Par Audrey Reeves
Au cours de la dernière décennie, la région d’Asie du Sud-est a connu le taux de croissance le plus élevé du monde . L’une des caractéristiques fondamentales de cette croissance est le commerce par voie maritime, certains auteurs allant jusqu’à décrire la région comme le « centre du réseau maritime mondial » . Or, des inquiétudes ont été formulées par plusieurs agents gouvernementaux et médias occidentaux quant à la vulnérabilité des infrastructures portuaires et des principales voies de navigations face aux risques de piraterie et de terrorisme maritime dans la région, mettant ainsi à risque l’économie mondiale . Si ces inquiétudes sont fondées, elles doivent toutefois être tempérées par la faible probabilité de voir ce type d’attaque survenir et les stratégies mises en place par les États de l’ASEAN face à cette menace. Dans ces conditions, les grandes puissances maritimes régionales et mondiales devraient se garder d’imposer aux États de l’ASEAN des stratégies institutionnelles et juridiques rigides ne convenant pas au type de régionalisme de cette région. Elles devraient plutôt se concentrer sur l’apport d’un support technique et organisationnel aux efforts endogènes de l’ASEAN et de son Forum régional. En effet, ceux-ci font preuve, à travers leur stratégie de lutte contre le terrorisme maritime, d’une capacité sous-estimée d’adaptation aux menaces contemporaines.
Vulnérabilité des voies navigables : les faits
Le terrorisme dans sa forme internationale n’est pas un phénomène nouveau, bien qu’en constante évolution . Les attentats du 11 septembre 2001 nous ont toutefois appris deux choses. D’abord, des moyens de transports ordinaires peuvent devenir des armes redoutables . Ensuite, des organisations terroristes orientent maintenant leur stratégie vers des cibles économiques. En Asie du Sud-est, quatre des plus importantes organisations clandestines, soit Al Qaeda, Jemaah Ilamiyah, Abu Sayyaf Group et le Front Moro islamique de libération, auraient manifesté un intérêt à prendre pour cible des infrastructures maritimes. Les ports et les voies navigables, artères de l’économie régionale en Asie du Sud-est, paraissent dès lors à risque, surtout sachant le faible taux d’inspection des cargaisons des navires, la facilité d’accès aux conteneurs, la généralisation de la fraude de certificats maritimes pour les embarcations et leurs personnels et la congestion dans les goulots d’étranglement des détroits de la région.
Malgré cette vulnérabilité, dans les faits, les attaques terroristes en mer ne représentent que 2% de l’ensemble des attentats terroristes enregistrées dans les trente dernières années, car un attentat mené sur mer est plus difficile à mener avec succès et demande plus d’organisation et de moyens financiers que son équivalent terrestre . Le terrorisme maritime ne paraît donc ni nécessaire ni avantageux pour la plupart des organisations clandestines. La conduite fructueuse d’un attentat terroriste significatif dans une voie navigable ou un port en Asie du Sud-est ou ailleurs est par conséquent improbable.
Cependant, il suffirait d’un seul attentat important pour causer des dommages physiques, humains et économiques considérables . Le commerce ne peut avoir lieu sans confiance et sans environnement sécuritaire. Ainsi, l’attentat terroriste contre le pétrolier français Limburg en 2002, au large des côtes du Yémen, a eu un profond impact sur l’industrie yéménite, le Yémen ayant été pratiquement rayé des routes de commerce. Malgré l’improbabilité d’un attentat terroriste sur mer, les conséquences importantes qui en résulteraient méritent toutefois d’attirer l’attention sur les actions posées par les différents États pour faire face à cette menace.
Réaction des grandes puissances maritimes
À la suite du 11 septembre 2001, les États-Unis ont exprimé de l’inquiétude face à la menace potentielle que pourraient poser les groupes extrémistes d’Indonésie, de Malaysia, des Philippines et de la Thaïlande pour le commerce international . Cependant, les initiatives américaines en matière de lutte au terrorisme en Asie du Sud-est ont été accueillies avec méfiance par les États de la région. Ces derniers ont refusé de signer la Convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime de l’Organisation maritime internationale affiliée à l’ONU et n’ont pas tous répondu aux exigences de l’Unité anti-terroriste formée par a Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC) . Ils ont ainsi exprimé leur désaccord face à des méthodes ne correspondant pas au style souple et consensuel de l’ASEAN et perçues comme incompatible avec le principe de non-ingérence dans les affaires des autres États.
Stratégies des organisations régionales
D’autres stratégies ont été mises en place par les États de l’ASEAN et de son Forum régional , destiné aux consultations sur les questions de sécurité. Pourtant, jusqu’au 11 septembre 2001, la lutte au terrorisme était considérée comme une affaire nationale en Asie du Sud-est . Suite au 11 septembre, chaque État a ainsi pris des mesures nationales ou bilatérales, le terrorisme étant considéré comme une question controversée risquant d’élever des conflits entre les membres. Cependant, depuis, la situation a évolué vers davantage de coopération, l’attentat de Bali en 2002 ayant amené les États à concevoir une coopération multilatérale basée sur la perception de menaces communes. Les membres de l’ARF ont ainsi adopté en 2003 la Déclaration sur la coopération contre la piraterie et autres menaces à la sécurité maritime . Des gestes plus concrets ont également été posés, notamment l’échange accru de renseignements entre les différents États-membres et des actions conjointes telles des patrouilles maritimes et aériennes visant à accroître la surveillance dans les ports . Il est difficile de connaître pour l’instant le degré d’efficacité de ces mesures. Cependant, il intéressant de constater que ces initiatives témoignent de la capacité d’adaptation de l’ASEAN et de l’ARF face aux menaces contemporaines, alors que ces organisations ont été critiquées par plusieurs experts comme peu efficaces et sans impact sur l’environnement sécuritaire en Asie du Sud-est.
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