Par Audrey Reeves
La consolidation de la paix désigne les « efforts déployés pour promouvoir la sécurité humaine dans les sociétés émergeant de conflits » et s’oriente autour du concept de sécurité humaine [1]. L’une de ses dimensions est la démocratisation des sociétés, car le renforcement des institutions politiques et juridiques est considéré comme l’un des principaux facteurs diminuant les chances de reprise des hostilités.
Le cas du Cambodge est représentatif de la difficulté éprouvée par les efforts d’assistance internationale à consolider des institutions démocratiques fonctionnelles [2]. En effet, l’APRONUC (l’Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge) est l’exemple d’une intervention étrangère bien intentionnée qui, en dépit du succès qu’on lui attribue, a en fait été instrumentalisée pour légitimer l’autoritarisme du parti au pouvoir [3].
Suite à la signature de l’accord de Paris, le 23 octobre 1991, par les différentes factions ayant pris part au conflit au Cambodge, l’APRONUC a été mise en place pour garantir son application. Au cours de son mandat (de février 1992 jusqu’à septembre 1993) l’APRONUC supervise la tenue d’une élection démocratique. L’absence de perturbations notoires mène plusieurs à considérer l’opération comme un succès. Cependant, quinze ans et bientôt trois élections plus tard, le Cambodge est toujours sous la gouverne autoritaire du Parti populaire cambodgien (PPC) de Hun Sen, Premier ministre depuis 1985.
Une mission ambitieuse
En 1992, l’APRONUC était l’opération la plus ambitieuse et dispendieuse jamais entreprise par l’ONU, impliquant 2,8 milliards de dollars investis et 22 000 casques bleus déployés [4]. Elle avait pour mandat de mener des activités propres à la consolidation de la paix : administration civile impliquant la séparation des structures de l’État de celles des différentes factions politiques, établissement d’un environnement politique neutre propice à la tenue d’élections démocratiques, rapatriement des réfugiés, promotion des droits humains, entraînement de forces de sécurité neutres, désarmement et démobilisation des factions armées, surveillance du retrait des troupes vietnamiennes et du cessez-le-feu et intervention comme arbitre si les tensions devaient refaire surface.
Le problème principal auquel fit face l’APRONUC fut celui de devoir remplir un vide politique tout en combattant une violence obstructive de la part des factions combattantes cambodgiennes, notamment les Khmers rouges [5]. La tenue d’élections a aidé à stabiliser le pays, mettant fin à la violence qui avait généré la mort de millions de personnes dans les décennies précédentes [6].
Le Front uni national pour un Cambodge indépendant, neutre, pacifique et coopératif (FUNCINPEC) remporta le plus grand nombre de voix mettant fin à 14 ans de gouvernement par le PPC. Toutefois, ce dernier n’obtint pas les deux tiers nécessaires pour former un gouvernement et dut former un gouvernement de coalition avec le PPC. Dans les faits, le PPC est resté dominant à l’intérieur du gouvernement de coalition.
Des élections sans transition démocratique
Alors que nous sommes à la veille d’élections législatives prévues pour le 27 juillet 2008, les actions du PPC, comme celles du FUNCINPEC, ne sont toujours pas structurées autour d’un projet de société, mais axées sur la mobilisation des ressources disponibles pour se maintenir au pouvoir. De plus, le Parti de Sam Rainsy, la seule figure d’opposition importante, subit une persécution soutenue de la part du gouvernement [7]. Ainsi, même si l’APRONUC a permis une transition, on ne peut pas dire qu’il s’agissait d’une transition vers la démocratie, étant donné la résistance des principales factions politiques à se défaire des structures de patronage qui les maintiennent au pouvoir [8]. Les institutions du système politique cambodgien sont particulièrement faibles, ce dernier étant dominé par les réseaux de patronage et de clientélisme et marqué par la corruption endémique dans les écoles et les hôpitaux jusqu’au plus haut fonctionnaire [9].
D’ailleurs, le système politique du Cambodge ne pourra être libéralisé sans que le réseau de patronage et de clientélisme du PPC se démantèle, ce qui ne saurait arriver avec le maintien au pouvoir de Hun Sen. La pression populaire a aidé à défaire d’autres régimes autoritaires en Asie du Sud-Est (Marcos aux Philippines, Suchinda en Thaïlande, Suharto en Indonésie). L’opposition politique et la société civile ne sont cependant actuellement pas assez fortes au Cambodge pour permettre une telle transition [10]. La société civile ne pourra sans doute se développer qu’avec la montée d’une population cambodgienne plus urbanisée et éduquée, et l’émergence d’une classe moyenne [11].
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[1] Sorpong Peou, « Collaborative Human Security? The UN and Other Actors in Cambodia », International Peacekeeping 12 (2005) : 105-124.
[2] Jeroen de Zeeuw, « Projects Do Not Create Institutions : The Record of Democracy Assistance in Post-Conflict Societies », Democratization 12 (2005) : 481-504.
[3] Duncan McCargo, « Cambodia : Getting Away with Authoritarianism? », Journal of Democracy 16 (2005) : 98-112.
[4] David Roberts, « Sympathy with the Devil? The Khmer Rouge and the Politics of Consent in the Cambodian Peacekeeping Operation », Contemporary Security Policy 19 (1998) : 1-22.
[5] Mats Berdal et Michael Leifer, « Cambodia », dans James Mayall, 1996, The New Interventionism, 1991-1994, United nations experience in Cambodia, former Yugoslavia and Somalia, Cambridge : Cambridge University Press : 25-58.
[6] Duncan McCargo, « Cambodia : Getting Away with Authoritarianism? », 98.
[7] Duncan McCargo, « Cambodia : Getting Away with Authoritarianism? », 99.
[8] Pierre P. Lizée, « Cambodia in 1995 – From Hope to Despair », Asian Survey 36 (1996) : 83-88.
[9] Kheang Un, « State, Society and Democratic Consolidation : The Case of Cambodia », Pacific Affairs 79 (2006) : 225-245.
[10] Duncan McCargo, « Cambodia : Getting Away with Authoritarianism? », 105.
[11] Kheang Un, « State, Society and Democratic Consolidation : The Case of Cambodia », 245.