comme une démocratie libérale, la Malaysia demeure tout de même un État politiquement stable et ayant connu un développement économique considérable, malgré une division ethnique importante. En effet, avant son indépendance la Malaysia était composée de 50% de Malais, 38% de Chinois, 11% d’Indiens et moins de 2% d’autres ethnies (Gordon 1996, 103).

Après l’indépendance, la population conserve une loyauté selon leur hiérarchie traditionnelle ou selon une logique clientéliste. Les Malais, par exemple, ont soutenu leurs leaders régionaux qui se regroupent autour des neufs cours royales au niveau étatique. Les Indiens, quand à eux, ont soutenu les leaders charismatiques résultant de syndicats ou des associations culturelles (Means 1996, 103). Cette relation clientéliste s’identifie comme un «[r]apport de dépendance entre les gouvernés et les gouvernants, dans lequel ceux qui exercent les charges politiques fondent leur autorité sur certaines faveurs consenties à leurs sujets»[1]. En soutenant leurs leaders locaux, les différents groupes sont ainsi plus susceptibles d’obtenir des privilèges autant politiques qu’économiques. Les structures démocratiques mise en place par les colonisateurs Britanniques et le travail de ces derniers pour contenir les conflits ethniques ont donné lieu la formation, puis à l’élection du Front national. Cette alliance politique composée de l’Organisation nationale unie des Malais (UMNO), l’Association malaiso-chinoise (MCA) et le Congrès malaiso-indien (MIC) va dominer la scène politique de l’indépendance à aujourd’hui (Beaulieu 2005, 19). Autrement dit, il inclut les différentes divisions ethniques du pays. Ce phénomène correspond à ce que Liphart et Horowitz appellent une démocratie consociative. Selon ces derniers, ce type de démocratie serait à l’origine de la stabilité en Malaysia, puisqu’il permet l’inclusion et éloigne les effets néfastes que peuvent entraîner l’exclusion ethnique :«Pour cela, les élites doivent adopter des mécanismes pour résoudre les conflits de façon concertée sans s’en remettre aux règles de la démocratie libérale, dans laquelle le groupe majoritaire emporte le pouvoir au détriment des autres groupes»[2]. Dans le cas de la Malaisie, l’alliance entre les différentes factions ethniques, sous le Front national qui est identifié comme le mécanisme de stabilité. Bien que ce parti politique ne demeure pas une parfaite représentation de la population et qu’il accorde aux Malais un plus grand pouvoir, il demeure toutefois une garantie contre l’exclusion total (Horowitz 1993, 33 traduction libre).

Depuis ces écrits, plusieurs auteurs ont cherché à aller au-delà de cette description qui n’explique pas en soit «la source de cette coopération et la stabilité qui en découle»[3]. Les questions qui se posent dès lors sont pourquoi les élites coopèrent-elle et comment cette stabilité s’articule ? Car malgré une représentation ethnique au sein de l’élite, un mécontentement pourrait être perceptible au sein de la société civile. C’est ici qu’intervient le concept d’État rentier pour définir la réalité politique malaisienne. Cette notion permet de mettre «en relief [les] mécanismes utilisés par l’élite, dont la redistribution qui [lui] permet de consolider son soutien populaire»[4]. Un État rentier est défini par un haut taux de revenus qui provient du marché extérieur, ce qui lui permet de fournir des services à la population sans taxer outre mesure ses citoyens. Dans le cas de la Malaysia, les rentes de ce pays proviennent, tout d’abord, de l’exportation des matières premières telles que le caoutchouc et l’étain, pour poursuivre après les années 70 avec l’exploitation du pétrole. Selon Isabelle Beaulieu, elles représentent plus de 30% des exportations du pays et permettent de caractériser la Malaysia comme étant un État rentier. Ainsi, ces revenus permettent à l’État malaisien d’effectuer des dépenses publiques importantes dans des domaines comme l’agriculture, les infrastructures et l’éducation (Beaulieu 2005). Des progrès dans le domaines du développement politique, social et économique ont été accomplis par un investissement massif de l’État avec un contrôle direct de ce dernier. Ce qui procure à l’élite en place une légitimité reliée à sa performance (Gordon 1996, 113-114). Donc, la durabilité de la stabilité et la coopération de l’élite n’est pas seulement dû à l’inclusion ethnique au sein de l’élite, mais également grâce à son caractère rentier qui lui permet de jouer son rôle de distributeur, malgré une tendance autoritaire.

Selon Francis K. W. Loh, cet aspect autoritaire joue également un rôle important dans la stabilité de la Malaysia. Ainsi, la militarisation de la Malaysia s’est opérée à l’intérieur de l’appareil politique, elle s’est imposée au sein du système judiciaire. Issu du contexte colonial, cette militarisation sans arme, prend place à travers les lois et la police. Le système judiciaire, à travers l’Internal Security Act, prévoit des mesures d’urgence qui peuvent entraver les libertés individuelles d’un individu si le gouvernement juge qu’il menace la sécurité nationale (Loh 2005) Par exemple : «la police peut détenir quelqu’un pendant 60 jours pour une interrogation, sans aucune preuve de culpabilité, si elle suspecte cet individu de vouloir poser un geste qui porte préjudice à la sécurité nationale»[5]. Ce système de loi servirait également de garant à la stabilité du pays puisqu’il demeure une façon de contenir les revendications et le mécontentement de la population.


[1] Philippe Boudreau et Claude Perron, Lexique de science politique, (Montréal : Les Éditions Chenelière Inc. 2006), 33-34.

[2] Isabelle, Beaulieu. Stabilité politique, autoritarisme et État rentier : le cas de la Malaisie. Thèse de Doctorat. Département de science politique. Université de Montréal. 2005, 19-20.

[3] Ibid. 21.

[4] Ibid. 29.

[5] Traduction libre. «the police may detain anyone for interrogation for 60 days on the suspicion that « he or she acted or is about to act or is likely to act in any manner prejudicial to the security of Malaysia or any part there of.

Loh, Francis K.W. 2005. «Malaysia : National Security, the Police and the Rule of Law : Militarisation by Other Means »., Asian Exchange 20, 179-208.

 

Bibliographie

Ashutosh, Varshney. 1998. «Why Democracy Survives». Journal of Democracy 9, (July): 36-50.

Beaulieu, Isabelle. 2005. Stabilité politique, autoritarisme et État rentier: le cas de la Malaisie. Thèse de Doctorat. Département de science politique. Université de Montréal.

Boudreau, Philippe et Claude Perron. 2006. Lexique de science politique. Montréal : Les Éditions de la Chenelière Inc. 201.

Means, Gordon Paul. 1996. «Soft Authoritarianism in Malaysia and Singapore» Journal of Democracy 7 (October): 103-117.

Horowitz, Donald L. 1993. «The Challenge of Ethnic Conflict / Democracy in Divided Societies».Journal of Democracy 4 (October): 18-38.

Loh, Francis K.W. 2005. «Malaysia: National Security, the Police and the Rule of Law : Militarisation by Other Means »., Asian Exchange 20, 179-208.

William, Case. 2001. «Malaysia’s Resilient Pseudodemocracy». Journal of Democracy 12 (January ) : 43-57.

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