Par Vo Viet-Anh
La constitution vietnamienne reconnaît 54 nationalités comme habitant le pays (53 minorités et les « Viet », ethnie majoritaire et dominante, qui forme 86% de la population). Sur environ 72 millions d’individus, 12 millions sont issus d’une minorité ethnique [1]. Après des centaines d’années de déplacements progressifs, ces minorités (souvent appelées « moi »; indigènes ou sauvages en Vietnamiens) sont concentrées dans les régions montagneuses du Vietnam. Aujourd’hui, la situation n’est guère plus reluisante, car même si elles ont contribué à la construction du Vietnam moderne en participant aux conflits fondateurs, elles n’ont pas réussi à se tailler une place qui leur est propre dans la société vietnamienne.
Durant la guerre du Vietnam, les minorités ont été appelées à combattre que ce soit d’un bord ou de l’autre. Les plus connus furent les Hmong, peuple d’environ 5 millions d’individus (dont 790 000 en territoire vietnamien) habitant le nord du Vietnam et du Laos. Pour combattre les forces révolutionnaires de Ho Chi Minh ainsi que celles au Laos, la CIA a recruté les Hmong pour bloquer la Piste Ho Chi Minh. Près de 80 % des hommes ont été enrôlés dans la guerre et entrainés en commandos spéciaux. Toutefois, ces tentatives vont être largement infructueuses et les États-Unis vont nier leur implication dans la guerre civile laotienne jusqu’en 1997.
Avec la chute de Saigon en 1975, la guerre finit officiellement. Le gouvernement communiste du Vietnam finalement cherche un moyen d’intégrer les millions d’individus issus de minorités ethniques dans le projet nationaliste vietnamien. Pour ce faire, les dirigeants vont se tourner vers la méthode soviétique, peaufinée avec le temps par les Chinois.
La Russie, comme la Chine et le Vietnam, est un pays multiethnique avec un très grand nombre de groupes se revendiquant d’une ethnie différente de celle des Russes. Pour tous les rassembler dans l’Union Soviétique, Joseph Staline va créer un modèle d’intégration socialiste : le pays sera constitué de minorités nationales toutes égales entre elles. Cependant, il y a certaines minorités « un peu plus égales » que d’autres (dans le cas de la Russie, il s’agit des Russes, en Chine, ce sont les Han et au Vietnam, les Viet) [2]. Le modèle socialiste au Vietnam reconnaîtra donc l’existence des 53 minorités nationales, même si cela ne se traduit pas par des gestes concrets de la part des gouvernements.
Pour s’assurer de la loyauté du plus grand nombre de personnes pendant la guerre, le modèle préconisé sera empreint d’une belle rhétorique, mais dès que le gouvernement sera bien en selle, les promesses faites par les socialistes vont être oubliées et les choses seront très différentes pour les minorités ethniques. Elles vont être encouragées rejoindre les autres dans la construction de la nation en apprenant la langue nationale, en adoptant les principes de la majorité et en abandonnant leur mode de vie basé sur l’agriculture et à rejoindre les autres prolétaires. Dans les faits, cette politique est une tentative d’absorption des minorités dans la majorité puisque les pratiques religieuses, politiques et culturelles ne sont tolérées que si elles ne constituent pas une entrave au projet socialiste commun. Une image d’unité et d’harmonie entre les peuples est projetée par le gouvernement [3].
Aujourd’hui, les minorités nationales ont été recyclées comme attractions touristiques pour la majorité ainsi que les étrangers [4]. Il ne leur reste plus que ce que les gouvernants nationaux ont bien voulu leur laisser c’est-à-dire des coutumes inoffensives à l’ordre établi: des danses, une architecture et des vêtements qui peuvent les distinguer de la majorité.
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[1] General Statistics Office : Hanoi. 2000. Population and Housing Census 1999.
[2] Michaud, Jean. 2006. Historical Dictionary of the Peoples of the Southeast Asian Massif. Pp. 15-19.
[3] Idem.
[4] Taylor, Nora et Hjorleifur Jonsson. 2002. Other Attractions in Vietnam. Asian Ethnicity pp. 233-248.