Tentative d’assimilation des Orang Asli en Malaysia

Par Benjamin Labrecque

Les Orang Asli [1] (qui signifient « hommes des origines » en Malais) sont les aborigènes de la Péninsule de Malaisie et depuis 1961, par l’entremise du Département des Affaires aborigènes (JHEOA), le gouvernement tente d’intégrer ces derniers à l’intérieur du courant dominant de la société. L’hypothèse derrière cette politique est que les Orang Asli sont arriérés et isolés du reste de la société nationale et qu’ainsi, ils doivent être modernisés pour s’insérer complètement dans la communauté malaise [2]. Cette intégration se traduit par amener les Orang Asli au sein de l’économie de marché, d’affirmer un contrôle politique sur eux et de les assimiler à l’intérieur de la catégorie ethnique des Malais. Toutefois, cette analyse fait abstraction de la dimension politico-électoraliste de la démarche.

En effet, les Malais contrôlent la scène politique depuis l’indépendance en 1957, mais les Chinois et les Indiens forment à eux deux environ 40% de la population totale du pays. Ces derniers critiquent les droits et privilèges spéciaux de la communauté malaise en affirmant que la question des prérogatives des Malais est illégale puisque selon eux, se sont les Orang Asli et non les Malais qui sont les véritables « enfants de cette terre »; l’absorption des Orang Asli éliminerait donc la catégorie de gens « plus indigènes » que les Malais.

Jusqu’au milieu des années 1970, le JHEOA (composé d’un personnel majoritairement Malais agissant pour les intérêts Malais [3] et non pour les Orang Asli) avait tenté de faire rentrer les Orang Asli dans le courant dominant en augmentant leur niveau de vie, si bien que le département conduit les organisations musulmanes et des particuliers (incluant des professeurs d’école et des officiels du département) à faire du prosélytisme parmi les Orang Asli. Pour les dirigeants du JHEAO, s’ils réussissaient à convertir les Orang Asli à l’Islam (religion de la communauté malaise), les autres traits de l’assimilation suivraient et après quelques générations il n’y aurait plus de trace des Orang Asli puisqu’ils seraient des Malais à part entière [4].

Les efforts gouvernementaux pour assimiler les Orang Asli dans la communauté malaise contiennent plusieurs facettes. La première est le programme médical du JHEOA qui est destiné à rendre les aborigènes loyaux au gouvernement dans un rapport clientéliste tout en améliorant leur santé. La seconde est le programme d’éducation qui servit depuis 1995 comme une clé du mécanisme de la campagne d’assimilation du JHEOA. Les jeunes aborigènes sont depuis lors éduqués selon les règles du système éducatif national, dans la langue malaise.

Un autre but majeur du JHEOA est d’amener les Orang Asli sous la surveillance du gouvernement. Le Aboriginal Peoples Act accorde aux officiels du gouvernement l’autorité de confirmer ou de démettre les leaders communautaire aborigènes. Les responsables gouvernementaux veulent ainsi créer un système politique hiérarchisé dans lequel le leader représente plus l’autorité gouvernementale que les aborigènes [ 5].

Le JHEOA désire également « moderniser » l’économie des Orang Asli. Il le fait en changeant leurs activités de subsistance (comme la chasse, la cueillette et l’agriculture de consommation familiale) en activités directement orientées vers les échanges du marché comme vendre des marchandises ou bien louer leurs bras pour des entreprises. De plus, les aborigènes ont été déplacés et regroupés hors de leurs terres; ce qui provoqua une augmentation de leur dépendance envers le gouvernement pour survivre [6].

Cependant, la vaste majorité des Orang Asli résistèrent fortement aux pressions du gouvernement pour faire de ceux-ci des Malais et ces 30 années d’efforts du JHEOA pour y parvenir furent un échec. D’ailleurs, plusieurs contradictions fondamentales dans le département et ses nombreux programmes (dont celui consistant à assimiler les Orang Asli au sein de la population malaise en utilisant un bureau spécial pour administrer ces groupes aborigènes) eurent comme conséquence d’augmenter le sentiment de différence que les Orang Asli sentaient entre eux et les autres groupes ethniques. Ces politiques d’assimilation firent tout de même décliner la structure traditionnelle de la société des Orang Asli et ils perdirent beaucoup de leur autonomie.


[1] Ils représentent 0,6% de la population nationale de la Malaisie qui compte environ 27 millions d’habitants et ils sont divisés en 18 sous-groupes. Source : Site . http://www.corc.org.my/codenavia/portals
[2] Concerns about Orang Asli, (2008) En ligne. http://www.corc.org.my/codenavia/portals (page consultée le 21 mai 2008).
[3] Patrick Sullivan, « Orang Asli et Malais », Recherches Amérindiennes au Québec 28 (printemps), 65.
[4] Christopher R. Duncan, Civilizing the margins (London: Cornell University Press, 2004), 36.
[5] Christopher R. Duncan, Civilizing the margins (London: Cornell University Press, 2004), 39.
[6] Nicolas Collin, Tribal Peoples and Development in Southeast Asia (Kuala Lumpur: Malaya University Press, 1990), 78.

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