La question des terres ancestrales aux Philippines

Par Benjamin Labrecque

Depuis 1997, l’agence gouvernementale chargée de veiller à l’application de l’Indigenous Peoples Rights Act (l’IPRA) déclare avoir délivré 57 certificats de titre de domaine ancestral (CTDA) couvrant 20% des 6 millions d’hectares de domaines ancestraux et 300 000 familles. Même s’il reste encore beaucoup à faire avant la restitution totale des terres ancestrales, il n’en demeure pas moins que la loi sur les droits des peuples indigènes (IPRA) des Philippines est la seule en son genre dans toute l’Asie du Sud-est en raison de son caractère extrêmement progressiste. Toutefois, avant d’en être venu à une telle reconnaissance politique et juridique des droits des autochtones, le gouvernement philippin a pratiqué des décennies de discrimination combinée à un processus d’aliénation envers les indigènes (puisque toute leur structure sociale étant centrée sur la terre, les indigènes se sentirent aliénés par l’empiétement et l’usurpation de leurs terres de la part des étrangers – les non-autochtones).

Aux Philippines, comme les terres appartenant aux indigènes sont très riches en termes de ressources physique, hydrologique, biologique et culturelle, l’État décida d’en tirer profit; les corporations privées et étrangères ont, pendant plusieurs décennies, profité de la forêt et des ressources minières [1], et ce, sans que les autochtones en retirèrent des bénéfices ou même une compensation. 

Grâce au Code de Foresterie Révisé de 1975 le gouvernement des Philippines a longtemps soutenu le principe selon lequel est considéré propriété de l’État toute terre qui n’a pas de titre de propriété. Ce code inclut toutes les terres non titrées ayant une pente de 18% sans prendre en considération la présence ou l’absence d’un couvert forestier [2]. Les indigènes, résidant sur leurs terres depuis toujours, ne possédaient pas de titre de propriété. Cette position gouvernementale criminalisa de facto la plupart des peuples indigènes et beaucoup n’eurent d’autre choix que d’aller vivre dans les hautes terres plus abruptes. 

Il faudra attendre 1982 pour que la position du gouvernement sur la question évolue. Sous le Programme Forestier d’Intégration Sociale, en retour d’une obligation légale de protéger et d’améliorer la terre qui leur est louée, le gouvernement offrait aux individus ou aux communautés la possibilité de louer à long termeune terre forestière publique [3]. Une variété de motifs mmenésà ce changement de politique, notamment les pressions eeffectuéespar des donateurs étrangers voulant que le gouvernement philippin pour accorde plus d’attention aux problèmes d’équité sociale concernant la forêt et les indigènes. De plus, mais avec un objectif bien différent, le Département de l’Environnement et des Ressources Naturelles (DERN) a cru que ce nouveau programme minimiserait l’empiètement des hautes terres par les indigènes et fournirait un réservoir de mmain-d’œuvreà bon marché pour assister aux efforts de reforestation [4]. 

Au cours des années suivantes, plusieurs accords concernant l’occupation des terres ancestrales ont été conclus, notamment celui l’Intendance de la Forêt Commune qui visait directement les indigènes. En théorie, ces programmes devaient permettre une meilleure gestion de la forêt basée sur la communauté et une amélioration des conditions de vie des habitants des Hautes Terres. Dans la réalité, limités par une variété de pratiques, ils ont renforcé l’autorité de l’État sur les terres publiques et les ressources naturelles [5] puisqu’ils n’étaient rien de moins que d’autres contrats de location dans des habits neufs [6].

Cependant, en 1997, les circonstances changèrent radicalement avec la mise en place du Indigenous Peoples Rights Act (IPRA) qui vise explicitement à reconnaître, protéger et promouvoir les droits des peuples indigènes des Philippines [7]. L’IPRA est un document qui touche les 11,8 millions d’individus appartenant à des peuples indigènes [8]. Il reconnaît les droits des peuples indigènes à leurs terres ancestrales et permet aux indigènes d’avoir accès à des certificats de titre de domaine ancestral (CTDA) leur assurant la protection face aux prétentions non autorisées et illégales d’empiètement de leurs terres. 

[1] Erni Christian, Indigenous peoples and local government (Manille: Troika Press, 2005), 119-120.

[2] Christopher R. Duncan, Civilizing the margins (London: Cornell University Press, 2004), 64.

[3] Eufernia Felisa Pinto, Strategies of Indigenous Peoples for Community Development and Ancestral Domain Management, 2000. MA thesis, Clark University, 23-26.

[4] Melanie Hugues McDermott, « Community by Default: Indigenous People and Ancestral Domain in Palawan », Pilipinas 33 (2000), 101.

[5] Pinto, Strategies of Indigenous Peoples for Community Development and Ancestral Domain Management, 24-26.

[6] Augusto B. Gatmaytan, « A Critical Appraisal of the Social Forestry Program », Philippine Natural Resources Law Journal (1999), 10.

[7] Rorie R. Fajardo, « Squatters dans leur proper pays », Courrier International 892 (2007), 46.

[8] Thomas Headland, The Indigenous Peoples’ Rights Act: A Triumph of Political Will (London: Cornell University Press, 1999), 2.

 

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