Par Emmanuel Leroux-Nega
En 340 ans de présence dans l’archipel indonésien, la Hollande et son colonialisme ont grandement influencé et marqué le processus nationaliste indonésien. Il sera donc ici question de ses principaux effets.
Tout d’abord, l’Indonésie, telle que nous la connaissons aujourd’hui, est le résultat de la colonisation hollandaise. En effet, l’archipel, constitué de milliers d’îles, dont la plupart pratiquement inhabitées, était dirigé par différents monarques selon les régions et les périodes. Débutée en 1641, la colonisation des Indes néerlandaises ne se termine qu’en 1908 avec la prise de Bali et la fin de la guerre d’Aceh [1]. Ce long processus engendra donc une grande hétérogénéité des situations coloniales dans les différentes régions [2] de l’archipel. Il aura par contre pour effet de créer un territoire commun qui est, à quelques exceptions près, celui aujourd’hui occupé par l’Indonésie. Ce fut la première notion de territorialité indonésienne. Notion des plus importantes lorsqu’on considère que c’est un nationalisme de type territorial qui y fut défendu.
Dans la même logique, la colonisation a aussi eu un effet unificateur puisque, pour la première fois, l’ensemble de l’archipel, à différents degrés, se trouve dans un même état : celui de colonisé. Malgré les différences culturelles et ethniques entre les îles et régions, les diverses factions combattent ensemble, sur différents fronts, l’empire hollandais. Cependant, cette lutte est davantage régionale et anticoloniale que nationale et nationaliste. Lorsque l’objectif de libération est atteint, l’unité s’effrite.
« A common desire to proclaim nationhood through the recognition of a state that transcended both the capital and the hamlet was destroyed as the unity created in the face of a common colonial enemy fragmented ».[3]
Malgré cette fragmentation, il est tout de même possible de conclure qu’un des grands effets du colonialisme est d’avoir, pour la première fois, unifié les différentes populations dans un combat commun. Historiquement parlant, les luttes révolutionnaires ou libératrices sont souvent au cœur de l’imaginaire collectif d’une nation.
D’autre part, un courant, qu’il soit politique, économique ou même artistique, se développe souvent en opposition à un autre. Ainsi, plusieurs courants idéologiques et politiques indonésiens se créent en opposition au modèle économico-politique hollandais. Là où l’État colonial offre inégalités sociales, injustice, monopole des richesses et modèle capitaliste, les mouvements d’indépendances s’enlignent sur une mouvance réclamant l’égalité pour tous, la juste distribution des richesses donc, bref, le socialisme. Ainsi,
« (v)ery early in the development of Indonesian national movement, socialism had come to be the symbol for a modernity opposed to that of imperialism, a modernity that would bring colonial people social justice, prosperity and independance ».[4]
Ce mouvement s’accentue par le retour de jeunes intellectuels ayant fait leurs études à l’étranger et porteurs des idéologies modernes à la mode dont fait partie le communisme.
Avant l’arrivée des colonisateurs européens, les notions mêmes de nationalisme ou de liberté sont complètement absentes de l’archipel indonésien. Les différents sultanats y règnent en maîtres sur leur population et territoire d’influence. Ce sont donc les Hollandais qui introduisent, simultanément à leur régime et souvent contre leur volonté, les notions de nation, de démocratie, d’autodétermination, etc. Notions qui seront à la base de la révolte contre leur colonialisme. En colonisant l’archipel, ils l’ouvrent aussi sur le monde. L’élite révolutionnaire nationalise réalise ainsi que son combat ne se fait pas dans un vase clos mais bien en interrelation avec un contexte international et régional particulier. L’observation des autres amène l’Indonésie à s’observer elle-même, à renouveler sa culture et à remettre en questions certaines de ses façons de faire [5]. Le mouvement nationaliste est alors un mélange entre respect des traditions et cultures locales et désir de modernité. Ainsi, le mouvement nationaliste indonésien s’est développé contre, mais aussi grâce au pouvoir colonial.
On ne peut ignorer, en dernier lieu, que beaucoup des élites autoritaires qui suivent l’indépendance reproduisent, inconsciemment ou non, ce que l’Indonésie vécut sous l’occupation hollandaise. L’idée de la force comme moyen d’accaparation du pouvoir, le réflexe de centralisation du pouvoir et la distance entre l’élite dirigeante et le peuple sont pour beaucoup,hérités du modèle idéologique et politique colonial. S. Sloan explique que
« (a) new indigenous elite fought for politcal power and, in so doing, lost contact with the mass wich it purportedly represented ».[6]
Les notions de « démocratie guidée » ou de « Nouvel Ordre », plus tard avancée par Sukarno, sont des exemples frappants d’un paternalisme, aussi existant en Afrique, hérité directement de l’idéologie coloniale.
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[1] Britannnica., Indoneisa. http://www.britannica.com/EBchecked/topic/286480/Indonesia. Page consultée le 27 avril 2008.
[2]Wild, Colin et Peter Carey. Born in fire. The Indonesian struggle for independence. Athens : Ohio University Press. 1980 (p. 1)
[3] Sloan, Stephen. A study in political violence. The Indonesian experience. Chicago : Rand Mcnally and company. 1971 (p. 23)
[4] Wild, Colin et Peter Carey. Born in fire. The Indonesian struggle for independence. Athens : Ohio University Press. 1980 (p. 22)
[5] Wild, Colin et Peter Carey. Born in fire. The Indonesian struggle for independence. Athens : Ohio University Press. 1980 (p. 4).
[6] Sloan, Stephen. A study in political violence. The Indonesian experience. Chicago : Rand Mcnally and company. 1971 (p. 23).