Par Audrey Reeves
Du retrait de la puissance coloniale portugaise en 1974-1975 jusqu’aux années 1990, le Timor-Oriental a été le lieu de violations importantes des droits humains perpétrées par les troupes indonésiennes sur la population timoraise orientale [1]. À la fin des années 1990, la communauté internationale, par le biais de l’Organisation des Nations Unies, s’est mobilisée de façon à permettre la tenue d’une consultation populaire et d’un processus de construction de la nation au bout duquel le Timor-Leste devient un État indépendant le 20 mai 2002 [2]. Ce processus de création de l’État et de la nation a pris place sous la supervision de l’Administration transitoire des Nations Unies au Timor oriental (ATNUTO). Si cette dernière a réussi à mener le Timor-Leste à l’indépendance, ses objectifs de construction de la nation n’ont été atteints que très partiellement, à cause d’une tension entre les différents objectifs de la mission et d’une incapacité à intégrer les Timorais dans le processus de gouvernance.
Pourquoi une intervention au Timor oriental?
Au cours de la guerre froide, la relation entre l’Indonésie et ses alliés occidentaux a primé sur les velléités d’indépendance du Timor oriental [3]. Cependant, au cours des années 1990, la disparition de l’ennemi soviétique et la fin du régime de Suharto en 1998 ouvrent une fenêtre d’opportunité [4]. Le Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, initie un processus de négociation multipartite qui mène à la tenue d’une consultation populaire le 30 août 1999, où 78,5 % de la population se révèle en faveur de l’indépendance [5]. Les milices pro-Jakarta s’engagent alors dans un saccage extraordinairement féroce des infrastructures timoraises, un mouvement soutenu par l’armée indonésienne qui envoie de cette façon un message aux autres minorités de l’archipel [6]. Pour mettre un terme à la violence, l’ONU autorise une force internationale menée par l’Australie, l’INTERFET, à intervenir. Cette dernière sera ensuite remplacée par l’ATNUTO. À court terme, la mission a pour responsabilité générale l’administration du territoire du Timor oriental. À long terme, elle doit amener le nouveau pays à son indépendance [7].
Les défis de l’ATNUTO
Depuis le début du 20e siècle, il est déjà arrivé que la communauté internationale assume temporairement l’administration d’une localité jugée problématique, le cas récent le plus célèbre étant le Kosovo [8]. C’est toutefois la première fois que les Nations Unies prennent en charge l’administration d’un pays où ne préexistait pratiquement aucune institution étatique [9]. Lorsqu’elle se met en place en octobre 1999, l’ATNUTO fait face à des défis énormes. En raison des violences qui ont fait suite au plébiscite, la majorité de la population est déplacée, 70 % des infrastructures publiques et privées ont été détruites et l’administration publique est réduite à néant; toute la structure de l’État est à construire [10].
Un succès relatif
Plusieurs observateurs considèrent que si l’ATNUTO a effectivement mené le Timor-Leste à l’indépendance, elle a toutefois échoué à développer un gouvernement autonome, léguant aux Timorais un État en faillite, avec un système judiciaire déficient et des forces de sécurité souffrant d’un déficit de légitimité [11].
Les faiblesses de l’ATNUTO résultent d’abord d’une tension entre le mandat à court terme d’administration du territoire et celui à long terme de construction des capacités menant à l’autonomie du gouvernement [12]. Ainsi, jusqu’à la fin de la mission en 2002, l’ATNUTO a réussi à assurer un niveau de sécurité appréciable. Cependant, au moment de l’indépendance, le 20 mai 2002, les forces policières demeuraient faibles et sous-développées. De plus, l’ATNUTO a réussi à assurer efficacement la distribution d’une aide humanitaire à court terme, sans toutefois générer un effort de planification économique à long terme.
Une autre critique vient de ce que l’ATNUTO aurait échoué à se « timoriser » suffisamment, sapant la légitimité de son entreprise par une attitude décrite comme « néocoloniale » [13]. Cette faiblesse est venue d’une incapacité à définir les mécanismes par lesquels passerait la participation de la population locale à la gouvernance et d’une réticence face aux structures politiques traditionnelles [14]. Ces problèmes s’expliquent par le manque de ressources humaines dotées d’une connaissance adéquate des langues et des coutumes locales.
Quel avenir pour la construction de la nation?
Devant le constat des faiblesses de l’ATNUTO, certains auteurs ont décrété que l’ONU était inadaptée à l’administration de territoire en transition [15]. On peut cependant constater aujourd’hui que des efforts ont été faits pour rendre l’Organisation plus apte à remplir ce type de mandat. Ainsi, la nouvelle Commission de consolidation de la paix est pressentie pour jouer un rôle dans la coordination et la planification des efforts de construction de la nation . Cependant, l’état toujours instable du Timor-Leste laisse penser que le succès ne pourra venir qu’avec l’implication prolongée d’acteurs majeurs.
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[1] Katsumi Ishizuka, « Peacekeeping in East Timor: The Experience of UNMISET », International Peacekeeping 10 (2003) : 44-59.
[2] Ruth Wedgwood, « East Timor and the United Nations » (2001). En ligne. http://www.ciaonet.org/casestudy/wer01/wer01.pdf (page consulté le 8 juin 2008).
[3] Simon Philpott, « East Timor’s Double Life : Smells Like Westphalian Spirit », Third World Quaterly 27 (2006) : 135-159.
[4] Ishizuka, « Peacekeeping in East Timor: The Experience of UNMISET », 44.
[5] Ian Martin et Alexander Mayer-Rieckh, « The United Nations and East Timor : from self-determination to state-building », International Peacekeeping 12 (2005) : 125-145.
[6] Wedgwood, « East Timor and the United Nations ».
[7] Anthony Goldstone, « UNTAET with Hindsight: The Peculiarities of Politics in an Incomplete State », Global Governance 10 (2004) : 83-98.
[8] Jan Klabbers, « Redemption Song? Human Rights Versus Community-building in East Timor », Leiden Journal of International Law 16 (2003) : 367-376.
[9] James Traub, « Inventing East Timor », Foreign Affairs 79 (2000) : 74-89.
[10] Martin et Mayer-Rieckh, « The United Nations and East Timor : from self-determination to state-building », 134.
[11] Goldstone, « UNTAET with Hindsight: The Peculiarities of Politics in an Incomplete State », 90.
[12] Martin et Mayer-Rieckh, « The United Nations and East Timor : from self-determination to state-building », 136.
[13] Jarat Chopra, « The UN’s Kingdom of East Timor », Survival 42 (2000) : 27-39.
[14] Goldstone, « UNTAET with Hindsight: The Peculiarities of Politics in an Incomplete State », 92.
[15] Chopra, « The UN’s Kingdom of East Timor », 39.